La Congrégation pour la Doctrine de la Foi a récemment publié un document « sur certains aspects du salut chrétien ». Le document, intitulé « Placuit Deo »[Il a plu à Dieu] tire son titre et son introduction de la Constitution Dogmatique sur la Révélation Divine de Vatican II : Dei Verbum.
Les phrases sont si riches et leurs implications si profondes qu’elles méritent d’y réfléchir à nouveau alors que nous entamons le Triduum Pascal en ce Jeudi Saint :
Il a plu à Dieu, dans sa sagesse et sa bonté, de se révéler et de nous faire connaître le but caché de sa volonté qui est, à travers le Christ, le Verbe fait chair, que l’humanité puisse avoir accès au Père par l’intermédiaire de l’Esprit-Saint et en vienne ainsi à partager la nature divine. La plus profonde vérité concernant Dieu et le salut de l’humanité a resplendi pour notre bien dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute révélation. (Dei Verbum, 2)
Bien que Vatican II ait publié quatre « constitutions », les documents du Concile portant la plus haute autorité magistérielle, j’ai depuis longtemps soutenu que parmi elles, Dei Verbum procurait les fondations sur lesquelles les autres se sont appuyées. Car si Dieu ne s’était pas révélé Lui-même, tout le reste – la liturgie, les décrets de l’Eglise, la mission – ne sont plus que de simples constructions humaines. Et si la plénitude de Dieu n’avait pas brillé à travers Jésus-Christ, le Verbe Eternel, qui est devenu l’un de nous, y compris jusqu’à la mort, la mort sur une croix, il n’y aurait aucune originalité distinctive dans la révélation chrétienne.
Cette réalité objective – la présence incarnée de Dieu dans l’homme Jésus-Christ – a comme objectif bienveillant de conduire l’humanité au salut, à cet inimaginable accomplissement qui est un partage de la vie trinitaire même de Dieu. Dei Verbum comme Placuit Deo proclament toutes deux l’audacieuse bonne nouvelle que le salut de humanité n’est rien de moins qu’une theosis, une déification.
L’une des particularités remarquables de Placuit Deo est son insistance sur le fait que « l’enseignement sur le salut par le Christ doit toujours être approfondi ». L’Ecriture et la Tradition abondent en différentes images et concepts concernant le salut. Rédemption et libération, purification et guérison, réconciliation et expiation, toutes cherchent à faire ressortir différentes dimensions du mystère inépuisable. Chacune pointe un aspect de notre profond besoin humain, de notre maladie spirituelle, et indique la cure salutaire prescrite et effectuée par le Christ, le médecin du corps et de l’âme.
Mais Placuit Deo est aussi extrêmement réaliste en ce qui concerne la propension humaine pérenne à ignorer les symptômes et à nier la maladie : « voyant, ils ne voient point ; entendant, ils ne comprennent point. » Reprenant des termes utilisés par le pape François, elle parle de néo-pélagianisme et de néo-gnosticisme. Ces deux hérésies sont anciennes et pourtant toujours nouvelles. Elles découlent de la fière assertion d’une « autonomie radicale » pour laquelle « le salut dépend de la force de l’individu ou de structures purement humaines qui sont incapables d’accueillir la nouveauté de l’Esprit de Dieu. »
C’est cette marque de « nouveauté » qu’il est urgent de redécouvrir et de souligner dans nos vies spirituelles, notre théologie, notre accompagnement spirituel et notre discernement. Le Nouveau Testament savoure l’expérience et la célébration de cette nouveauté : nouvelle alliance, nouvel Adam, nouveau Moïse, nouveau Temple, nouvelle création. Et cette nouveauté est bien sûr concentrée et récapitulée dans le seul Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ. Selon les mots magnifiques de Saint Irénée de Lyon : « Dieu a apporté toute la nouveauté en se donnant Lui-même ! »
Placuit Deo s’inspire de cet esprit d’Irénée quand elle proclame : « la bonne nouvelle du salut a un nom et un visage : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. Et elle insiste que, bien plus qu’un simple modèle, Jésus-Christ est celui qui « transforme la condition humaine en nous introduisant dans une nouvelle existence. » Par conséquent, le salut dans le Christ implique bien plus qu’une amélioration de notre condition physique ou sociale, si désirable qu’elle puisse être. Il pénètre en nous profondément et radicalement, invoquant et rendant possible un nouvel être.
Il est crucial que l’enseignement, le conseil spirituel et la théologie procèdent d’un sens profond de ce qu’est la vie de l’Esprit et ce qu’elle requiert. Matthieu 25, Galates 5, Romains 12, Colossiens 3 (parmi d’autres textes du Nouveau Testament) en esquissent le portrait distinctif. Mais le portrait doit être fait sien et endossé par chacun de ceux qui, par le baptême, sont nés de nouveau en Jésus-Christ.
Face à un individualisme atomisant, destructeur à la fois de la communauté et de l’environnement, le salut en Christ est notre incorporation dans un nouveau réseau surnaturel de relations. Le baptême commence notre transformation d’individus solitaires, dont le langage par défaut est le « je » autonome, en des personnes dont les relations constitutives dans le Christ trouvent leur expression dans le langage racheté du « nous ».
Mais c’est le corps eucharistique du Seigneur crucifié et ressuscité qui établit le corps ecclésial du Christ, l’Eglise. L’eucharistie nous incorpore littéralement dans un nouveau mode d’existence. Notre identité la plus vraie est d’être membres du Corps du Christ, où les relations rachetées et nourries d’eucharistie sont à l’image des relations entre les personnes de la Trinité.
Dans l’un de ses paragraphes les plus passionnés, Joseph Ratzinger, alors cardinal, s’exclamait :
L’Eucharistie n’est jamais un événement ne concernant que deux personnes, un dialogue entre le Christ et moi. La communion eucharistique est destinée à un refaçonnage complet de ma vie. Elle brise le « je » de l’homme pour créer un nouveau « nous ». La communion avec le Christ est nécessairement également communion avec tous ceux qui Lui appartiennent. Cela signifie que moi aussi je deviens une part de ce nouveau pain qui est créé par transsubstantiation de toute la réalité terrestre.
Dans l’Eucharistie, notre transformation en Christ est nourrie et tirée vers la transfiguration finale. L’Eucharistie est le sacrement de la nouvelle création, la pleine anticipation de ce banquet céleste quand Dieu sera vraiment « tout en tous » (1 Corinthiens 15:28). Le langage eucharistique du « nous » sera le langage naturel du Royaume où la pleine communion de l’humanité avec la communion qui est la vie véritable de la Trinité est accomplie et célébrée.
Le père Robert Imbelli, prêtre de l’archidiocèse de New-York, est professeur de théologie émérite à Boston College.
Illustration : « La dernière Cène » par Philippe de Champaigne, vers 1652 [musée du Louvre]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/03/29/eucharist-and-new-creation/