Malgré les critiques qui sont faites de l’aide à l’étranger celle-ci continue à se déverser – même si ses effets ont finalement été négatifs. Une charité authentique ne consiste jamais à occuper un siège à l’arrière. Mais à un certain degré, quand une évidence indique abondamment qu’une intervention donnée est surtout contre-productive, on devrait répondre à des questions qui font réfléchir : qu’est-on vraiment en train de faire ici ? N’y a-t-il pas de meilleures approches ?
Dès les années 1970, l’économiste anglais Peter Bauer qualifiait de condescendante l’idée que l’aide était indispensable au développement ; il critiquait le terme même d’”aide” qui évoque simplement un acte de bienveillance que seul un avare pourrait contester. Alors qu’en pratique l’usage du terme donne un caractère politique à la sphère économique et étouffe les énergies créatives humaines qui sont si cruciales pour le développement. C’est à Bauer qu’on doit le jugement mémorable que, fondamentalement, l’aide se ramène à “une excellente méthode pour transférer l’argent de gens pauvres de pays riches à des gens riches de pays pauvres.”
Dans son livre de 2006, Le fardeau de l’homme blanc : Pourquoi les efforts de l’Occident pour aider le reste du monde ont fait tant de mal et si peu de bien, William Easterly fait une remarque absolument fondamentale (pour ceux qui savent réellement quelque chose des programmes d’aide extérieure) : aucun pays n’a été soulagé de la pauvreté grâce à l’aide extérieure. Et certains pays pauvres sont parvenus à la prospérité sans elle.
Utilisant la forme de logique qui fut autrefois jadis à lamode, Easterly conclut donc que l’aide n’est ni suffisante ni nécessaire pour améliorer les conditions de vie matérielles. Dans son best-seller Dead Aid ( “Aide morte”) l’économiste zambien Dambisa Moyo a amplifié ces objections : une aide d’un milliard de dollars sur un demi-siècle empire réellement la situation.
Un livre nouveau, bien argumenté, de la Nigériane Ovbianuju Ekeocha fait écho à ces critiques justifiées mais va plus loin en prenant des voies importantes et inédites. Ce qui est évident dès le titre : Target Africa – Ideological Neocolonialism in the Twenty-First Century [“Cible Afrique -néocolonialisme idéologique au XXIe siècle”].
Le point sur lequel elle met l’accent de façon plus significative que ses prédecesseurs est la dimension idéologique considérable du programme d’aide extérieure. Depuis quand l’aide “humanitaire” implique-t-elle que les Africains se soumettent à l’imposition d’attitudes et de pratiques occidentales corrosives et qui leur sont étrangères concernant la sexualité et la famille ?
Elkeocha écrit judicieusement que si ses voisins perdaient leur maison dans un incendie, elle ne leur refilerait pas, avec la nourriture et les couvertures, des contraceptifs. Ce serait considéré comme insultant. Aussi pourquoi cela devrait-il se produire en masse quand il s’agit d’”aide” occidentale à l’Afrique?
C’est une question vraiment humaine qui est néanmoins perdue de vue par nos soi-disant “humanitaires”. Ils ont décidé qu’il y a un “besoin non encore résolu” de formules et de procédures pour limiter la dimension de la famille. C’est ainsi.
Elle démasque des termes comme “besoin non encore résolu” pour ce qu’ils sont en réalité : une façon de cacher les moeurs destructives de l’Occident que les Africains trouvent à juste titre perturbateurs. Apparemment, le colonialisme ne doit être condamné qu’au passé; en réalité nous sommes persuadés que ce que nous avons substitué de façon nihiliste à ce que nous avons rejeté – le christianisme – il faut l’exporter avec un zèle missionnaire.
En soixante-quinze ans environ les fonds réservés pour le “contrôle des naissances” ont monté en flèche depuis qu’une conférence des Nations Unies au Caire a cherché des “solutions” au “problème” de la population. Depuis quelques années, 71% de ces fonds coulent vers l’Afrique. Des sortes de cliniques du Planning familial ont tendance à être situées dans le voisinage de certaines minorités.
