Un jour, Henri David Thoreau disait : « Lisez les bons ouvrages en priorité, sinon vous risquez de ne jamais les lire. » Un bon conseil pour tous. Il fut un temps où lycées et universités d’Amérique suggéraient la lecture des meilleurs ouvrages. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les enseignants les appelaient grandes œuvres. Et pourtant, ces derniers temps, cet ensemble de textes — œuvres classiques de littérature, philosophie, histoire, culture — a été rejeté, enlevé de toutes les étapes du cursus éducatif.
Il est désormais inhabituel de voir un étudiant plongé dans la lecture, ne serait-ce que d’extraits, de textes d’importance. Résultat lamentable, nous avons des générations de jeunes adultes pratiquement écartés « des merveilles de la pensée et de son expression de par le monde. » [Matthe Arnold]
L’enseignement des grands textes a rétréci à un rythme effarant pour nombre de raisons, dont deux émergent. Pour de nombreux enseignants la lecture prend de plus en plus d’importance dans le domaine professionnel et la recherche d’emploi. De plus, l’enseignement des humanités a été démembré par les idées post-modernes, selon lesquelles les textes sont instables, peu significatifs, et sans relation avec la vérité.
Dans les Universités, les grands écrits sont souvent décortiqués selon la race, le genre, l’orientation sexuelle. Après plusieurs décennies d’un tel massacre idéologique, les étudiants et leurs parents ont sagement conclu que les humanités sont trop politiques et incongrues, et ont opté en majorité vers des matières plus sensées, plus pratiques.
Mais pourquoi donc se pencher sur les grands écrits? Saint Augustin d’Hippone [Annaba] donne une réponse cohérente, rationnelle. Les motifs souvent invoqués ces jours pour lire les grands écrits — bien présentés, bien charpentés, culturellement sensés — sont pour St. Augustin incohérents ou trompeurs. Selon lui, on lit les grandes œuvres pour se développer l’esprit. Lire pour un autre motif que la recherche de la sagesse est inutile.
Les Confessions sont un écrit traitant des écrits. Augustin mesure son progrès spirituel et sa conversion tant par ses lectures que par son comportement : la lecture éclaire, explique son cheminement dans la conversion. Il évoque le débutss de sa formation littéraire par la lecture de Virgile, Homère, Térence, Cicéron, Aristote, Plotin, Porphyre, et des écrits de Mani (Fondateur de la doctrine Gnostique Manichéenne, à laquelle il adhéra longuement.).
Il apprit à pleurer sur le sort de Didon dans l’Énéide, et papillonna de la littérature à la philosophie — en particulier chez les néo-Platoniciens. Augustin se lança dans la lente ascension du concret (en littérature) à l’abstrait (domaine de la philosophie)
L’épisode le plus spectaculaire des Confessions saisit merveilleusement pourquoi nous lisons, et où la lecture peut nous entraîner. Saint Ambrose, évêque de Milan, eut une grande influence sur Augustin et l’attira puissamment vers le christianisme. Par la prière et les études Augustin s’approcha de la pleine conversion au Christianisme, mais sentit le tourment de ses péchés, spécialement de la chair, domaine où il est étonnamment naïf. Bien des gens n’ayant jamais lu les Confessions connaissent néanmoins sa prière, « que Dieu le rende chaste, mais pas tout de suite ».
Peu avant sa conversion, moment crucial, Augustin relate un évènement profondément ressenti dans la lecture :
« pleurant du fond de mon cœur, j’ai soudain entendu une voix venant de la maison voisine, chantonnant et me répétant sans cesse : prends ton livre, et lis, lis, lis… ».
Pour Augustin, cette voix porte le conseil divin d’ouvrir l’ouvrage qu’il tient, l’Épitre de Paul aux Romains : « …revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ et ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises. » [Rm, 13-14]. Commentaire d’Augustin, étonnamment bref : « je n’ai jamais souhaité, ni éprouvé, le besoin d’en lire davantage. » Ce texte l’avait mis sur la voie immédiate de la paix et de la conversion.
L’homme ne lit pas seulement pour son information, sa culture, son savoir-faire — les vrais motifs sont bien plus profonds. Vers la fin des Confessions Augustin s’exclame : « Laisse-moi, Seigneur, t’avouer ce que je découvre dans Ton Livre. » Cette prière est une clé pour interpréter l’autobiographie d’Augustin. La lecture des grands ouvrages au fil de longues années a fait cultiver par Augustin une forme de sagesse l’incitant à se pencher sur LE Livre — parole de Dieu — qui, lu avec attention, transforme l’âme et lui apporte le salut.
L’éminent théoricien littéraire moderne René Girard, réfléchissant sur la lecture et la conversion, reconnaissait : « la grande littérature m’a littéralement amené au Christianisme. Ce n’est pas un itinéraire original, il survient tous les jours,, et il en est ainsi depuis les débuts du Christianisme. Augustin l’a découvert, bien sûr. Il a touché nombre de grands Saints tels Saint François d’Assise et Sainte Thérèse d’Avila qui, comme Don Quichotte, était fascinée par les romans de chevalerie. » En compagnie de Girard et d’Augustin, je suggère la lecture des grandes œuvres qui nous emmènent vers la vérité.
Lus sérieusement, les grands ouvrages nous inspirent doute, recherche, soif de savoir, mais, et c’est le plus important, la quête de la sagesse. Ce n’est pas un simple exercice dans un but pratique. La lecture des grandes œuvres nous enseigne l’humilité, une meilleure connaissance de soi, la docilité, l’attention.
Lire ainsi peut nous apprendre et lire le Livre. Si nous recevons une grâce spéciale, nous pouvons alors dire avec Augustin lors d’une étape de notre vie : « Permets, Seigneur, que je proclame ce que je récolte dans Ton Livre. » S’il en est ainsi, je ne vois guère de meilleur motif incitant à lire les grandes œuvres.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/07/12/st-augustine-on-why-we-read/
Illustration : St. Augustin lisant l’Épitre de St. Paul – Benozzo Gozzoli, vers 1463 – Églie Saint Augustin, San Gimignano (Italie)
Pour aller plus loin :
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité