Par moments, la barque de Pierre est mise en péril par un océan démonté par la tempête et par des voyageurs à problèmes. Ces crises ébranlent grandement ceux qui sont unis dans la charité à l’Eglise et à sa mission de salut. Comme les disciples sur la mer de Galilée, ils s’écrient : « Seigneur, sauve-nous ! » Parfois la crise se dissipe alors que Jésus calme le vent et les vagues. D’autres fois, la crise s’intensifie et une autre requête – presque une accusation – est adoptée : « maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? » Nous devons apprendre à supporter les tempêtes avec le Seigneur, même lorsqu’Il tolère leur prolongation et la perte de biens précieux. Alors Sa paix nous préservera de l’amertume et du désespoir.
Nous savons que l’Eglise doit parfois souffrir au cours de son périple. Ces périodes peuvent conduire à la purification, comme lorsque la décadence a précédé l’essor des mouvements dominicain et franciscain au 13e siècle et la Contre-Réforme au 16e siècle.
Cependant toutes les tempêtes ne sont pas suivies d’un renouveau. L’Eglise d’Afrique du Nord s’est volatilisée après l’invasion arabe du 7e siècle et la conversion de la population à l’islam qui a suivi. L’Eglise Catholique a été presque entièrement détruite en Angleterre et en Scandinavie après la Réforme. Souvent avec la coopération des évêques et du clergé.
Le résultat de la crise actuelle de l’Eglise, qui s’étale sur des décennies et des siècles, ne peut pas être prédit. Que les Portes de l’Enfer ne prévalent pas ne garantit pas la survie de l’Eglise dans une société donnée ou avec un effectif considérable.
La défaillance et la faiblesse actuelles de l’Eglise comme institution dans les sociétés occidentales est difficile à supporter pour nous. Nous aimons le Seigneur, Son Evangile, Son Eglise et les façons dont nos peuples et nos sociétés en ont tiré bénéfice. Voir certains de nos êtres chers, voisins et chefs religieux déformer ou abandonner la vie donnée par Jésus est pour nous une épreuve qui, a juste titre, produit chagrin et colère.
Face à la tempête, nous voudrions croire que la prière et des efforts coordonnés peuvent garantir une issue favorable. Mais ce n’est pas vrai. Dieu ne nous octroie pas la capacité d’enlever tous les maux et de préserver tous les biens. L’expérience de cette limitation peut conduire à une frustration qui transforme le chagrin en désespoir et la colère en rage. Nous devons nous garder de ces amères conséquences.
La frustration est souvent nourrie de faux espoirs et de fausses craintes. Lesquels s’enracinent dans un attachement fallacieux à un bien particulier que nous voudrions voir accompli ou protégé du mal. Cet attachement fallacieux, en retour, déforme notre perception : nous croyons – à tort – que les gens et les situations sont ce que nous espérons ou craignons.
Cette illusion crée un optimisme ou un pessimisme déplacés qui conduisent respectivement à l’imprudence ou à la paralysie dans la poursuite ou la défense du bien. Puisque qu’aucune des attitudes ne correspond à la réalité de la situation, aucune n’est capable de traiter convenablement le mal qui nous cause souci. La faillite à résoudre le problème qui en résulte accroît notre frustration. Non maîtrisée, celle-ci engendre le désespoir ou la rage.
Pour abandonner l’illusion, nous devons d’abord être préparés à supporter la perte de biens – des biens ayant peut-être plus de valeur que la vie même. C’est seulement ainsi que nous serons libérés du faux espoir de préserver ces biens ou de la peur non fondée de leur perte. C’est seulement alors que nous trouverons une réponse réaliste au mal.
Dans la crise actuelle, tout en nous se révolte contre la permission de la profanation du Christ, de l’Evangile, de la vie chrétienne, de la dignité humaine et du ministère des prêtres, des évêques et des papes. Cela nous frappe comme une sorte de reddition, si ce n’est de trahison. Le mal, ici, semble intolérable et notre attachement au bien entièrement justifiable. Il semble impossible que Jésus nous demande cela.
C’est la crise interne à laquelle chacun de nous doit faire face, le moment où la crise de l’Eglise devient réellement nôtre. A ce moment-là, Jésus nous attire vers la Croix où Il se trouve. Il dit : « oui, je suis humilié, ma Parole est déformée et laissée de côté et je suis trahi et abandonné par les miens. Je supporte et accepte cela comme j’ai porté tes péchés et le mal que tu as commis innocemment. Je m’oppose à eux et je les souffre parce que je t’aime. Veux-tu me rejoindre dans cet amour, portant mes joies et mes peines, supportant le mal qui m’est fait ? »
Cette rencontre change tout sans affecter les circonstances extérieures ni promettre que tout se terminera bien avant le retour de Jésus. Avec Lui, nous pouvons accepter les erreurs ou les fautes chez les papes, les cardinaux, les évêques, les prêtres, les religieux, les laïcs. Nous pouvons supporter les représentations biaisées de la personne et du mode de vie du Christ. Nous pouvons tolérer la destruction de l’Eglise et de la culture chrétienne dans des lieux et à des époques spécifiques – même si ce sont les nôtres.
Ces maux sont cause de chagrin et de colère, mais non de désespoir et de rage. On peut les supporter parce qu’ils ne sous séparent pas du Christ ni ne détruisent notre Espérance. Quelle que soit la grandeur de la perte, le Christ et Son Eglise proclameront l’Evangile et entretiendront la vie chrétienne jusqu’à ce qu’Il revienne, quand bien même il ne resterait alors qu’un seul catholique.
En supportant les maux présents avec le Christ dans la certitude de Sa victoire, notre colère et notre chagrin au sujet des insultes envers Jésus, l’Eglise, l’Evangile et l’humanité ne sont plus déformés par une frustration née de notre imaginaire. Ils s’affinent dans une réponse stable au Christ, promouvant continuellement le bien, s’opposant au mal tout en le subissant, et pourtant prêts à perdre le bien ou à renverser le mal si Dieu nous appelle à cela. La paix de Dieu, exempte de toute amertume, règne alors dans nos cœurs souffrants.
C’est ainsi que Jésus est est demeuré exempt de désespoir ou de rage au milieu d’un peuple déchu et pécheur. C’est ainsi que Thomas More et John Fisher ont fait face à la destruction de l’Eglise d’Angleterre. C’est ainsi que Maximilien Kolbe et Edith Stein ont supporté l’envahissement de leur pays et la persécution de leur peuple. Et c’est ainsi que nous serons capables, avec patience, charité et force d’âme, de supporter la présente tempête aussi longtemps que le Christ permettra qu’elle dure.
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Le père Thimothy V. Vaverek a été prêtre du diocèse d’Austin (Texas) depuis 1985. Il est actuellement l’administrateur de la paroisse Sainte Marie de Gatesville.
Illustration : « Le Christ endormi dans sa barque » par Jules Joseph Meynier, vers 1870 [musée municipal de Cambrai]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/08/04/weathering-the-storm/
Pour aller plus loin :
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- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- Jean-Paul Hyvernat
- La France et le cœur de Jésus et Marie