La plus grande découverte que peut faire un catholique jeune ou vieux est sans doute celle de la richesse de la tradition de l’Eglise en termes de pensée pure ou de sagesse pratique. Si on suit bêtement les mass media et les variétés, vous allez penser que le catholicisme n’est qu’un mélange de règles désuètes et de scandales affreux, mais un simple coup d’œil sur saint Augustin et saint Thomas d’Aquin et Pascal et Newman, Dante et Michel-Ange et Mozart devraient mettre un terme à ces absurdités.
Oui, mais nous en savons beaucoup plus, va-t-on répliquer. Vous n’avez qu’à regarder les avancées que nous avons faites en science, et en technologie, particulièrement dans la médecine et la psychologie. Tous vos trucs étaient bien pour leur temps, mais nous avons beaucoup plus de connaissances disponibles pour nous aider à traiter la condition humaine.
C’est vrai, si vous avez un mal de dents ou un problème cardiaque, vous avez intérêt à être traité par un dentiste ou un cardiologiste modernes plutôt que recourir à quelqu’un du passé. Mais comme notre tradition et toute la droite raison nous le disent, pour d’autres sujets, vous devez être capable de faire de prudentes distinctions entre ce qui est bon et ce qui est mauvais – entre le bien et le bal – si vous voulez comprendre quoi que ce soit.
Parce que c’est à propos des plus importantes des questions que nous avons non pas avancé mais, malheureusement, étourdiment, reculé. Prenez – c’est un exemple-clé – les questions de l’amour.
A présent, si vous prononcez devant quelqu’un le mot « amour », il va comprendre que vous parlez de l’amour romantique et du sexe, ou dans certains cas, de LGBT et de toute la confusion qui est derrière. Le père James Martin a déclaré par exemple qu’appeler « objectivement désordonnée » l’attraction pour le même sexe était « inutilement blessant. Dire qu’une des parties les plus profondes d’une personne – celle qui donne et reçoit l’amour – est ʺdésordonnéeʺ est en soi inutilement cruel. »
Mais notre nature sexuelle est-elle le seul lieu où nous donnons et recevons l’amour, et le sexe est-il la seule forme et la plus profonde de l’amour ? Et cela l’emporte-t-il sur toutes les autres formes de l’amour parce que – eh bien, parce que quoi ?
C.S. Lewis n’a pas sérieusement besoin d’être présenté à des chrétiens sérieux. C’est simplement le meilleur apologiste laïc du dernier siècle. Mais beaucoup de gens qui connaissent ses grands livres comme Mere Christianity (« Pourquoi je suis chrétien ») ou The Abolition of Man (« L’abolition de l’homme. La voie perdue ») ou The Screwtape letters (« La tactique du diable »), ne sont pas familiers avec celui qui peut être dans les temps que nous vivons un livre plus important encore, The Four Loves.
« Les quatre amours » de Lewis ne sont pas LGBT, cela va presque sans dire, parce que dans les anciennes façons de voir la personne humaine, l’amour érotique ou sexuel – même dans ses formes déviantes – n’est qu’une des nombreuses formes de l’amour. Et tandis que le sexe fait partie de la création humaine de Dieu (« homme et femme Il les créa »), nous n’étions pas créés uniquement et premièrement pour le sexe.
Le simple sommaire de The Four Loves ne peut lui rendre pleine justice. Vous devez lire Lewis et absorber l’attention détaillée et sensible qu’il consacre aux différentes formes et manifestations de l’amour dont nous humains faisons l’expérience, pour voir seulement combien est tout le sujet est riche et complexe.
Mais d’abord voici les quatre amours tels qu’il les décrits :
1) simple affection (grec storgè), telle que nous la voyons entre connaissances, collègues de travail et (Lewis insiste) qui existe même entre animaux comme les chats et les chiens dans le même foyer (ce qui n’est pas moins réel pour nous puisque nous aussi nous sommes en partie animaux) ;
2) amitié proprement dite (grec philia), qui elle-même prend plusieurs formes, les unes plus intéressées, les autres désintéressées, dans lesquelles le bien des autres joue au moins quelque rôle ;
3) amour sexuel (grec eros), avec ses nombreuses distinctions et ses implications morales pour la famille, les enfants, la communauté etc.
4) charité (grec agapè), le plus pur des amours, l’intérêt pour l’autre absent de tout égoïsme, incluant l’obéissance à Dieu, absolu et au-delà de nos intérêts et désirs personnels.
Le seul fait de faire cette liste montre combien il est réducteur d’identifier l’amour et le sexe et – dans tant de contextes modernes – de prétendre que le sexe domine toutes les autres formes d’amour. Même en termes profanes, vu les troubles qu’un eros incontrôlé a produits – témoins la plupart des films, romans, télévisions, chansons de variétés modernes – c’est évidemment et désastreusement faux. Lewis nous rappelle que les amours se mêlent souvent l’un à l’autre. Un couple marié par exemple s’unit et a des enfants par eros, mais avec le temps il va développer une affection, une amitié, et même une certaine charité mutuelle qui inclut les devoirs envers le Créateur.
Il est remarquable que même les chefs de la chrétienté aux plus hauts niveaux semblent ces jours-ci souvent oublieux de ces distinctions et hiérarchies. Le cardinal Christoph Schönborn, par exemple, a dit publiquement, après le Synode sur la famille, qu’il connaissait un couple « gay » à Vienne ; que quand l’un des deux est malade, l’autre lui montre beaucoup d’attention et de soin, et que l’Église doit reconnaître la valeur de cela.
C’est vrai, d’une certaine façon, mais si cette sollicitude reflétait affection, amitié et charité, elle pourrait aussi bien exister entre deux amis, frères et sœurs ou voisins. Cela n’est pas une excuse, ne parlons pas d’une justification, pour – pardon, père James Martin – une relation sexuelle « objectivement désordonnée ».
Et ce n’est pas « haine » de le signaler. Nous croyons en un Seigneur qui nous a dit qu’il y a une voie pour laquelle nous devons « haïr » mère, père, femme, enfants – et nous-mêmes aussi – si nous voulons être son disciple. Son amour règlera nos autres amours, et les fera plus que ce qu’ils sont censés être, sans les effacer.
Qu’un prince de l’Église (et il est loin d’être le seul) par ailleurs intelligent ait impliqué que d’une certaine façon nous pourrions passer sur une relation entraînant péché mortel à cause de convenances humaines, reflète la confusion qui a faussé récemment une grande partie de la pensée – ou plutôt de non-pensée – à l’intérieur de l’Église.
Lewis travaillait à l’abri de ces illusions. Il reconnaissait qu’à moins que nos amours soient ordonnés vers le grand et inconditionnel amour de Dieu, ils peuvent devenir des tyrans et parfois des idoles On en a la preuve tout autour de nous.
Si nous voulons débrouiller les problèmes qui se manifestent dans l’Église et le monde dans ce moment historique, il est urgent que nous apprenions à appeler par leurs propres noms nos amours et l’Amour de Dieu.
Lundi 3 décembre 2018
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/12/03/c-s-lewis-the-four-loves-and-counting/
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Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing, et président du Faith & Reason Institute ( Washington, D.C). Son dernier livre est A Deeper Vision: The Catholic Intellectual Tradition in the Twentieth Century, publié par Ignatius Press. The God That Did Not Fail: How Religion Built and Sustains the West est maintenant disponible en poche chez Encounter Books.