Faut-il sauver l’Organisation Mondiale du Commerce ? Peut-on le faire sans les Etats-Unis ?
La France a proposé de réformer l’OMC. Une première réunion a eu lieu à Ottawa fin octobre, puis une conférence à Paris le 16 novembre. En réalité l’initiative vient du président Trump. Sans lui, se demanderait-on si l’OMC est adaptée au XXI e siècle comme le voulait le titre de la conférence à Bercy ? La réponse est d’ailleurs évidente : non elle ne l’est pas. La question suivante est donc de savoir ce qu’elle deviendra si les Etats-Unis mettent effectivement à exécution leur menace de la quitter, ce qu’ils réitèrent à chaque sommet économique mondial soit du G 7 comme à Québec en juin soit du G 20 comme à Buenos Aires ce 30 novembre/1er décembre. Buenos-Aires où s’était déjà tenue en décembre 2017 la dernière conférence ministérielle de l’OMC (qui se tient tous les deux ans) qui s’était séparée sur un constat d’échec.
L’OMC créée en 1995 a été portée par la vague de libéralisation du commerce mondial sous l’égide du GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) qui en 1947 devait être le troisième pilier de l’ordre de Bretton-Woods avec le FMI et la Banque mondiale. Dans cet esprit, l’OMC devait être à la fois un organe de régulation et un instrument d’aide à l’élaboration des politiques commerciales. Son volet le plus novateur était l’institution d’une procédure de règlement des différends commerciaux. Ce tribunal du commerce est sans doute la juridiction internationale qui fonctionne le mieux, si bien que Washington bloque la nomination des juges au niveau de l’instance d’appel. Mais surtout le nombre de plaintes ne cesse d’augmenter pour la bonne raison que les Etats enfreignent de plus en plus les règles de libre concurrence.
De ce même fait, les négociations commerciales globales engagées dans le cadre de l’OMC – le cycle dit de Doha initié en 2001 – sont simplement arrêtées, d’où le foisonnement de négociations régionales ou sectorielles hors OMC.
La raison profonde de l’inadaptation de l’OMC au XXI e siècle ne réside pourtant pas dans un soudain regain de protectionnisme. Rien n’interdit des clauses de sauvegarde ou des règles anti-dumping sous le contrôle de l’organisation. La diminution massive des droits de douane et l’élimination des obstacles non tarifaires laissent en revanche entière la question des avantages comparatifs, en l’occurrence les droits sociaux, les normes environnementales, mais aussi l’innovation technologique, l’économie numérique ou l’intégration des chaînes de valeur (la fragmentation des processus de production entre plusieurs pays).
L’OMC a réussi à conclure des accords sur les droits de propriété intellectuelle, sur les investissements étrangers et partiellement sur les marchés publics, qui ne font guère la « une » mais qui sont fondamentales si elle sait en assurer le respect. Il reste qu’elle atteint là les limites de sa compétence. Ce n’est pas à elle d’harmoniser les autres facteurs de production, qu’ils soient sociaux, environnementaux ou techniques. Les accords régionaux cherchent à s’y attaquer au prix d’un morcellement du monde et finalement d’un recul du multilatéralisme.
Les Etats-Unis pensent pouvoir faire cavalier seul. Grands bénéficiaires du système multilatéral depuis 1944, ils estiment en être aujourd’hui les victimes et souhaitent s’en retirer. Or ils en sont les gardiens et via l’hégémonie du dollar les principaux financiers. La Chine, depuis le discours de Xi Jinping à Davos en janvier 2017, est candidate à la succession. Cela veut dire entre autres qu’elle demande à changer de statut international. Longtemps parmi les pays dits en voie de développement, y compris lors de son entrée à l’OMC en 2001, puis à la tête des pays dits émergents, elle veut aujourd’hui être reconnue comme économie de marché à l’égal des grands pays industrialisés du G 7. Ce faisant, elle quittera les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui étaient supposés porter la voix des émergents alors que ceux-ci – et ceux qui figurent au G 20, au premier chef l’Argentine, suivie de la Turquie, ont les plus grandes peines de se maintenir à flot.
L’Europe n’a pas intérêt à ce que le système multilatéral passe d’un hegemon à un autre. Elle possède un avantage qui peut être aussi à son désavantage : elle dispose d’une politique commerciale commune – sans parler de la monnaie commune. Sa capacité de négociation et son poids dans le commerce mondial n’en sont que plus forts. Mais comme on l’a vu la politique commerciale au sens où l’entendent les traités fondateurs de l’Union est dépassée. On a bien senti l’Union gênée dans chacune de ses négociations internationales comme récemment le CETA ou le traité transatlantique, qu’elle aborde en position d’infériorité car elle est la seule qui, par son respect du droit qu’elle a édicté en grande partie, se présente en toute transparence et négocie en toute bonne foi. Elle dit la norme et elle s’y tient face à autant de transgresseurs qu’il y a de partenaires. Il lui reste à s’imposer.