Considérons la rébellion des Israélites au Mont Sinaï (Exode 32). Le Dieu qui les avait un jour impressionnés avec le tonnerre, les éclairs est devenu mystérieusement silencieux, tranquille et lent à répondre. Ils ont attendu pendant des jours mais n’ont aucun signe de Moïse, Son messager. Il est temps de reprendre les choses en main. Donc ils façonnent un dieu à leur guise, un qu’ils peuvent voir et auquel ils ont immédiatement accès. Ensuite ils se lancent dans de si bruyantes festivités que le pauvre Josué croit à tort à une bataille là en bas. « Il y a un bruit de guerre dans le camp » dit-il innocemment à Moïse. Eh non, c’est juste le vacarme d’une adoration mondaine.
Elisée a rencontré la même chez les prophètes de Baal (1 Rois 18). Leur culte était un spectacle. Ils bondissaient autour de l’autel, se tailladaient avec des couteaux et des épées, tenaient des propos incohérents et hurlaient vers leur dieu. Ils voulaient une réponse rapide et marquante. Ils n’en ont eu aucune. C’est la prière patiente et tranquille d’Elisée qui a gagné l’oreille du vrai Dieu. Plus tard, au Mont Sinaï, le prophète a appris de première main que Dieu n’est pas dans ce qui est énorme, bruyant et rapide – ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu ni dans la tempête – mais dans une petite voix tranquille (1 Rois 19).
Nous ne sommes pas différents des Israélites. Nous exigeons que Dieu soit tel que nous le voulons : grand, bruyant, efficace. Grand et évident, afin que nous n’ayons pas à marcher par la foi. Bruyant afin que nous puissions l’entendre et ne pas être mis à l’épreuve par le silence. Efficace, pour ne pas avoir à supporter l’attente. Notre adoration et notre culture font de même. De vrai, peu de choses sont plus évidentes que l’addiction de notre culture au spectacle, au bruit et à la satisfaction immédiate.
Par contre, Dieu nous donne deux paraboles sur le Royaume de Dieu : la semence répandue dans le champ et la graine de moutarde (Marc 4:26-34). Elles nous frappent là où nous vivons. Elles exigent de nous que nous nous détachions du grand, du bruyant, de l’efficace pour nous accoutumer au caché, au silencieux, au lent.
Le Royaume a d’abord une croissance silencieuse et cachée. Il est comme cette semence éparpillée dans le champ et qui germe et grandit d’elle même, le semeur ne sachant pas comment. La croissance est inaudible et invisible, au-delà de notre atteinte et de notre contrôle. Elle requiert la foi que le Seigneur est vraiment à l’œuvre et la confiance que, selon les mots de Romano Guardini, « les forces du silence sont les forces les plus puissantes ».
Le Royaume grandit à son propre rythme, qui n’est pas celui du semeur. C’est un appel à la patience. Nous ne pouvons pas le commander ou lui fixer un horaire. C’est notre planification qui doit s’adapter à son rythme. De plus, le Royaume est petit – comme la plus petite des semences qui, une fois semée, « pousse pour devenir la plus grande des plantes potagères et étend de grandes branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. » Nous préférons quelque chose de plus assuré, quelque chose de grand et de clairement puissant. Mais ici nous devons faire confiance en la fécondité de ce qui apparaît comme tout à fait insuffisant.
Ces paraboles nous procurent une leçon, d’abord sur le Royaume à l’intérieur de nous, l’œuvre de Sa grâce en nos âmes. Nous aimerions que le résultat soit instantané et évident. Mais la grâce est plantée en nous comme une graine – petite, silencieuse et grandissant lentement. Dieu nous appelle à faire confiance et à patienter. Oui, le Seigneur opère des miracles pour certains – une guérison immédiate, peut-être, ou une conversion soudaine. Mais Il réalise l’extraordinaire uniquement pour nous rappeler ce que Sa grâce accomplit pour tous de sa manière ordinaire, lente et cachée.
Ces paraboles captent également l’esprit de l’adoration catholique, qui en fin de compte n’est pas démesurée, bruyante et efficace, mais simple, silencieuse et lente. Même si nous ornons la messe avec des hymnes triomphantes, des cloches et de l’encens, le cœur de l’adoration consiste, non dans son volume sonore ou son efficacité, mais dans la simple et blanche hostie silencieusement levée vers le Père.
Sous les apparences du pain, Il est, comme le dit Saint Thomas d’Aquin, ‘latens Deitas… vere latitas’ – le Dieu caché vraiment caché. De fait, même la musique de notre culte est calme. Le chant grégorien est propre à la liturgie précisément parce que c’est une musique calme et calmante, qui incline nos cœurs vers le Dieu silencieux.
Ces paraboles nous enseignent également aussi sur la prière personnelle. Dieu a l’intention de faire grandir notre foi, notre confiance, notre patience. Nous avons à offrir nos prières comme le semeur prodigue la semence, faisant confiance en cette croissance cachée. Nous répandons nos minuscules petites prières avec foi, confiant que d’une manière ou d’une autre elles porteront du fruit, nous ne savons pas comment. Et bien que le Seigneur puisse de temps en temps répondre rapidement, parfois même immédiatement, Il le fait seulement pour fortifier et encourager une plus grande confiance en Sa réponse lente et solide.
Pour finir, chaque parabole du Royaume décrit Notre Seigneur Lui-même. De la grotte de Bethléem à la tombe du calvaire, Jésus est le petit, le calme, le silencieux. De fait, c’est précisément parce qu’Il ne voulait pas se porter témoignage à Lui-même – c’est-à-dire manifester Sa divinité selon les standards du monde – qu’Il a été condamné.
Il vit et meurt dans l’obscurité. Crucifié et enseveli, Il est Lui-même la petite semence jetée en terre qui porte du fruit en abondance. Il est silencieusement placé en terre pour engendrer la vie, nous ne savons pas comment. Même dans Sa résurrection, Il observe ce schéma, apparaissant sans fanfare et parfois caché même pour ceux qui L’aiment.
C’est seulement en gardant ces paraboles et en nous accoutumant au silence du Seigneur que nous en viendrons, de façon secrète, à le connaître.
Le père Paul Scalia est prêtre du diocèse d’Arlington (Virginie), où il est vicaire épiscopal.
Illustration : « Le semeur » par Vincent van Gogh, juin 1888 [musée Kröller-Müller, Otterlo, Pays-Bas]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/06/17/small-silent-still/