Le Vatican a annoncé que Paul VI et l’archevêque Oscar Romero seraient canonisés en octobre 2018. Ma réaction immédiate, dans les deux cas, a été la satisfaction – bien que j’aie essayé de m’expliquer exactement pourquoi.
Il est certain que les saints peuvent avoir de sérieux défauts. Les apôtres ont abandonné Jésus quand Il avait le plus besoin d’eux, et Pierre a même nié le connaître. Mais nous sentons qu’il devait en être ainsi : il fallait que Jésus soit abandonné par l’humanité entière, et, semble –t-il pratiquement aussi par le Père, pour atteindre au plus profond – et de ce fait, ramener tout et tout le monde.
Des saints plus récents, cependant, peuvent nous donner à réfléchir. A propos de Paul VI par exemple – à mon avis – il y a beaucoup de choses dont la valeur est douteuse. Un homme prudent par nature, il a reçu Vatican II sur ses genoux à la mort de Jean XXIII, quand il a été élu pape. Cela, et tout le désordre des années 1960 et des premières années de 1970 n’était pas quelque chose à quoi un homme de son caractère et de sa formation était bien en mesure de faire face. Cependant, il avait été élu pape. Amletico – « dans le genre d’Hamlet » par son indécision – est une phrase que j’ai entendu les Italiens prononcer à son sujet.
Et ils ont sûrement raison dans une certaine mesure. Il s’est autorisé à être utilisé – et ouvertement trompé – par des réformateurs liturgiques comme Annibale Bugnini. (Dans ses mémoires, Louis Bouyer appelle Bugnini « un homme aussi dépourvu de culture que d’honnêteté basique). Quand Paul VI y a finalement vu clair, il a envoyé à Bugnini comme pro-nonoce – en Iran. Mais il était trop tard. Notre liturgie était ruinée et reste encore en attente de renouveau.
Paul VI était également profondément naïf, je crois, à propos des affaire mondiales. Populorum progressio (1967) est une concoction Jeckyll/Hyde : Saine dans ses principes sociaux, mais progressiste au point d’en devenir inutile dans sa politique de recommandations (gratuites). Heureusement tout ceci a disparu sans faire beaucoup d’effet.
Mais juste l’année suivante, Paul VI a sorti Humanae Vitae. Son hésitation « à la Hamlet » à propos de sa décision, a probablement rendu la réaction pire qu’elle n’aurait dû l’être. Pourtant il a fait ce qu’il fallait, héroïquement, alors que presque tout le monde lui disait qu’il avait tort. Si l’Eglise avait cédé sur la contraception, le mariage et la famille auraient suivi rapidement – comme c’est arrivé dans les Églises chrétiennes libérales.
A Dieu ne plaise qu’après tout cela, nous voyions un « nouveau paradigme » pour relire cette encyclique à l’occasion de son cinquantième anniversaire.
J’étais étudiant Fulbright en Italie l’année de la mort de de Paul VI, et j’ai emmené ma femme et mes parents voir sa dépouille très mal embaumée, en l’état. Même là, j’ai ressenti qu’il était au fond de lui un homme très bon, qui a résisté à une erreur fatale, presque tout seul. La procédure de canonisation et les miracles semblent le confirmer.
C’était un homme hors de son temps, et il est difficile de dire pourquoi le Saint Esprit a guidé les électeurs du pape vers lui. Mais en dehors des controverses et des erreurs, il a gardé sa tête ferme sur les principaux sujets alors qu’autour de lui, tout le monde la perdait.
Mes attitudes par rapport à Oscar Romero ont été très différentes – et changeantes. Il fut assassiné en 1980, quelques années avant que je déménage pour Washington. Inévitablement pendant ces années de guerre froide, et à proximité des guerres du Salvador, du Nicaragua, du Chili, de l’Angola, du Mozambique, dEthiopie, et de bien d’autres pays, on avait tendance à juger les actes d’un chef selon leur implication dans la grande division Est/Ouest.
Je ne savais pas grand-chose sur Romero, sauf qu’il était un héros pour des gens dont j’estimais qu’ils pensaient de travers sur à peu près toutes les questions politiques. Je supposais qu’il était du même moule.
Vingt ans plus tard, Quand j’ai écrit mon livre sur les Martyrs catholiques du vingtième siècle, j’ai découvert que je me trompais. D’une certaine manière, Romero, comme Paul VI, était un homme mal adapté à la crise dans laquelle il s’est trouvé. Il venait qu’un milieu très modeste au Salvador, et s’est élevé à la direction du simple fait de son intelligence et de ses capacités.
Malheureusement, cela a impliqué qu’il s’est trouvé carrément au centre d’un conflit armé entre les guérilleros marxistes et une oligarchie prospère qui ne reculait pas devant le fait d’utiliser des escadrons de la mort privés pour réprimer les révolutionnaires.
Sa stabilité mentale et émotionnelle en souffrit. Il suivit un soutien psychologique – Jean Paul II l’appela à Rome plusieurs fois pour le fortifier dans la lutte. Juste avant qu’il ne soit fusillé par un assassin paramilitaire pendant qu’il célébrait la messe dans un centre pour cancéreux, il avait fait une retraite locale avec l’Opus Dei – ce qui n’est pas exactement un foyer de la théologie de la libération de l’avis des Latino-Américains.
Quand j’ai lu sérieusement ce qui concernait sa vie, j’ai découvert plusieurs choses que je n’avais pas soupçonnées auparavant. Bien sûr il ne savait pas ce qu’il fallait faire avec El Salvador. Personne ne le savait. Certains de ses prêtres avaient pris un mauvais tournant et prêchaient le marxisme. Il a essayé de les ramener en arrière mais les escadrons de la mort en ont fait tomber plusieurs. D’un autre côté, Romero savait que le marxisme n’apporterait rien de bon aux gens.
Si on lit ses sermons et ses lettres pastorales, il suit une très belle ligne : il dénonce avec vérité la répression et l’injustice des clans au pouvoir mais également la violence et les dangers idéologiques des guérillas marxistes.
J’ai fait très attention à ne pas canoniser Romero dans mon livre – c’était le rôle de Rome. Bien qu’il ait été traduit dans de nombreuses langues, il ne l’a jamais été en espagnol – d’après mes amis latinos américains, c’est à cause de mes pages quelque peu sympathiques pour Romero. Et mon chapitre sur les martyrs de la révolution espagnole a déplu aux maisons d’édition de gauche. Voilà les divisions idéologiques, même dans l’Eglise !
Toutefois, c’est de la myopie de tout voir en termes d’idéologie et de politique, et spécialement les déclarations de sainteté. Le Vatican a sans aucun doute des raisons complexes pour canoniser ces deux hommes, juste maintenant. Ce sont des réflexions pour un autre jour.
Car maintenant, il est simplement bon que ces deux camarades chrétiens, qui ont vécu des moments parmi les pires des dernières décades à la fois pour l’Eglise et pour le monde, doivent être déclarés saints. Et nous, qui faisons également face à des temps profondément troublés, nous pourrons leur demander de prier pour nous.
12 Mars 2018
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/03/12/new-saints-paul-vi-and-oscar-romero/