L’histoire de deux femmes - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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L’histoire de deux femmes

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Si vous mentionnez le nom de Flannery O’Connor, beaucoup de gens vous diront qu’ils n’aiment pas ses histoires parce qu’elles sont si bizarres, quelques fois même macabres. Une des histoires qui vient immédiatement à l’esprit est « Il est difficile de trouver un homme bon », au sujet d’une famille en panne au bord de la route et qui subit une mort violente aux mains d’un assassin nommé l’Inadapté.

Il y a aussi l’inoubliable moment dans « Révélation », où une étudiante universitaire lance un livre de textes à la tête de Madame Turpin, femme qui a de profonds préjugés et se considère comme bonne chrétienne.
Lorsque je préparais ma licence d’anglais et que je lisais les histoires de F. O’Connor, mon professeur approfondissait les moments choquants de sa fiction sans mentionner que cet écrivain du Sud des Etats-Unis (morte en 1964) était une catholique fidèle et qu’elle utilisait la violence pour préparer ses personnages à leur moment de grâce. Comme elle le disait, « Mon sujet dans la fiction est l’action de la grâce dans un territoire tenu largement par le diable. »

F. O’Connor communiait tous les jours et lisait la Liturgie des Heures, défendait le catholicisme dans ses lettres, et écrivait des critiques de livres pour le journal diocésain. Et elle aimait beaucoup Sainte Thérèse de Lisieux, connue sous le nom de « La petite fleur », qui est entrée au couvent en 1873 à l’âge de quinze ans et est morte neuf ans plus tard.

Pourtant, la petite religieuse française et l’auteur du Sud de l’Amérique qui ne mâchait pas ses mots avaient beaucoup de choses en commun. Les descriptions des personnages de bleds des histoires de F. O’Connor faisaient pleurer de rire ses lecteurs, tandis que Thérèse amusait les religieuses en imitant les manières hilarantes d’autres personnes.
Les deux femmes se sont battues contre des maladies terribles qui ont sévèrement limité leur vie.

F. O’Connor était tellement handicapée par un lupus qu’elle avait contracté à l’âge de vingt-cinq ans, qu’elle disait : «  Je ne peux même pas m’agenouiller pour dire mes prières. » Thérèse a combattu la tuberculose dont elle est finalement morte après avoir souffert longtemps et intensément.

F. O’Connor acceptait ses restrictions physiques comme étant la volonté de Dieu et imitait la petite voie de Thérèse, chemin révolutionnaire vers le Christ. Comme elle vivait derrière les murs d’un couvent et qu’elle était malade, Thérèse a décidé qu’elle ne pouvait pas accomplir de grands exploits spirituels, alors elle a inventé un humble chemin basé sur les mots de Jésus : «  A moins que vous ne deveniez comme ces petits enfants, vous n’entrerez jamais dans le royaume des cieux. »

La petite voie d’enfance spirituelle consistait à faire de petits sacrifices, à chaque moment, par amour pour Dieu. Par exemple, il y avait une religieuse dont la personnalité irritait beaucoup Thérèse, mais plutôt que de montrer ses sentiments, Thérèse traitait la femme avec amour – et elle le faisait si bien que la femme pensait qu’elle était la préférée de Thérèse.

F. O’Connor faisait ses sacrifices depuis sa chambre dans la ferme Andalusia à Milledgeville, Géorgie, où elle travaillait à ses histoires et pondait des centaines de lettres, malgré la fatigue occasionnée par sa maladie. Parfois une seule lettre, composée avec compassion et sollicitude, pouvait encourager quelqu’un aux prises avec des doutes sur sa foi.

F. O’Connor se hérissait devant les descriptions de saints qui les rendaient d’une sainteté impossible et d’une douceur écœurante. L’un d’eux, d’après elle, était Sainte Thérèse, souvent représentée entourée de bancs de roses avec un sourire pieux.

En 1956, Flannery O’Connor a écrit une revue pour The Bulletin, le journal diocésain d’Atlanta, faisant l’éloge d’un livre, Two Portraits de St Thérèse of Lisieux d’Etienne Robo, parce qu’il n’avait pas parlé des fleurs « et autres fioritures » et d’avoir au contraire décrit la sainte dans sa « terrible grandeur très humaine. »

Elle a déclaré ironiquement : « Ceux d’entre nous qui ont été repoussés par les portraits populaires de la vie de Sainte Thérèse de Lisieux et en même temps attirés par sa volonté de fer et son héroïsme… seront heureux d’apprendre que cette réaction… n’est pas tout à fait perverse. »

L’esprit héroïque de Thérèse s’est particulièrement montré à la fin de sa vie quand ses souffrances étaient si grandes qu’elle admettait franchement que, sans sa foi dans le Christ, elle se serait suicidée. Elle n’a pas vécu assez longtemps pour voir les images pieuses la représentant comme une douce jeune fille sereine qui semblait loin des tribulations du monde. Mais il est probable qu’elle aurait été de l’avis de F. O’Connor que ces représentations ne décrivent pas les véritables cœurs et âmes des saints.

Après tout, Thérèse a exprimé une fois sa consternation en entendant des sermons qui montraient la Vierge Marie si différente des êtres humains ordinaires « qu’ils l’élevaient autant hors de notre amour que hors de notre imitation. »

La volonté remarquable de Thérèse se voit dans un passage de son autobiographie, Histoire d’une âme, où elle écrit au sujet d’une religieuse qui troublait le silence de la chapelle, rendant Thérèse presque folle en faisant un « drôle de petit bruit » (peut-être avec ses dents), qui ressemblait à deux coquilles frottées ensemble.

Au lieu de sortir en courant, Thérèse s’est appliquée à écouter le bruit comme si c’était une musique : « Toute ma méditation s’est passée à offrir ce concert à Jésus. »

Certains catholiques espèrent que F. O’Connor suivra les pas de Thérèse et sera déclarée sainte. Mais F. O’Connor elle-même avait peu de patience pour ceux qui la louaient comme une sainte « Je ne mène pas une vie sainte, » déclarait-elle carrément.

Dans cet humble évaluation de sa vie, elle a autre chose en commun avec Thérèse, qui doutait d’être jamais appelée sainte. Thérèse avouait qu’elle trouvait la même différence entre elle-même et les saints qu’ « entre une montagne dont le sommet est perdu dans les nuages et un humble grain de sable sur lequel marchent les gens. »

Mais le fait est que c’est avec des matériaux aussi humbles que les grands saints sont faits – des saints en même temps semblables et tout à fait différents l’un de l’autre – ce qui devrait être une consolation et un guide pour nous tous.

Le 9 août 2018

https://www.thecatholicthing.org/2018/08/09/a-tale-of-two-women/

Photo : Flannery O’Connor.