Des catholiques virant protestants - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Des catholiques virant protestants

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Mon écrivain religieux préféré est John Henry Newman (1801-1890), que j’ai découvert au milieu de la trentaine quand j’ai lu « L’idée d’université ». De temps en temps, je retourne à Newman et je m’en gave durant quelques semaines. Je suis actuellement au milieu d’une de ces agapes.

Newman a écrit et prononcé un nombre immense de sermons, tant dans la moitié protestante de sa vie que dans la moitié catholique. L’autre jour, il s’est trouvé que j’ai lu l’un de ses sermons catholiques, intitulé « Foi et jugement personnel ». Il y argumente que les protestants n’ont pas la foi dans le sens où on dit que les catholiques ont la foi.

Les catholiques, dit-il, sont dociles. Ils reçoivent comme vraies les doctrines de l’Eglise, sans se réserver le droit de juger ces doctrines, sans se réserver pour eux-mêmes le droit de décider si ces doctrines sont vraies ou pas.

Ce qui n’est pas pour dire que les catholiques n’exercent aucun jugement. Non, ils doivent décider pour eux-mêmes si l’Eglise Catholique (l’Eglise Romaine gouvernée par le pape) est la véritable Eglise créée originellement il y a deux millénaires par Jésus-Christ. Mais une fois qu’ils ont décidé, tout comme Newman lui-même l’a décidé au milieu de la quarantaine, que l’Eglise de Rome est l’Eglise véritable, ils renoncent à tout droit de juger les doctrines de l’Eglise. Arrivés à ce point, ils écoutent et ils reçoivent.

De l’autre côté, les protestants croient qu’ils ont le droit de juger les doctrines du christianisme ; le droit de décider si ces doctrines sont vraies ou fausses. C’est le fameux principe protestant du jugement personnel, un principe apparu dans le monde chrétien à l’époque de la Réforme.

Le Protestantisme a rejeté l’autorité enseignante du pape et de ses évêques, remplaçant cette autorité rejetée par l’autorité de la Bible – « la Bible, toute la Bible et rien que la Bible », comme l’a dit plus tard quelqu’un. Mais cela a fait surgir une nouvelle difficulté. Une fois établi que la Bible est un enseignant infaillible, qui fera autorité pour décider de ce que la Bible dit vraiment ?

Ce ne peut pas être, comme pour les catholiques, le pape et les évêques, puisque les protestants les ont rejetés.

Théoriquement, l’interprète de la Bible faisant autorité pourrait être un futur Concile de l’Eglise. Mais en pratique, il ne pourra jamais y avoir de nouveau un Concile que les protestants puissent accepter. Le Concile de Trente était entièrement catholique, pas de protestants dans l’assistance. Et il n’y a jamais eu un Concile entièrement protestant. Comment cela aurait-il pu se faire, étant donné le morcellement du protestantisme ?

Peut-être que des rois ou d’autres chefs d’état pourraient donner l’interprétation de la Bible faisant autorité ? Mais c’était une absurdité trop évidente pour que quiconque y croit réellement. Comment peut-on s’attendre à ce qu’un roi connaisse mieux la signification de la Bible que n’importe quel ministre du culte ou laïc sincère ?

Finalement, le protestantisme n’avait pas d’autre choix que de permettre aux individus de décider par eux-mêmes ce que la Bible dit. Les critiques catholiques pointent un problème indéniable qui surgirait obligatoirement de ce principe de jugement personnel : si vingt personnes lisent la Bible, ils vont peut-être bien trouver vingt interprétations différentes. Ce principe de jugement personnel devait conduire au morcellement du christianisme – et il l’a fait.

Au cours des siècles, des efforts ont été faits par le protestantisme pour prévenir, faire obstacle ou atténuer ce morcellement. Trois stratégies ont principalement été essayées.

La persécution : Par exemple, à Genève, Calvin a brûlé Michel Servet. En Angleterre, la reine Elizabeth I a persécuté les catholiques et les Puritains. En Nouvelle Angleterre, les Puritains de Massachusetts Bay ont persécuté Roger Williams, Anne Hutchinson et les Quakers.

L’œcuménisme : Les dénominations estompent leur hostilité réciproque ou coopèrent de différentes manières ; ou même fusionnent.

La moralité chrétienne : On minimise l’importance de la doctrine en vue d’insister sur ce sur quoi les protestants sont tous d’accord, moralement : et il a été soutenu que la morale est l’essence du christianisme alors que la doctrine est d’importance secondaire, si pas purement décorative.

Aucune de ces stratégies n’a fonctionné, y compris la dernière, à l’effondrement de laquelle nous avons assisté de nos propres yeux. Dans le monde protestant actuel aux USA, il y a une certaine forme de consensus sur la morale. Guère étendue.

Par exemple, tous les protestants sont d’accord pour dire qu’il est mal de voler les banques ou de frapper votre grand-mère avec une batte de base-ball. Mais quand on en arrive à la morale sexuelle et à l’avortement, les protestants libéraux et les protestants conservateurs sont en opposition radicale. Ils ne pourraient pas l’être davantage.

Les conservateurs adhèrent toujours aux anciens enseignements chrétiens selon lesquels la fornication, la cohabitation sans mariage, les rapports homosexuels et l’avortement sont des péchés graves. Les libéraux, au contraire, tiennent que (au moins dans de nombreuse circonstances) aucun de ces comportements n’est peccamineux.

Mais quand les conservateurs accusent les libéraux de ne pas respecter la Bible, les libéraux répliquent : « Pas du tout. Comme tout bon protestant, nous avons droit au jugement personnel, tout autant que Luther, Calvin, John Knox et Cotton Mather avaient ce droit. Quand nous interprétons la Bible, nous comprenons que les grandes injonctions du Nouveau Testament « aimez votre prochain » et « ne jugez pas » annulent tous les vieux tabous.

Jésus dit que les chrétiens actuels devraient être d’accord avec l’avortement et le mariage homosexuel. Jésus est à la page, et nous le sommes également – et vous, pauvres conservateurs, vous ne l’êtes pas. »

Si le jugement personnel est la caractéristique distinctive du protestant, alors la plupart des catholiques américains sont protestants de facto. Le catholique qui reçoit les enseignements de l’Eglise de la façon que Newman considère comme la bonne, suivant le chemin de la foi, le chemin de la réception docile, se fait de plus en plus rare.

Tout comme les Américains non catholiques, les catholiques exigent le droit de penser par eux-mêmes sur tout, y compris la vérité religieuse. En conséquence, des dizaines de millions de catholiques américains, pratiquant cette bonne vieille chose protestante qu’est le jugement personnel sont en désaccord avec l’Eglise quand il est question de contraception, de sexualité pré-maritale, d’avortement, de mariage homosexuel – et (je le suppose sans en être absolument sûr) la divinité du Christ, la présence réelle dans l’Eucharistie, la naissance virginale et la Résurrection.

Dans une très grande mesure, le catholicisme américain est devenu une forme de protestantisme. Et ce qui est pis, une forme de protestantisme libéral.

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David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island.

Illustration : « L’apôtre Paul explique la doctrine de la foi en présence du roi Agrippa, de sa sœur Bérénice et du proconsul Festus » par Vasily Surikov, 1875 [galerie Tretyakov, Moscou]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/12/14/the-protestant-catholics/