Durant de nombreux siècles, presque tout le monde dans le monde occidental – le monde qu’on avait l’habitude d’appeler la chrétienté – était un croyant chrétien. Puis, il y a quelques siècles, certaines personnes (pour la plupart des intellectuels) ont commencé à s’éloigner de la foi chrétienne. Mais ils ont découvert qu’ils ne pouvaient pas tout à fait renoncer à leurs vieilles certitudes chrétiennes. Ils étaient convaincu que le christianisme n’était qu’un simple tissu de superstitions, et il n’y avait rien qu’ils haïssaient davantage que la superstition. Pourtant ils ne pouvaient pas se débarrasser de leurs croyances concernant plusieurs éléments essentiels de cette « superstition ». Peu importe combien ils essayaient de nettoyer leurs esprits des vieilles superstitions, certaines persistaient.
Les déistes par exemple, dont l’âge d’or a été le dix-huitième siècle, ont cessé de croire que Jésus est d’essence divine et que Dieu est Trinité. Mais ils ont continué de croire à une vie après la mort, que Dieu existe et qu’Il récompense les bons et punit les méchants. Bien que la divinité du Christ soit une « superstition », que la Trinité soit une « superstition », les déistes croyaient d’une manière ou d’une autre que la foi en Dieu n’était pas une superstition. C’était une croyance vraie, tout aussi rationnelle que la théorie de Newton sur la gravitation universelle.
Dans les générations suivantes, beaucoup sont allés plus loin dans leur rejet du christianisme. Certains se sont tournés vers le panthéisme, une croyance qui a été florissante chez les romantiques de la première moitié du dix-neuvième siècle. Ils rejetaient l’idée d’un Dieu personnel, idée que les déistes avaient gardé. Mais ils continuaient de croire en Dieu, un Dieu impersonnel, qui, soit se confondait avec la nature, soit au minimum imprégnait la nature. Aux Etats-Unis, la fine fleur du panthéisme peut être trouvée dans les travaux de Ralph Waldo Emerson.
Ensuite sont venus les athées, déterminés à se débarrasser complètement de Dieu, que ce Dieu soit personnel ou impersonnel. Karl Marx, un matérialiste métaphysique résolu, est l’exemple le plus célèbre de cette variété d’anti-chrétiens. Mais même Marx ne s’est pas débarrassé de Dieu complètement. Bien sûr, il s’est débarrassé du mot « Dieu », mais il continuait à croire qu’il y avait une grande puissance finalement bienveillante qui amènerait la race humaine au bonheur, non un bonheur d’outre-tombe, mais dans ce monde-ci.
La substance non spirituelle et non pensante à l’origine de la réalité (selon Marx) n’est pas et n’a jamais été indifférente au bonheur humain. Durant tout ce temps, ces siècles sans nombre, l’univers a évolué vers une société humaine mondiale qui sera sans classes sociales, et en raison de cette absence de classes, sera prospère, libre et immensément créatrice. Et dans cette vision optimiste, nous, modernes, sommes tout proches de ce glorieux achèvement.
Matthew Arnold, meilleur poète et critique qu’il n’était théologien chrétien, dans sa tentative de réduire l’idée de Dieu à sa plus simple expression, définissait Dieu comme « un éternel non-nous qui engendre la vertu ». Le « Dieu » de Marx pourrait être défini comme un éternel non-nous qui engendre une société sans classe.
Aussi longtemps que nous croyons qu’il existe, ou devrait exister, quelque grande puissance au-delà de nous-mêmes qui puisse mener les hommes au bonheur, nous ne nous sommes pas complètement débarrassé de l’idée chrétienne de Dieu. Après de nombreux siècles de christianisme, l’idée qu’il y a, ou pourrait y avoir, une puissance de ce genre est comme imprimée dans la structure de l’esprit occidental.
Si vous avez grandi au milieu de la civilisation occidentale, si vous avez absorbé les idées préconçues de cette civilisation avec le lait maternel, vous trouverez presque impossible de ne pas croire en l’existence de cette grande puissance bienveillante. Si vous êtes incapable de croire que cette puissance prend la forme du Dieu des chrétiens, ou des déistes, ou des panthéistes ou du « Dieu » du matérialisme historique, vous croirez qu’il prend une autre forme. Honnêtement, il vous sera très difficile, voire impossible de ne pas croire qu’il existe ou pourrait exister une puissance de ce type.
De nos jours, je suggère que la forme la plus répandue de foi en une grande puissance bienveillante, du moins chez ceux qui sont incapables de croire au Dieu de la Bible, est la foi en un gouvernement omnicompétent. Si vous êtes athée et incapable de croire au Dieu de la Bible, ou à celui du déisme ou même à celui du panthéisme, si vous avez laissé tomber le « Dieu » du marxisme, il est probable que vous croyiez qu’il n’est pas de problème social – pauvreté, mauvais environnement, crime, violence, racisme, sexisme, homophobie, islamophobie, xénophobie, embouteillages, mauvaise haleine de chiens, manque d’éducation, mauvaise santé, maladies mentales, solitude, malheurs conjugaux, etc – qui ne puisse être résolu par un gouvernement, du moins si on lui donne suffisamment de temps et, bien sûr, d’argent.
L’exemple le plus frappant de cette conviction qu’un gouvernement divin peut résoudre tous nos problèmes est l’espoir que le gouvernement du monde, opérant sous l’égide des Etats-Unis (à ce qu’il semblait durant la présidence Obama) peut influencer le climat mondial pour les 100 ou 200 ans à venir, et peut le faire d’une façon anodine. (Disant cela, je ne prends aucunement position sur la théorie du changement climatique.)
De plus, le gouvernement divin en question est le gouvernement fédéral des Etats-Unis, non le gouvernement d’un État ou un gouvernement local, qui manquent clairement des compétences divines, non le gouvernement de petits pays. Idéalement, le meilleur gouvernement pour prendre soin de ces choses serait un gouvernement mondial. Mais nous sommes probablement à des siècles d’y arriver. Au moins. D’ici là, le gouvernement fédéral des Etats-Unis est le mieux que nous puissions avoir.
Je soutiens donc qu’il y a une affinité, du moins dans notre époque post-chrétienne, entre l’athéisme et la foi en un super-gouvernement. Plus vous penchez pour le premier, plus vous penchez pour la dernière. Et plus vous aurez tendance à ne pas en tenir compte malgré les évidences – pourtant pléthoriques.
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David Carlin est professeur de philosophie et de sociologie au Community College de Rhodes Island.
Illustration : affiche soviétique pour le premier mai, par Yakov Guminer (1928)
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/01/26/the-persistence-of-god/