Le livre est chargé de faits et de figures qui font plus que démontrer que l’Afrique est dans la ligne de mire de la “communauté” de l’aide internationale. Si vous vous demandez pourquoi tout ceci est ignoré, demandez-vous pourquoi vous avez entendu parler des joueurs de la National Football League qui s’agenouillent pendant l’hymne national et non du joueur de la même NFL, Ben Watson, qui utilise aussi sa “plateforme” pour désigner l’avortement comme la “dernière forme du racisme”.
Non seulement il y a plus d’avortements que de naissances parmi les noirs, mais le nombre de vies noires interrompues par l’avortement dépasse aussi les 15 principales causes de mort pour l’ensemble des Africains-Américains. Kanye West ne pourrait-il pas aussi tweeter à ce sujet ?
Ekechoa ne cache pas le fait gênant que la corruption africaine est une grande partie du problème : elle sait que l’avenir sera sinistre si cela ne change pas. Il lui était aussi pénible de réaliser qu’il y a des chefs africains influents qui sont “personnellement opposés” à la culture de mort occidentale mais qui approuvent parce qu’ils y gagnent personnellement et considérablement. Ces facteurs l’amènent à conclure que le dommage introduit en Afrique via l’industrie de l’aide a été “largement auto-infligé”.
Si les chefs africains y participent pour leur propre bien, les officiels et les employés occidentaux y ménagent aussi bien leur intérêt. Theodore Dalrymple, remarquant dans les rues des gens qui agitaient leur clochette pour l’aide à l’UNICEF, en déduisait qu’ils étaient en fait en train de chercher :
à lever des fonds pour le congé annuel, les indemnités pour charge de famille, les assurances médicales et dentaires, les pensions, les aides au loyer, les subventions pour l’éducation, les déménagements, les assurances vie, les congés maladie, les vacances, les visites familiales, les congés maternité, paternité et adoption, et les congés spéciaux pour les employés de l’UNICEF dans le monde.
Faire carrière est une chose; s’opposer à la dimension idéologique plus corrosive qui travaille à exporter la révolution sexuelle est une tout autre chose, une tâche plus difficile. Particulièrement quand même les agences chrétiennes opérant dans ce domaine (je dis cela par expérience personnelle) sont réticentes à le faire. Quand, disons, les évêques allemands considèrent comme simpliste et dépassée la reconnaissance que les Africains, sans se laisser intimider, témoignent à l’enseignement catholique – en contraste complet avec leurs coutumes pré-chrétiennes et nos coutumes post-chrétiennes. Les Allemands ont dit effectivement qu’ils ne suivraient aucune direction venue des Africains, qui semblent si réticents à s’adapter à la “complexité” de la vie moderne. Pour n’importe quel autre problème, vous n’aurez pas cette forme d’arrogance occidentale.
Ekechoa offre ce dont il est le plus besoin : une vision fondée sur l’espoir qui marche main dans la main avec de hautes espérances. Faire voile à travers la vie sans grandes espérances est inviter au naufrage ; elles peuvent être dures mais elles déchaînent l’activité humaine. Elle a placé haut la barre parce que c’est là qu’elle a besoin d’être située – pour les Africains autant que pour les Occidentaux. C’est une chose qui regarde l’univers – tout à fait catholique.
Matthew Hanley est chargé de cours au National Catholic Bioethics Center. Avec Jokin de Irala, M.D., il est l’auteur de Affirming Love, Avoiding AIDS : What Africa Can Teach the West [“Affirmer l’amour, éviter le sida: ce que l’Afrique peut apprendre à l’Occident”], qui a récemment remporté le prix du meilleur livre de la Catholic Press Association. Les opinions ici exprimées sont celles de Matthew Hanley et non du National Catholic Bioethics Center.
Samedi 12 mai 2018
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/05/12/exporting-the-revolution-to-africa/