La pleine compréhension de nos choix libres inclut la perception de leurs conséquences. Les actions que nous accomplissons ne sont ni bonnes ni mauvaises en raison de leurs seules conséquences ; mais ce que nous choisissons de faire affecte le monde en raison de la façon dont nos choix sont faits.
Nos choix libres constituent – comme le fait judicieusement remarquer Mgr. Robert Sokolowski dans « Moral Action » – « un repli sur soi ». Dès que nous constatons le résultat complet de nos actions, et la manière dont les conséquences découlent de nos intentions, nous comprenons pourquoi nous méritons d’être punis ou récompensés en fonction de la gravité et de la nature des choix que nous avons accomplis.
Nous aimerions croire que nos choix pécheurs n’ont aucun effet désastreux sur quiconque, en particulier sur nous-mêmes. C’est pourquoi nous insistons souvent pour appeler « bons » nos actes mauvais. Nous devons nous « justifier », nous-mêmes et devant le monde. En effet, tout ce que nous faisons est accompli en supposant qu’il est bon de le faire. Même si nous justifions les horreurs de l’avortement ou dénonçons les actions d’un innocent, nous le faisons sous le prétexte de faire quelque chose de « bien ». Nous devons alors nous conforter intellectuellement dans la position qui est celle de nommer « bien » ce qui est mal. C’est le moment où le mal entre dans nos âmes. C’est-à-dire que nous sommes conscients de ne pas agir en totale objectivité, mais nous persévérons et agissons quand même. Quelque chose qui devrait être ajouté demeure absent ; le mal est le manque de ce qui devrait être là, à savoir le bon ordre qui aurait été mis à cet endroit par un jugement éclairé.
Sidney Hook fait remarquer qu’il y a certaines choses que nous ne voudrions pas connaître d’un homme, par exemple qu’il a trahi son pays ou ses amis. Alors qu’aujourd’hui elles insistent souvent pour nous les révéler, nous ne désirons en général pas connaître les tendances déviantes des autres personnes sauf si c’était indispensable pour protéger autrui ou nous-mêmes. Mais lorsque nous connaissons parfaitement leurs conséquences, nous nous demandons si ces actes méritent une réponse. Devrions-nous les récompenser ou les punir ? Platon, dans le « Gorgias », était conscient que les actes mauvais devaient être punis. Autrement, le monde ne saurait pas que nous avons admis notre responsabilité dans le désordre apporté à nos âmes et, par leur intermédiaire, dans le monde.
Nigel Biggar écrit dans In Defense of War : « De la même façon que je crois à la méchanceté brute et incurable, je crois aussi que la punition est nécessaire et qu’elle comporte une dimension essentiellement rétributive… Je ne pense pas que la rétribution soit nécessairement une vengeance. Je la considère simplement comme une réponse hostile à des actes répréhensibles, qui pourrait et devrait être proportionnée.»
Calliclès, dans le « Gorgias », fut abasourdi d’entendre Socrate suggérer que celui qui commettait un crime ou un péché devait non seulement se repentir, mais aussi subir volontairement son châtiment. Il est bon que l’homme qui introduit le mal dans le monde puisse faire savoir au monde qu’il a changé, qu’il accepte désormais l’ordre qui convient en subissant lui-même le châtiment approprié. Cette pénitence n’est pas qu’une vengeance ; c’est ce qui est dû. C’est la meilleure manière de rétablir l’ordre des choses.
Nous vivons dans un monde empreint d’une miséricorde et d’une compassion qui cherchent à contourner la justice. Mais celui qui est traité avec miséricorde, celui à qui l’on pardonne, n’échappe pas aux conséquences de son acte désordonné. Le pardon est quelque chose qui est donné par celui que nous avons blessé.
La miséricorde ne peut être perçue que comme une étape dans l’atténuation des conséquences d’actes mauvais. Celui à qui l’on fait preuve de miséricorde doit réparer ses actes désordonnés. Cette reconnaissance de ses péchés n’est pas encore la punition. Payer une amende, passer du temps en prison, être limité dans ses déplacements ou au travail, sont des punitions infligées précisément au titre de la rétribution.
Nous ne pourrions pas savoir ce qu’est la miséricorde, ni le repentir, si nous vivions dans un monde dans lequel aucun mal ne pourrait arriver par la cause des hommes. Le chagrin est ce que nous ressentons lorsque nous voyons les conséquences de ce que nous avons fait. Nous devons « pardonner à ceux qui nous ont offensés ». Mais si nous sommes nous-mêmes les malfaiteurs, nous devons rétablir l’ordre dans notre être-même. Nous faisons cela en reconnaissant que nous avons tort, que l’ordre objectif était juste. Nous restaurons également ce qui est dû ; nous acceptons la punition que nos actes méritent.
Puisque nous pouvons nous repentir et reconnaître nos propres désordres, nous pouvons vivre dans un monde de pécheurs. Nos péchés peuvent causer beaucoup de dégâts, surtout à nous-mêmes. Pourtant, ils ne doivent pas nous anéantir. Le Christ est venu pour sauver les pécheurs, et non pas empêcher miraculeusement le péché d’advenir. Si nous sommes sauvés de nos péchés, nous voulons rétablir l’ordre que nous avons violé. Nous faisons cela en acceptant le châtiment qui est dû.
La distance entre les péchés commis et les péchés repentis, pardonnés et punis est donc infinie. C’est pourquoi il y a un Paradis et un Enfer, une Cité de Dieu et une cité terrestre.
Mardi 6 novembre 2018
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Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/11/06/on-retribution/
Illustration : Raskolnikov dans le grenier (d’après « Crime et châtiment » de Dostoïevski) par Fritz Eichenberg [Heritage Club, New York, 1938: The Annex Galleries, Santa Rosa, Californie]
James V. Schall, s.j., qui a été professeur à l’université de Georgetown pendant trente-cinq ans, est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques d’Amérique. Il est l’auteur de nombreux ouvrages.
Pour aller plus loin :
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918