Périodiquement, l’Amérique, comme les autres nations, passe par une convulsion de rancœur publique. Ce mot, trop rarement entendu dans nos discours publics, signifie amertume ou ressentiment (et il est intéressant de noter qu’il vient du latin « malodorant »).
La rancœur régnait dans le pays à l’époque de George Washington, durant la Guerre de Sécession et la reconstruction et ainsi de suite. Il n’y a jamais eu une période absolument paisible depuis, bien que certains temps aient été plus manifestement rancuniers que d’autres. Les médias ont toujours joué un rôle amplificateur du phénomène, et il est devenu particulièrement aigu de nos jours.
Mais le plus grand problème est que de nombreuses personnes, incluant de nombreux catholiques, sont tellement pris dans la frénésie actuelle qu’elle consume presque tout leur temps et leur énergie.
Les affaires sociales et politiques ne sont pas le but suprême de la vie. Le but suprême de la vie est que nous partagions « l’esprit du Christ » (1 Corinthiens 2:16). C’est cela qui mérite l’essentiel de notre attention. Dans le Nouveau Testament, Saint Paul parle fréquemment de « l’esprit ». Il écrit aux Philippiens : « dans vos relations mutuelles, ayez le même esprit que le Christ Jésus » (2:5)
Donc, dans l’esprit d’un baptisé, réfléchir au social et au politique est secondaire par rapport à sonder l’esprit du Christ, quelque chose qui exige une grande humilité et nous emmène bien loin du tintamarre de la société.
Cette attention ouvre à l’extraordinaire monde spirituel que le Christ est venu nous apporter. Il y a une vraie sérénité à réfléchir sur ce que le Christ enseigne, une alternative bienvenue à l’hostilité enragée du débat national. En outre, plonger dans l’esprit du Christ nous donne les outils appropriés pour entrer dans le débat national – quand et si nous avons à le faire.
Ce n’est pas une fuite dans la simple passivité. C’est s’atteler aux tâches vraiment chrétiennes. Par le baptême, le chrétien qui pense se voit présenter différents projets immédiats et urgents.
Tout d’abord, il a à poursuivre le processus de sa propre conversion. Elle ne se produit pas sans efforts de notre part. Paul expliquait aux Romains : « ne prenez pas modèle sur le monde présent, mais laissez Dieu vous transformer par un renouvellement complet de votre conscience. Vous serez alors capables de reconnaître Sa volonté, ce qui est bon, ce qui Lui plaît, ce qui est parfait » (Romains 12:2). Qui n’a pas besoin de passer plus de temps à se convertir méticuleusement et délibérément, quel que soit son âge ?
Dieu initie le processus. A travers la Lettre aux Hébreux, Dieu dit : « je mettrai mes lois dans leurs esprits et les graverai dans leurs cœurs » (8:10). Les lois concernant la famille, l’amitié, la politique et tout autre domaine de l’entreprise humaine viennent à être inscrites dans nos cœurs, par l’action de l’Esprit-Saint et nos propres efforts pour coopérer à l’œuvre de l’Esprit-Saint dans l’Eglise.
La référence aux esprits et aux cœurs signifie que nous devons connaître la loi de Dieu avant d’être en mesure de l’appliquer de manière fiable. Plonger dans l’esprit du Christ ne signifie pas uniquement prier. Cela signifie également lire les Ecritures et ce que l’Eglise a écrit – pas simplement dans le but d’obtenir un diplôme – mais pour goûter comment nous devrions comprendre la famille, l’amitié ou – Dieu nous aide ! – la politique. Lire la tradition nous amène face à la plénitude de la promesse de sorte que tous ces domaines soient illuminés par le Christ. Ce qui nous aide également à mieux prier, de façon que nous ne soyons pas simplement en train d’avoir une conversation avec nous-mêmes, ou en train d’être des auto-entrepreneurs «de spiritualité», mais d’authentiques auditeurs de Dieu.
Cependant, il y a un hic, quelque chose que Saint Paul déplore : « je vois une autre loi à l’œuvre en moi, faisant la guerre à la loi de mon esprit et me rendant prisonnier de la loi du péché à l’œuvre en moi » (Romains 7:23). La distraction que nous procure la participation à une discussion rancunière nous détourne du travail bien plus urgent d’échapper à la loi du péché, spécialement quand la conversation peut être péché par elle-même. Ce n’est pas un petit ouvrage et demandera des efforts authentiques – et de la perspicacité.
Paul a compris que nous devons vivre dans le monde avec amour et communiquer les uns avec les autres de manière aimante : « l’amour est patient, l’amour est aimable. Il n’est pas envieux, ni prétentieux, ni brutal, il ne cherche pas son propre intérêt, il n’est pas colérique, il ne médite pas le mal, il ne se réjouit pas du mal mais se réjouit de la vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (1 Corinthiens 13:4-7).
C’est peut-être la plus grande hymne d’amour de toute l’Ecriture. Il est à noter que chacun de ces comportements doit être appris, Sans cesse, nous devons réexaminer nos façons de faire – d’où l’examen de conscience journalier que tant de chrétiens pratiquent.
Quand nous travaillons constamment à notre conversion, nous devenons des îles chrétiennes de calme dans l’incendie de rancune qui nous entoure, plutôt que d’y verser davantage d’essence. Une leçon qu’il vaut vraiment la peine d’apprendre de nos jours.
Le père Bevil Bramwell, Oblat de Marie Immaculée, est l’ancien doyen de premier cycle de l’université catholique de Distance.
Illustration : « Le Christ dans la maison de Marthe et Marie » par Johannes Vermeer, 1655 [musée national d’Ecosse, Edimbourg]. Cette peinture est la plus grande de celles encore existantes de Vermeer.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/08/12/catholicism-in-a-rancorous-age/