Nous humains sommes terriblement petits en comparaison avec l’univers. Adulte, la plupart d’entre nous mesure entre 150 et 190 cm alors que l’univers a un diamètre qui approche les 160 milliards d’années-lumière. Et nous avons une vie terriblement courte. Tandis que l’univers approche les 14 milliards d’années (à dater du Big Bang), nous sommes chanceux si nous vivons 70, 80 ou 90 ans.
Et il y a pire. Notre univers, si vaste qu’il soit, n’est peut-être pas le seul univers. Il y a peut-être même, ainsi que le soutenait le philosophe de l’Antiquité Epicure, un nombre infini d’univers (si la notion de nombre infini de quoi que ce soit a du sens). Et le temps, au lieu d’avoir commencé il y a 14 milliards d’années, pourrait, selon Aristote, n’avoir pas de commencement.
Si nous ne portons aucun intérêt à la cosmologie et aux spéculations cosmologiques, et que nous voulons nous borner aux choses terrestres, il se trouve qu’un individu est seulement l’un des sept milliards d’humains actuellement en vie sur la planète Terre.
Maintenant, si vous méditez sur ces faits suffisamment longtemps, vous pourriez bien arriver à la conclusions suivante « je suis une chose de taille infinitésimale, tout-à-fait insignifiante ; on peut à peine me distinguer de rien du tout. »
Mais cela ne va pas le faire. Premièrement, c’est trop déprimant. Cela nous priverait de la plus grande partie de nos motivations à agir. Donc, nous devons trouver une façon d’échapper à ces pensées déprimantes. Pour ce faire, la religion catholique a trouvé un triple chemin depuis de nombreux siècles.
D’abord, elle établit une distinction entre la matière et l’esprit et nous dit que notre esprit, même s’il n’a pas de qualités physiques, est une plus grande chose que tout l’univers physique (ou tous les univers). Notre esprit est si grand qu’il survivra à la mort de notre corps, et même il survivra à la destruction finale de tous les univers.
Deuxièmement, elle nous dit que Dieu, qui est naturellement la plus grande de toutes les choses, nous apprécie, se soucie perpétuellement de nous, et se tient toujours prêt à nous aider. Si Dieu est mon ami, pourquoi me soucierai-je de ce que l’univers illimité soit indifférent à mon égard ?
Et pour finir, elle nous procure le statut de membre d’une communauté sacrée (l’Eglise). La communauté sacrée est intimement reliée au Christ, qui est Dieu. Et de vrai, cette connexion est si intime que l’on parle systématique de l’Eglise comme de « l’épouse du Christ » ou du « corps du Christ ». Si l’Eglise est reliée si étroitement à Dieu, alors elle doit être la chose la plus importante de la création, plus importante que l’univers (ou que les univers). Et si nous sommes membres de cette chose suprêmement importante, alors nous aussi nous devons être importants puisque partageant cette importance.
Réunissons ces trois facteurs, et nous n’avons aucune raison d’être consternés ou déprimés par notre apparente petitesse.
Mais tout le monde n’est pas catholique. Ou à moitié catholique. En Amérique du Nord et en Europe, les gens qui suivent l’évolution de ces choses nous disent que de plus en plus de gens n’ont plus de religion du tout. Ils sont (si on les décrit négativement) athées ou agnostiques. Ou ils sont (si on les décrit positivement) humanistes séculiers. Comment évitent-ils d’être déprimés par leur extrême petitesse ?
Ils ne peuvent pas profiter de la première méthode citée plus haut, puisqu’ils ne croient pas qu’ils sont (ou ont) un esprit immatériel qui survivra à la mort de leur corps et à la destruction de l’univers.
Ils ne peuvent pas non plus profiter de la deuxième méthode. Comment pourraient-ils avoir Dieu pour ami si Dieu n’existe pas ?
Mais il peuvent profiter de quelque chose qui ressemble à la troisième méthode. Bien sûr, ils ne peuvent pas être membres de l’Eglise Catholique ou d’une autre communauté vraiment sacrée. Cependant, ils peuvent appartenir à ce que l’on pourrait appeler une communauté quasi sacrée.
Quels sont les exemples de communautés quasi sacrées ? Le parti nazi en Allemagne dans les années 20, 30 et 40. Le parti communiste en Russie et ailleurs durant la majeure partie du vingtième siècle. Si vous appartenez à une communauté quasi sacrée, peu importe à quel point vous soyez petit et insignifiant en tant qu’individu, vous devenez important, d’une importance empruntée, dans la mesure où (à ce qu’il vous semble), vous êtes membre de quelque chose d’incontestablement important. Bien qu’ayant rejeté la foi en Dieu, il vous semble que votre communauté a quelque chose de divin. Elle peut bien ne pas être sacrée, elle est ressentie comme sacrée.
Malheureusement pour l’humaniste séculier type, le nazisme et le communisme ne sont plus des options envisageables. Quel humaniste séculier qui se respecte souhaiterait de nos jours être soit nazi soit communiste ? Mais il y a d’autres options.
D’abord le mouvement féministe. Si vous êtes une féministe « radicale », croyant que pratiquement tous les hommes sont les ennemis de pratiquement toutes les femmes, que l’avortement est une chose formidable dont on peut être fière, vous faites partie d’un féminisme « quasi religion ». On sent cependant que cette sorte de féminisme, florissante dans les années 70 et 80, est maintenant sur le déclin. Les vieilles dames qui étaient il y a des décennies fières de leur libération sexuelle sont maintenant fières de leur nouvelle prothèse de hanche ou de genou.
Mais le mouvement gay se renforce toujours. Il se qualifie toujours comme quasi religion.
La meilleure quasi religion pour l’humaniste séculier qui en cherche une est le mouvement anti-chrétien, qui prend de nombreuses formes et qui de ce fait ne sera jamais sur le déclin. Une fois il prend la forme d’une croisade pour le droit à l’avortement, ensuite c’est une croisade pour les droits des homosexuels, plus récemment pour les droits des transgenres.
Quoi ensuite ? Maintenant que nous pouvons dire que les femmes sont des hommes et les hommes des femmes, voyez-vous ? Peut-être que l’année prochaine nous trouvera en train de dire que certains triangles – pas tous, cela dit, seulement certains d’entre eux – ont le droit d’avoir quatre côtés. Et qui a le droit de les juger ?
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David Carlin est professeur de philosophie et de sociologie au Community College de Rhode Island.
Illustration : « La métamorphose de Narcisse » par Salvator Dali, 1937 [musée Tate – Londres]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/05/04/little-and-big/