L’Université Pontificale Gréorienne de Rome organise à Rome une série de conférences au cours de l’année du cinquantième anniversaire de Humanae Vitae. Les intervenants ne sont pas réputés spécialistes des Encycliques, mais des spécialistes réputés des conséquences relatives au refus de suivre l’interdiction de la contraception — par exemple Mary Eberstadt — brilleront par leur absence. Le programme est, naturellement, affiché comme “Étude interdisciplinaire“, sous forme de “dialogue“ entre points de vue divers — cependant, la prépondérance de certaines opinions laisse prévoir une certaine orientation.
Phénomène récurrent, semble-t-il, quand l’appel au “dialogue“ se fait entendre — même au sein de l’Église catholique. Quand l’Université Notre-Dame annonça son intention d’inviter le Président Obama, alors récemment élu, à prononcer le discours de rentrée 2009, et de lui remettre un doctorat honoris causa, de nombreuses voix s’élevèrent contre cette idée lancée par l’Université catholique N°1 d’honorer un homme politique aussi radicalement partisan de l’avortement que M. Obama. Par exemple, il avait voté en Illinois contre un texte qui aurait protégé les enfants survivant à l’avortement (ils sont, pour la plupart, tués ou abandonnés à la mort après leur naissance).
Selon d’autres avis, Notre-Dame lançait de telles invitations à pratiquement tous les présidents nouvellement élus depuis des décennies, et l’invitation était une occasion pour Notre-Dame d’exprimer son avis sur l’avenir — autrement dit, d’ouvrir le “dialogue“.
Nous nous sommes alors heurtés, un ami et moi : je lui demandai si, par hypothèse, le ségrégationniste radical George Wallace s’étant débrouillé pour être élu à la présidence en 1968, le père Ted Hesburgh, grand héraut des droits civiques, illustré par une poignée de mains avec Martin Luther King Jr.,
lors d’une manifestation, aurait invité le président Wallace à prononcer le discours de rentrée universitaire et lui aurait attribué un doctorat honoraire.
Mon ami répliqua que le père Hesburgh l’aurait fait “au nom des événements dans le pays qui méritaient discussion“. Coup de chance, ai-je alors pensé.
Mon scepticisme a grandi lorsque Notre-Dame a renoncé à lancer le même genre d’invitation réputée traditionnelle au président Donald Trump, au nom d’un risque de controverse qui aurait brisé la joyeuse ambiance au sein de l’Université. (On peut s’interroger où se trouvait un tel souci quand des douzaines d’évêques écrivirent pour protester contre l’invitation faite à Obama, y-compris l’évêque du diocèse de Notre-Dame.) Pourquoi donc l’Université ne voudrait-elle pas partager ses idées avec le président Trump comme elle a fait avec le président Obama ? L’Université a en fait invité le vice-président Mike Pence, ancien gouverneur de l’État d’Indiana et personnage moins tranché, malgré quoi certains étudiants sortirent pendant son discours.
Lorsque certains membres de l’Église insistent pour “dialoguer“ avec des interlocuteurs de “culture sociale“ ou hostiles à l’enseignement de l’Église, le dialogue ne peut s’orienter, d’évidence, que dans une seule direction. À l’automne 2017 une conférence organisée par l’Académie pontificale pour la Vie au sujet des questions sur la fin de vie, accueillait des partisans de l’euthanasie. Et en janvier, une conférence fut organisée par deux Académies pontificales sur la question “Comment sauvegarder le monde et sa nature“ avec Paul Ehrlich, auteur de Population, La Bombe, qui plaide pour des politiques extrêmes allant de “l’avortement selon le sexe à la stérilisation obligatoire en masse.“
À nouveau, de nombreux catholiques protestèrent, demandant pourquoi le Vatican offrirait une tribune à des gens dont les idées sont tellement opposées aux vérités enseignées par l’Église. Réponse : “Dialogue“.
Cependant, toutes les conférences organisées par le Vatican ou des Universités Catholiques ne sont pas organisées avec des idées opposées à celles de l’Église. Cette année, une conférence organisée avec le Vatican sur les inégaliés économiques s’est tenue à Modesto (Californie) pour dénoncer le racisme, mais sans inviter de partisans de la “supériorité des blancs“ pour “ouvrir le dialogue“ avec eux ou saisir un nouveau point de vue. Et on ne trouvera sans doute guère de partisans d’une politique étrangère agressive parmi les membres de l’Institut Kroc pour la Paix à Notre-Dame. Mais pourquoi pas, s’il s’agit d’entamer le dialogue avec des points de vue divers ?
Réponse plausible : “Parce que de telles idées sont révoltantes et doivent simplement être repoussées.“ On pourrait en dire autant de l’avortement et de l’euthanasie. Alors, où est la différence ?
Un argument : accepter l’avortement et l’euthanasie est bien plus répandu en Occident que soutenir le racisme ou les tentations d’aventures guerrières, l’Église doit donc se consacrer sur ces sujets pour les comprendre mieux.
Mais c’est précisement parce que de telles idées sont si répandues qu’elles sont déjà bien connues. Que pourrait ajouter un défenseur de la vie contre les arguments de l’autre bord ? Nous connaissons bien ces arguments.
Si l’objectif est d’amener des représentants de ces idées pour les écouter mais aussi pour leur montrer le point de vue de l’Église — et donc avoir un véritable dialogue — alors ces organisateurs de conférences ne feraient-ils pas bien d’inviter davantage de défenseurs des convictions de l’Église, et d’engager les débats ou de formuler les réponses avec des intervenants contradicteurs ? Ce n’est généralement pas ce à quoi on assiste.
Au lieu de quoi le “dialogue“ tourne au monologue, les opposants aux convictions de l’Église se faisant offrir par elle-même une tribune pour s’exprimer sans grand risque de contradiction. C’est curieux — et déconcertant. Voilà des occasions ratées d’évangélisation.
Faut-il s’étonner qu’à présent beaucoup de Catholiques soient devenus bien indulgents sur des questions morales fort importantes et plutôt sceptiques sur les vérités les plus fondamentales qu’on attend de l’enseignement de l’Église ?
4 décembre 2017
Étranges compagnons nocturnes – Harper’s Hebdomadaire, 1864
Pour aller plus loin :
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- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- OBSERVATION : SCIENCE ET MIRACLE
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- Cinq paradoxes de la révolution sexuelle, 1ère partie