N. T. Wright, évêque anglican, professeur, érudit prolifique spécialisé dans le Nouveau Testament, a écrit plus de livres que la plupart d’entre nous n’ont le temps d’en lire. Fort heureusement, il fait souvent suivre un ouvrage majeur par un livre plus court et plus accessible. Cela reflète sa conviction que l’érudition biblique est utile à la vie de l’Eglise et que la pastorale n’est pas extrascolaire mais le programme, la nourriture des disciples sur le Chemin.
Le dernier livre de Wright (du moins le dernier que j’ai vu) s’intitule « Paul : une biographie ». De bien des façons, c’est l’aboutissement de la lutte de plusieurs décennies avec la vision et la mission des Apôtres envers les Gentils. Le chapitre de conclusion, « Le défi de Paul », est d’une importance particulière. Wright est persuadé que l’origine et le but de la vie et de la mission de Paul ont toujours été Jésus.
Jésus comme la réalisation bouleversante des espoirs d’Israël ; Jésus comme l’être humain accompli, la véritable « image » ; Jésus, incarnation du Dieu d’Israël – si bien que sans quitter le monothéisme juif on adorerait et on invoquerait Jésus comme Seigneur en son sein, et non en dehors du culte du « vrai Dieu vivant ». Jésus, celui pour qui on délaisserait toutes les idoles, tous les maîtres rivaux.
Je cite cette conviction parce que je trouve qu’elle offre un contexte riche et indispensable au bref passage de la Lettre de Paul aux Philippiens qui sert de seconde lecture pour ce deuxième dimanche de l’Avent.
Paul n’écrit jamais une lettre impersonnelle et compassée. Mais celle aux Philippiens est peut-être bien la plus personnelle et la plus passionnée. Il leur dit combien il se languit d’eux « avec l’affection du Christ Jésus » (1:8), usant du mot pour les émotions viscérales que les Synoptiques utilisent quand ils parlent de la profonde compassion de Jésus. L’ensemble de la lecture de ce jour exprime la prière joyeuse de Paul pour ceux qui partagent avec lui la communion dans l’Evangile. De fait, le passage commence vraiment au verset 3 – inexplicablement omis du lectionnaire – avec le mot crucial « Eucharistô » : « je remercie mon Dieu chaque fois que je me souviens de vous ! »
Le lien de Paul avec les Philippiens est l’un des plus profond et des plus intimes parce que eux et lui sont unis dans une communion partagée de la vie en Jésus. Lui-même se réjouit, comme il le confesse plus loin dans la Lettre, parce que « vivre c’est le Christ » (1:21), faisant écho à son cri passionné dans la Lettre aux Galates : « j’ai été crucifié avec le Christ : ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Et la vie que je mène maintenant dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui a donné sa vie pour moi » (Galates 2:20).
Tout cela ne fait que confirmer l’assertion de Wright selon laquelle la personne de Jésus est le cœur de la vie de Paul et de sa proclamation, « non pas comme une étiquette pour exprimer une idée, un fait théologique si vous préférez, mais comme une présence vivante, inspirante, consolante, mettant en garde et encourageant, celui dont l’amour ‘ nous fait persévérer ‘, celui ‘ qui m’a aimé et a donné sa vie pour moi ‘, celui dont la connaissance vaut mieux que tous les privilèges que le monde peut offrir ».
De plus, cette nouvelle vie en Jésus est intarissable et sans fin. Donc la prière de Paul pour les Philippiens (et pour nous) continue : « que votre amour grandisse toujours plus en savoir et en discernement afin que vous soyez purs et sans reproche pour le jour du Christ » (1:9-10)
Paul ne s’exclut pas lui-même de l’impératif de continuer de grandir en savoir et en amour de celui qui est la source de leur salut et le but de leurs efforts inlassables. Il confesse plus loin dans la Lettre « non pas que je sois moi-même déjà arrivé à la perfection (teteleiômai) » (3:12) mais il s’y efforce et exhorte ses lecteurs à faire de même, afin de « connaître le Christ et la puissance de Sa Résurrection, pour partager la souffrance du Christ, devenir semblable à Lui (summorphizomenos) dans Sa mort, afin de parvenir à la résurrection après la mort » (3:10-11).
Ce nouvel être, cette nouvelle vie, cette transformation en cours dans le Christ est le fervent désir de l’Apôtre pour ceux qu’il évangélise et pour qui il prie sans se lasser.
Mais dans tout cela Paul a-t-il, peut-être involontairement, substitué son propre Evangile à la simple Bonne Nouvelle de Jésus ? A-t-il subverti le message radical de réforme sociale de Jésus en un « mysticisme » individualiste – récompense céleste pour les opprimés ? Paul est-il le véritable fondateur du christianisme, traduisant ainsi sa foi ancestrale ?
Ces questions semblent avoir en elles le parfum de moisi de la « critique sévère » allemande du dix-neuvième siècle, mais, rafraîchies et ré-emballées, elles réapparaissent en différents accoutrements même dans des conférences universitaires et dans des publications catholiques « progressistes ».
Il y a des lustres (c’est-à-dire avant Vatican II!) le théologien jésuite John Courtney Murray a donné une série de conférences à Yale, publiée sous le titre : The Problem of God (Le problème de Dieu). Peut-être à la surprise de son auditoire œcuménique, Murray a déclaré que la question vraiment cruciale était : « que pensez-vous de la consubstantialité ? » La guérilla entre les tenants de « une seule nature » et les partisans de la consubstantialité peut bien être une façon d’éviter cette question décisive.
Car étayant toutes les prières et tous les désirs de Paul, il y a la conviction qui s’exprime dans l’hymne christologique qu’il chante avec ses bien-aimés Philippiens : « bien qu’Il soit de condition divine… Jésus a pris forme humaine… jusqu’à la mort sur une croix… au Nom de Jésus tout genou fléchira… Jésus-Christ est Seigneur ! » (Philippiens 2:6-11).
Cette hymne de louange et d’adoration (de même que les hymnes dans Colossiens 1:15-20 et Jean 1:1-14) est bien plus proche de la consubstantialité du concile de Nicée que nous ne sommes prêts à l’admettre. Mais si nous ne daignons pas le confesser, à quoi sert l’Avent ? Quelle venue attendons nous vraiment dans l’émerveillement, si ce n’est celle de l’Emmanuel : Dieu Lui-même avec nous dans le Fils unique du Père, Jésus-Christ ?
Le père Robert P. Imbelli, prêtre de l’archidiocèse de New York, est professeur de théologie émérite à Boston College.
Illustration : « Saint Paul » par Adam Elsheimer, 1605 [Petworth House, West Sussex, Angleterre]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/12/09/for-me-to-live-is-christ/