Il est fatigant de parler de Rome ces jours-ci. La confusion continue, apparemment sans que personne n’y fasse attention. Mais certaines choses qui se passent ne peuvent être ignorées. En ce moment, c’est la rencontre des évêques allemands à Rome, jeudi dernier – une rencontre provoquée à cause de la division qui existe au sein de la Conférence des évêques allemands et qui porte sur le point de savoir si on peut permettre la communion, dans certains cas, à des épouses protestantes de catholiques.
Le conflit semblait avoir été résolu quelques semaines plus tôt. Selon des rapports, la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) – chargée au Vatican de traiter des questions de doctrine – a envoyé aux Allemands une lettre disant qu’ils ne pouvaient pas changer une pratique aussi ancienne. L’ancien chef de la CFD, le cardinal Gerhard Mueller, a développé longuement le même sujet et de façon tout à fait claire. Le pape émérite Benoît a dit lui aussi son accord.
Selon d’autres rapports le pape François ne voulait pas que la lettre fût publiée. Au lieu de cela, il a convoqué à Rome les évêques des deux bords. Le chef de la Conférence des évêques allemands, le cardinal Marx, attendait du pape un soutien, puisque beaucoup pensent que le pape François est favorable à de tels changements. Mais le chef actuel de la CFD a simplement dit aux évêques allemands que la décision du pape était qu’ils rentrent chez eux et parviennent à une décision « unanime », tout seuls.
A vrai dire, comme beaucoup de choses que fait le pape, la signification n’est pas claire, et on pourrait lire la décision de plusieurs façons. La première et la plus évidente interprétation est que le pape essaie de faire avancer sa vision d’une Eglise « décentralisée », dans laquelle les évêques individuellement ainsi que les Conférences des évêques n’aillent pas tout le temps à Rome chercher des réponses à leurs questions.
Mais les problèmes que pose une telle institution synodale « décentralisée » sont légion. Après les Synodes sur la famille, plusieurs d’entre nous ont fait remarquer que nous pourrions avoir différents enseignements sur l’Eucharistie selon qu’on se trouvait de l’un ou de l’autre côté de la frontière germano-polonaise. En Pologne, cela reste un sacrilège de recevoir la communion après un divorce et un remariage (sans annulation), mais en Allemagne recevoir la communion après une « période pénitentielle » serait regardé comme un magnifique progrès dans le domaine de la miséricorde
Il est maintenant clair que même ce scénario est trop rose. Les Allemands – quelques-uns, de toute façon – ont joué un rôle inattendu au Vatican sous le premier pape latino-américain. Les cardinaux Marx et Kasper ont poursuivi leurs objectifs libéraux de 1970 et ont été écoutés. Mais en même temps, même en Allemagne, Rainer Maria Woelki, cardinal archevêque de Cologne, le diocèse le plus vaste et le plus riche d’Allemagne, ainsi que d’autres prélats, s’opposent à de tels accommodements « pastoraux » parce que ceux-ci conduisent à des positions « doctrinales » différentes sur l’Eucharistie – et même sur l’Eglise.
Ce qui nous amène à une deuxième façon de regarder la décision du pape. Si vous êtes partisan, comme lui, d’une Eglise davantage « synodale », des conflits de ce genre sont partis pour se multiplier rapidement, peut-être de la même façon que les questions doctrinales ont vite fait éclater la Réforme protestante en de multiples groupes en conflits les uns avec les autres. Même si les évêques allemands vivaient tous cent ans, ils ne parviendront jamais à une vue « unanime » sur cette question parce que les deux côtés ont de profondes oppositions.
C’est un peu comme espérer que les activistes pro-life et les activistes pro-avortement puissent un jour parvenir à un consensus parfait. Cela n’arrivera pas – ne peut arriver – parce qu’il n’y a aucune base commune entre penser que l’avortement est nécessaire à l’égalité des femmes et penser que l’avortement est un meurtre. Peut-être le pape se rend-il compte que le consentement unanime est impossible et se contente-t-il de laisser le débat aller son chemin, sans intervenir. C’est un de ses quatre grands principes de « démarrer les processus », et non de chercher à « dominer les espaces ».
Ce qui nous conduit pourtant à une troisième considération : si ce qui précède est correct, avons-nous aussi affaire aujourd’hui à une nouvelle vision de la papauté ? Le pape ne prend pas et ne devrait pas prendre toute décision dans une Eglise globale. Les évêques individuels et les Conférences des évêques sont légitimement habilités à décider comment les vérités de la Foi sont vécues localement. Mais leur autorité propre ne peut les autoriser à briser l’unité de l’Eglise universelle.
Les évêques locaux peuvent prendre des décisions sur des détails de la liturgie, des sujets personnels etc. Mais certaines questions peuvent rapidement conduire au schisme ; c’est pourquoi un des rôles du pape a toujours été d’être le pontifex, le bâtisseur de pont – le promoteur de l’unité.
Selon moi, il ne peut y avoir de divisons sur la nature et le sens de l’Eucharistie – le sacrement de l’unité. Et, apparemment, c’est là où nous sommes actuellement.
D’un côté on voit ce sacrement comme une forme d’hospitalité, d’accueil de tout le monde, une « médecine et non une récompense pour le parfait », de l’autre on voit que c’est un signe profond de pleine unité avec le Christ – et l’un avec l’autre.
La communion pour les divorcés et remariés est devenue une question douloureuse précisément parce que, avec les aspects trouble d’Amoris laetitia, elle semble exacerber la division sur le sujet de l’Eucharistie. Chesterton remarque dans l’un de ses essais qu’une personne peut aller tout droit jusqu’au bord d’un précipice si le temps est clair et qu’elle sait précisément où elle pose ses pieds. Si elle marche dans le brouillard, cependant, ce qu’il y a de mieux à faire est de se tenir à une distance respectueuse du gouffre.
Dans le brouillard catholique d’aujourd’hui, certains sont heureux parce que personnellement les distinctions porteuses de trouble semblent avoir été effacées. Mais d’autres – oui, bien sûr, parfois de la façon excessive, mais non sans raison – craignent que nous ne soyons dangereusement proches de faire un pas fatal dans des directions que nous ne voyons même pas.
Le pape François n’est pas le plus clair des chefs. Mais ce qui est peut-être même plus troublant dans ces matières contestées est que nous nous trouvons souvent débattre comme si les questions n’avaient pas été déjà traitées dans l’Eglise. Elles ont été établies – et elles étaient établies de manières qui ne se prêtent pas elles-mêmes au changement via le « dialogue ».
Nous sommes dans un temps où nous sommes non seulement en train d’accroître la division parmi les catholiques d’aujourd’hui, mais aussi avec les Pères de l’Eglise et les grands docteurs et saints, et les confesseurs du passé. Et finalement nous avons à nous demander si saint Pierre ou saint Paul, si Jésus Lui-même, pensent que permettre à ces divisons de persister est ce que Dieu demande pour Son peuple.
Lundi 7 mai 2018
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/05/07/the-german-church-divided/
Photos : les cardinaux Kasper et Marx.
Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing, et président du Faith & Reason Institute à Washington. Son livre le plus récent est A Deeper Vision: The Catholic Intellectual Tradition in the Twentieth Century, publié à Ignatius Press. The God That Did Not Fail: How Religion Built and Sustains the West, est aujourd’hui disponible en livre de poche chez Encounter Books.