L’odyssée de l’Aquarius avec ses 629 rescapés à travers la Méditerranée a immédiatement suscité en moi le souvenir de l’Exodus. Laurent Joffrin de Libération a eu la même intuition et il ne doit pas être le seul. Tous ceux qui ont vu le film inspiré par l’épopée de ces milliers de rescapés de la Shoah n’ont pu s’empêcher de faire le rapprochement entre deux bateaux également interdits de destination dans la Méditerranée. Certes les circonstances diffèrent complètement ainsi que les enjeux. Mais se pourrait-il que l’Aquarius finisse par jouer un rôle symbolique et politique analogue à l’Exodus, en dépit du dénouement beaucoup plus rapide de son aventure ? L’Exodus s’est identifié à la naissance d’Israël. L’Aquarius sera-t-il à l’origine d’une réorientation fondamentale de la politique européenne en Méditerranée, avec la gestion des migrants ?
D’évidence, rien n’est joué et il est fort possible que l’Europe ne parvienne pas à régler ses désaccords, ce qui serait extrêmement fâcheux. Mais par ailleurs, le terrible Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur italien, qui s’est montré inflexible dans son refus d’accueillir les malheureux recueillis par l’équipage de l’Aquarius a d’ores et déjà remporté une victoire. Il n’est pas possible de laisser la seule Italie (avec la Grèce) en raison de leur situation géographique supporter le poids exclusif des mouvements migratoires en Méditerranée. Les autres pays européens ne peuvent plus faire le gros dos.
Pour autant, l’émotion réelle qu’a suscité en quelques jours le sort de l’Aquarius pourra-t-il réellement signifier un improbable dénouement dans un drame dont on ne voit pas la conclusion ? Les naufragés de l’Exodus ont obtenu une victoire éclatante, car ils ont aidé à la naissance de l’État d’Israël. Il n’y a pas de débouché analogue pour les naufragés de l’Aquarius, même s’ils parviennent à trouver refuge dans les pays européens. Leur sort ne préjuge nullement de celui des centaines de milliers de candidats à l’exode qui méditent de quitter l’Afrique. Et par ailleurs, les associations humanitaires qui opèrent les sauvetages risquent d’être fragilisées par le coup de force de Matteo Salvini, ne serait-ce qu’à cause du désengagement prévisible de certains opérateurs privés. Non, l’Aquarius n’est pas l’Exodus et nous nous retrouvons tous devant un énorme défi, un des plus importants du XXIe siècle.