Parmi les pères de l’Eglise primitive, il y avait deux traditions concernant l’Ancien Testament. L’une envisage l’Ancien Testament comme une éducation progressive de l’homme par un Dieu avisé et prévoyant en vue d’élever l’homme pas à pas, le préparant pour l’ultime révélation de Dieu dans le Christ. Dans cette optique, « l’humanité ne peut pas supporter beaucoup de réalité ». Alors Dieu a préparé l’humanité peu à peu pour qu’elle soit prête pour Sa révélation finale pleine et entière dans le Verbe fait chair.
Le théologien du quatrième siècle Eusèbe écrivait, par exemple, que « la race humaine, dans les anciens temps, n’était pas encore capable de recevoir l’enseignement du Christ, Lui qui est la perfection de la sagesse et de la vertu ». Il était nécessaire que les « semences de la religion » soient d’abord répandues de par le monde jusqu’à ce que « toutes les nations de la terre aient été préparées à concevoir l’idée du Père qui devait leur être communiquée ». Seulement alors le Verbe pouvait apparaître en personne.
Une autre tradition suggère, cependant, que l’Ancien Testament était une série répétée d’échecs. Saint Augustin demande : « doutons-nous que la loi ait été donnée pour ceci, que l’homme puisse se trouver lui-même ? Par conséquent, s’étant trouvé lui-même, il se découvre immergé dans le péché ». Abandonné à ses propres systèmes, l’homme « doit subir une expérience longue et variée de sa propre misère et en sonder les profondeurs, la meilleure façon de reconnaître qu’il a besoin d’un sauveur ». De même, l’auteur du deuxième siècle de la « Lettre à Diognète » confesse que « comme nous avons été convaincus de notre impuissance à atteindre la vie, Dieu vient pour nous montrer que le Sauveur peut sauver même l’impuissance ».
Dans l’œuvre de Thomas d’Aquin, on trouve les deux traditions tout comme on les trouve dans les lettres de Saint Paul. D’un côté, dit Saint Thomas, la loi a été un « pédagogue », un professeur ou un gardien, nous enseignant, nous protégeant et nous préparant à la venue du Christ (voir Galates «:24). De l’autre côté, la loi a également révélé notre impuissance parce que même alors, tutorés par la loi, nous savions ce que nous aurions dû faire tout en étant toujours incapables de le faire. La loi était impuissante à nous rendre bons et elle a révélé notre impuissance et par là a augmenté en nous le désir d’un Sauveur et du don de la grâce de Dieu (voir Romains 7-8).
Alors qu’en est-il ? L’Ancien Testament est-il l’histoire d’un progrès ? Ou d’échecs répétés ?
Les deux. L’Ancien Testament est l’histoire de l’alliance de Dieu avec Son Peuple. Le Peuple, pour sa part, a échoué à maintenir les serments de l’alliance et s’est détourné de façon répétée. Et pourtant, en dépit des infidélités du Peuple, Dieu est demeuré toujours fidèle. Il ne punit que pour les élever.
Après quarante ans dans le désert, ce qui était à la fois une punition et une préparation, Il les amène dans la Terre Promise. Par la suite, en raison de leurs infidélités répétées, Il les envoie en exil à Babylone – une autre punition mais également une autre préparation. Il les ramène en Terre Promise pour rebâtir le Temple et se préparer à la venue du Messie.
Au milieu des ces triomphes et de ces défaites, de ces chutes et de ces relèvements, Dieu, dans Sa providence aimante, est toujours en train de conduire Son Peuple vers une union plus grande et une communion plus profonde avec Lui. L’histoire judéo-chrétienne n’est pas « l’ancien mythe de l’éternel retour ». Nous ne sommes pas simplement en train de répéter le même cycle dénué de sens pour toute l’éternité. Nous sommes un peuple pèlerin, et bien que nous puissions reproduire tant et plus nombre des mêmes erreurs, Dieu nous dirige vers Lui.
Ces deux approches de l’Ancien Testament n’ont-elles pas quelque chose d’important à nous apprendre ? Pouvons-nous discerner la providence de Dieu à l’oeuvre en inspirant ces pères et docteurs de l’Eglise afin de nous enseigner à éviter deux erreurs opposées : imaginer d’un côté que l’histoire est supposée en continuel progrès, ou de l’autre qu’elle est seulement une série sans fin de cycles dénués de sens qui ne vont nulle part ?
Nous confessons de façon répétée les mêmes péchés, espérant mieux faire, pour nous retrouver finalement à les confesser de nouveau. Faisons-nous quelque progrès ?
Nous étions si fiers des papes Saint Jean-Paul le Grand et Benoît XVI. Il semblait y avoir « un nouveau printemps » pour l’Eglise. Et pourtant cette époque a été suivie par le « long carême » de McCarrick et Compagnie, et les gens demandent : « les choses ont-elles jamais été pires ? » (La réponse est oui, mais ce n’est pas une compétition.) L’Eglise est-elle foutue ? (La réponse est non, mais c’est seulement parce que l’Esprit-Saint veille.)
Nous progressons vraiment. Nous pouvons avoir l’espérance que l’Esprit-Saint nous change vraiment. Mais nous devons nous attendre à des revers. Nous aurons besoin de nous reprendre et de recommencer à nouveau encore et encore.
Un travail théologique immense a été fait durant le vingtième siècle, et nous avons été comblés avec quelques-uns des meilleurs papes que l’histoire ait connus. Notre compréhension de qui est Dieu et de la nature de la mission à laquelle Il nous appelle a progressé de façon merveilleuse depuis l’époque du concile de Nicée en 325 en passant par le Concile Vatican II. C’est un véritable progrès. Et pourtant, nous continuons à faire des erreurs, souvent pires que celles du passé.
S’il y a progrès, ce qui est indéniable, le mérite en revient à Dieu et non à nous. Nous, avec Saint Paul, nous devons admettre notre impuissance et nous tourner vers Lui pour obtenir le salut que nous savons être incapables de nous procurer par nous-mêmes. Nous sommes ici, comme le dit T.S. Eliot, « pour nous agenouiller la où la prière a été pertinente ».
…Et ce qu’il y a à conquérir
Par force et soumission, a déjà été découvert
Une fois ou deux, ou plus, par des hommes dont un ne pouvait espérer
Les inciter à l’imiter – mais ce n’est pas une compétition –
Il n’y a que le combat pour récupérer ce qui a été perdu
Et retrouvé, et de nouveau perdu, encore et encore. Mais peut-être n’y a-t-il ni gain ni perte.
Il ne nous est demandé que d’essayer. Le reste n’est pas notre affaire.
Randall B. Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston.
Illustration : « Allégorie de l’Ancien et du Nouveau Testaments » par Hans Holbein le Jeune, vers 1530 [Galerie Nationale Ecossaise, Edimbourg]. On voit le contraste entre l’Ancien Testament, la Loi (LEX) et le Nouveau Testament, la grâce (GRATIA). L’échec de l’homme (HOMO) a obéir aux commandements l’a conduit au péché (PECCATUM) et à la mort (MORS – le squelette). Mais l’homme, assis entre Isaïe et Jean-Baptiste, est pardonné (VICTORIA NOSTRA) par l’intermédiaire du Christ, l’Agneau de Dieu (AGNUS DEI).
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/11/25/progress-or-repeated-failure/