Il ne nous suffit pas des querelles du présent. Celles du passé nous opposent souvent avec encore plus d’alacrité. Preuve nous en est donnée avec l’émotion soulevée par une loi votée et non encore promulguée en Pologne, qui concerne le passé de ce pays durant la Seconde Guerre mondiale. Je reprends le libellé du texte adopté par le Parlement polonais. Sera punie d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison toute personne qui « attribue à la république de Pologne et à la nation polonaise, publiquement et contrairement à la réalité des faits, la responsabilité ou la coresponsabilité de crimes nazis perpétrés par le Troisième Reich allemand ». Les historiens sont, pour beaucoup, vent debout contre ce qu’ils considèrent être un interdit à l’encontre de leur liberté de recherche. En Israël, s’exprime une inquiétude analogue. Bien sûr, la question est complexe. On comprend l’indignation des Polonais lorsqu’ils entendent parler à propos d’Auschwitz « d’un camp de la mort polonais ». Mais par ailleurs, se trouve dénoncée la volonté d’interdire l’évocation des pogroms meurtriers commis par des citoyens polonais et non des nazis.
On peut comprendre la fierté outragée d’une population qui a payé le plus douloureux tribut de la Seconde Guerre mondiale. Il ne fait aucun doute que la nation polonaise est une nation martyre, dont les tribulations se sont poursuivies avec l’occupation soviétique. Nous avons accompagné, pour les gens de ma génération, avec une profonde empathie l’épopée de Solidarnosc, celle de Jean-Paul II et de Lech Walesa. J’ai toujours considéré que pour nous, la Pologne était une nation sœur. Et j’aurais envie de dire, à l’instar de Cyprian Norwid, cet immense poète, que « les nations vivent, souffrent, frémissent » et nous obligent plus que toutes les abstractions1. Mais si la Pologne nous oblige, c’est aussi à l’alliance de la vérité et de la liberté.
Il y a toujours danger de rendre captive la vérité, en l’entourant de dispositions qui lui ôtent son authenticité. Les lois mémorielles, quelles que soient les intentions de leurs inspirateurs, ne servent pas la vérité historique, elles la calfeutrent. Que nos amis polonais y prennent garde. Ce n’est pas en vertu d’une telle loi mémorielle qu’ils garderont l’estime qui est la nôtre et qui doit persister.