Un pèlerinage à Orvieto - France Catholique
Edit Template
« Ô Marie conçue sans péché »
Edit Template

Un pèlerinage à Orvieto

Copier le lien

Bien qu’ayant vécu à Rome pendant quatre ans, et ayant eu la chance d’y revenir plusieurs fois, je n’étais jamais allé dans la charmante ville d’Orvieto, située à une heure de train environ. Heureu­sement, j’ai récemment eu l’occa­sion de remédier à cette grave faute.

La ville, qui remonte à l’époque étrusque, est perchée sur une haute falaise dominant la région envi­ron­nante du sud de l’Ombrie. On y accède par un funiculaire qui offre une vue aérienne de la ville et qui séduit davantage le pèlerin. En effet, c’était un pèlerinage auquel nous participions. Bref, mais riche et rempli de grâces.

J’ai voyagé avec un jeune prêtre nouvellement ordonné qui, bien que lui-même italien, n’avait jamais visité Orvieto. Ce qui nous avait poussés à venir était le fait que saint Thomas d’Aquin, alors qu’il enseignait la théologie au prieuré dominicain, y a composé l’office de la nouvelle fête du Corps du Christ. Les merveilleux poèmes-hymnes « Pange, lingua » et « Lauda, ​​Sion » ont jailli du cœur du « poète de l’Eucharistie », ainsi qu’a été surnommé Thomas.

Le premier de ces deux poèmes est une hymne au Corps glorieux et au Sang pré­cieux versé pour le salut du monde. Le second s’achève dans une louange au Christ vivant : « Toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. ». La vie présente et l’espérance future sont toutes les deux au cœur de la célébration de l’Eucha­ristie par Thomas.

Le grand spécialiste de saint Thomas, Jean-Pierre Torrell, op, écrit à propos de la réussite de Thomas dans la composition de ces hymnes : « Remplie du souvenir de la Passion, la célébration est entière­ment tournée vers la réali­sa­tion eschatologique, puisqu’il s’agit du gage (du “pignus”) de la gloire future. »

Le très intellectuel Aquinate de la Summa Theologiae expose dans ces hymnes, non seulement un désir intellectuel, mais un ardent désir d’amour. Nulle part, en effet, cette union n’est-elle exprimée de façon plus concise et plus harmo­nieuse que dans son antienne du « Magnificat » :

Ô banquet sacré où l’on reçoit le Christ  !

On célèbre le mémorial de sa passion,

l’âme est remplie de grâce et,

de la gloire future, le gage nous est donné.

Alléluia.

Il est donc tout à fait approprié que, dans la cathédrale d’Orvieto à la magni­fi­cence toute dépouillée, la chapelle du Saint-Sacrement abrite la relique du miracle eucharistique de Bolsena : le corporal taché de sang qui au XIIIe siècle à renforcé la foi eucharistique d’un prêtre pèlerin de Bohème. Bien qu’aucun lien ne soit vraiment établi entre l’institution de la fête du Corpus Christi et le miracle légendaire, leur proximité temporelle et géographique, ainsi que l’office composé par Thomas d’Aquin, montrent comment la piété populaire, la célébration liturgique et la poésie nourrie de théologie peuvent se rejoindre pour proclamer la présence réelle du Christ.

Mais un second « miracle » attend le pèlerin en visite à Orvieto. Dans l’autre chapelle de la cathédrale, celle qu’on appelle la « Cappella Nova », se trouvent les fresques extraordinaires du peintre de la Renaissance, Luca Signorelli. Ses grandes représentations de la prédication de l’Antéchrist, du Juge­ment dernier et de la Résurrection de la Chair ont clairement inspiré les chefs-d’œuvre de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.

La représentation de l’Antéchrist est d’une étonnante prouesse imaginative : sa figure ressemble beau­coup à celle du Christ, mais de manière légèrement défor­mée. Et, tout en prononçant les mots que le diable lui souffle à l’oreille, il attire ses auditeurs dans les vices mêmes qui dégradent la chair.

Par contre, la fresque de la Résurrection de la Chair est une affirmation glo­rieuse de la dignité et du destin de l’homme. Rester debout à contempler les corps ressuscités des justes, c’est se délecter de la vraie liberté de l’homme et de la femme, s’exprimant dans une joie sans bornes et dans une dans une com­munion généreuse. Les nouveaux ressuscités sont montrés en train de se débarrasser des sque­lettes de leur emprisonnement et émergent debout dans la nouvelle création. Ils s’aident mutuel­le­ment dans leur ascension et s’em­brassent dans une camaraderie chaste et vivifiante.

Tout autour de ses grandes fresques, Signorelli a représenté des figures de la littérature, à la fois classiques et plus contemporaines. L’une d’elles en par­ti­cu­lier semble particulièrement de circonstance : Dante Alighieri apparaît, compo­sant sa Divine Comédie. De circonstance, non seulement à cause de son explo­ration poétique de l’Enfer et du Paradis, mais également par sa géniale perspicacité concernant les caractéristiques constitutives de ces deux condi­tions. Les monumentaux « egos » de l’Enfer demeurent dans un isolement desséchant ; tandis que les joyeux habitants du Paradis exultent dans la louange et la communion mutuelles.

L’intuition de Dante est que la résurrection de la chair n’est pas un ajout facultatif à une âme autonome, mais est constitutive de l’épanouissement personnel et de la béatitude de soi. Car le corps sacramentalise la per­sonne avec ses relations qui forment sont identité. Le désir de la résurrection de la chair pour les âmes sauvées trouve son expression dans les mots que Dante met dans la bouche de Salomon, dans le « Chant du soleil ». Salomon évoque la gloire suprême qui accompagnera la résurrection de la chair : « et tous les saints, par le chœur de leur “Amen !”, expriment leur ardent désir d’être entière­­ment revêtus de leurs corps ressuscités ». Puis, dans ces lignes parmi les plus poignantes de la Divine comédie, Dante commente :

« Fors non pur per lor, ma per le mamme,

per li padri e per li altri fuor fuor cari

anzi che fossem sempiterne fiamme. »

.

« Non seulement, peut-être, pour eux, mais pour leurs mères,

pour leur pères, pour ceux qui leur furent si chers

avant de devenir des flambeaux éternels »

(Le Paradis, XIV, 64–66. Trad. Louis Ratisbonne).

En nous souvenant de la vision pénétrante de Signorelli et des paroles de Salomon qui retentissaient encore dans nos cœurs, nous avons ensemble, avec le jeune prêtre, célébré l’Eucharistie dans la chapelle du Saint-Sacrement. Pour moi personnellement, un moment particulièrement émouvant de la célé­bra­tion a été celui où j’ai entendu, dans le memento pour les morts, prononcer les noms « Giulia e Francesco » – ceux de ma mère et de mon père.

En ce jour des Défunts, nous prions pour la résurrection des corps et pour la vie éternelle, non seulement pour nous-mêmes mais, avec tendre amour, pour « nos mères et nos pères et tous ceux qui nous sont chers ».

P. Robert P. Imbelli

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/11/02/a-pilgrimage-to-orvieto/

Illustration : La Résurrection de la Chair de Luca Signorelli, 1500 [Duomo di Orvieto]

Robert Imbelli, prêtre de l’archidiocèse de New York, est professeur émérite agrégé de théologie au Boston College. Il est l’auteur de « Rethinking the Christic Imagination: Theological Meditations for the New Evangelization » (Réani­mer l’Imagination Christique : Méditations théologiques pour la nou­velle évangélisation).