Peut-être a-t-on raconté des salades à l’aimable lecteur. Ou peut-être que c’était une blague. Cela aurait pu être une parabole, ou quelle qu’autre histoire, jamais destinée à être prise « littéralement ».
J’ai mis le dernier mot entre parenthèses parce que je l’ai utilisé de notre manière post moderne, qui ne peut s’empêcher d’être bizarre. Bien sûr, une histoire à dormir debout est littérale. Chaque mot est voulu, et aucun détail de l’intrigue n’est inutile, si le conte est bien raconté. C’est la même chose avec une bonne blague, etc. Ce mot, en fait, signifie « à la lettre », ou, par extension, « pas à pas ».
Longtemps avant que l’Internet ne soit inventé, les journaux faisaient un mal fou à notre sens de la réalité. Ils réduisaient la vérité à des « faits » désincarnés. (Ce mot, lui aussi continuellement employé à tort.) Chaque jour, et de toutes les manières, ils séparent l’âme du corps de la vérité, pour ainsi dire. Et ils jettent la partie âme.
Même leur « littéralisme » n’était, ou n’est pas littéral : c’est ce que j’affirme. En tant que conférencier (méprisé), invité dans une école de journalisme, il m’est arrivé d’essayer d’expliquer pourquoi raconter une histoire en forme de « pyramide inversée » (Les « faits » importants d’abord, les moins importants à la fin) déforme tout. C’est le contraire du précis classique dans lequel l’ordre logique doit être maintenu avec concision. C’est la réduction des informations que l’on veut gonfler ; ensuite, un « gros titre » (et non un simple titre) exagère encore l’exagération implicite.
Je ne parle pas de « canulars ». Je pense au journalisme et à tous les discours publics, où les « faits » présentés pourraient être relativement exacts en eux-mêmes, mais la sélection, les omissions, et l’ordre de présentation sont tous un mensonge. De plus, je dis que la plus grande partie de cette malhonnêteté est inconsciente, ou « involontaire » – mauvaise habitude – le résultat d’une mauvaise vie, comme aurait dit mon ancien professeur de latin.
« L’homme de la rue » est bien sûr, une abstraction, bien que les journalistes le considèrent comme s’il était réel. Il n’est ni amorphe, ni exigeant. Pour connaître un homme quel qu’il soit, il faut le séparer de la foule, et trouver la patience de l’étudier en tant qu’homme. Le christianisme autrefois nous y préparait ; la « démocratie » l’a supprimé.
La grande majorité des hommes et des femmes aujourd’hui pourraient difficilement nous dire ce qu’est un mensonge. Sur la plupart des sujets émotionnels, ils n’arrivent pas à dire ce qui n’est pas vrai ; plutôt ce qu’ils n’aiment pas, pour de vagues raisons. « Les mensonges » sont ce qui est proféré par les « menteurs ». Nous décidons de qui sont les menteurs, avant même qu’ils aient menti. Pratiquement toute culpabilité est attribuée par association d’idée. Et si l’aimable lecteur m’a supporté, ceci est le terrible résultat non pas d’années ou de dizaine d’années, mais de siècles au cours desquels le journalisme a pris la place de toutes les autres formes de récits, de telle sorte que, comme le disait Mary McCarthy à propos de Lilian Hellman, « chaque mot qu’elle écrit est un mensonge, même les ‘un’ et les ‘le’ ».
Ce que je dis concerne tous les reportages qui ne sont pas écrits chastement. Cette chasteté devrait être à la racine morale de la logique, et la raison pourrait être elle-même une occasion de surprise. Mais il est impossible de seulement commencer à voir les choses comme elles sont, si l’on n’a pas accès à cette vertu.
Cela ne marchera pas si nous nous laissons gouverner par nos haines. (Notion-clé judéo-chrétienne.) A moins de saisir que les menteurs (y compris le diable) disent quelquefois la vérité, et que les gens honnêtes mentent parfois, – avec ou sans motifs clairs – nous ne pourrons que remuer la boue.
Les poètes ont une meilleure compréhension des « faits ». Au cœur d’une description poétique, se trouve la vérité miraculeuse, dépouillée jusqu’à l’essentiel. Sous la cacophonie, la musique se révèle ; la beauté qui étaient masquée par la confusion. Au cœur de la création, – de la mystérieuse réalité à laquelle nous participons, – il y a une euphonie. Nous le savons, ou ne le savons pas.
On pourrait même dire que nos vies dépendent du discernement de cette euphonie ; de notre capacité d’être en harmonie avec cet accord sous le fatras superficiel de lumière sonore et de sentiment. Ceci est forcément perdu dans les descriptions des journalistes, car, qu’elles soient exactes ou non, elles ne s’intéressent qu’au mouvement dans le fatras.
La vérité n’est pas un assortiment de « faits ». Tout au fond des Ecritures, nous trouvons la négation des « validités statistiques ». Nous trouvons une définition de la Vérité incarnée dans la personne même de Jésus Christ ; et on nous dit que seul le Christ est la porte du Salut.
Pour le monde, ces « nouvelles » sont si étranges que personne ne peut leur trouver de sens. Ce que les « littéraux » (au sens premier) appellent des analogies, sont de fausses analogies.
Il est impossible de reculer et de considérer de telles « prétentions à la vérité » sur leurs mérites philosophiques, en l’absence de l’équipement nécessaire. « Qu’est-ce que le Christ » est une bonne question. « Qui est le Christ », une encore meilleure. Et qu’est-ce qui est à la racine de notre être ? Les réponses à de telles questions ne peuvent pas venir du fatras. Elles nécessitent plutôt de notre part d’éliminer le fatras. C’est pour cela que la poésie peut approcher de la vérité, et non le journalisme.
Dichtung und Wahrheit, voilà le titre magique de Goethe, pour un récit captivant sur sa propre évolution jusqu’à l’âge de 26 ans. « Poésie et Vérité » est la traduction conventionnelle de ce titre, mais en allemand, Dichtung peut également signifier « fiction », ce qui rend l’ironie du titre bien visible du public. Mais il y a une autre ironie dans l’ironie : la fiction poétique peut approcher la vérité par des angles qui autrement sont bloqués. On pourrait prendre le livre pour une méditation sur le « factice » dans la vie et dans l’art.
Ma souffrance personnelle, en ce jour, est que l’on me ment, en fait, à travers tous les moyens de communication. On me dit des choses qui ne peuvent pas être vraies, parce que l’esprit de vérité ne s’est pas incarné. Au contraire, on m’asperge de « faits » inconséquents – dans un esprit indifférent à ce qui est vrai et immuable.
Et les autorités actuelles de l’Eglise catholiques ne me disent même pas la vérité sur Elle – sur ce qu’elle est, et ce qu’elle n’est pas. C’est dur pour les catholiques.
29 septembre 2017
Illustration : L’Enfant jaune de RF Outcault, c. 1895 (d’où l’expression : « journalisme jaune » par référence à l’enfant blagueur de la première bande dessinée à phylactères).