Quand John Kennedy a concouru pour devenir président en 1960, l’anticatholicisme, que l’historien d’Harvard, Arthur Schlesinger a appelé « le plus grand parti pris de l’histoire du peuple américain » était encore très fort – et ouvert. Et pas seulement parmi les habituels suspects, tels que le KKK et les « cous rouges » sudistes. Le poète américain Peter Viereck est réputé pour avoir fait remarquer que l’anticatholicisme était « l’antisémitisme des intellectuels », aussi facile à trouver à New York ou Boston qu’à Alabama ou Tennessee.
Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à ce que Kennedy ait ressenti la nécessité de se présenter devant la Grande Association Ministérielle de Houston en septembre 1960 pour assurer aux chefs protestants, « Je ne suis pas le candidat catholique à la présidence. Je suis le candidat du parti démocrate à la présidence, qui par ailleurs se trouve être catholique. Je ne traite pas des sujets publics au nom de mon Eglise – et l’Eglise ne parle pas pour moi. »
C’était un discours très malin, préparé par des conseillers de la ligue Ivy1, et des prêtres progressistes, et destiné à rassurer les protestants qui étaient nerveux, en leur disant que le pape ne dicterait pas sa politique à l’Amérique – et qu’en fait le catholicisme de Kennedy n’aurait aucune influence sur ses décisions en tant que président.
Wags a commenté, avec justesse sinon avec charité, qu’il n’y avait pas de petite ironie dans cette reddition choisie, parce que le catholicisme des garçons Kennedy était tellement privé que la plupart du temps, ils ne se l’imposaient même pas à eux-mêmes. Mais la tactique a fonctionné. Kennedy a gagné, bien que le catholicisme public – fort à l’époque en Amérique – ait perdu.
Les habituels optimistes dans et en dehors de l’Eglise, ont célébré la défaite d’un préjugé qui durait depuis longtemps. Mais l’anticatholicisme n’a pas disparu, et est toujours présent : j’en veux pour témoignage l’interrogatoire scandaleux qu’a subi la semaine dernière le professeur de droit Amy Coney Barrett lors d’un procès sénatorial, de la part de Diane Feinstein, Al Franken et Dick Durbin.
Je passerai sous silence les détails visqueux, si ce n’est pour dire que le mot « catholique orthodoxe » peut être sur le point de devenir un terme politique désignant quelqu’un dont les convictions religieuses le ou la rendent inapte à exercer un rôle public. Et le rendent même peut-être importun dans la bonne société.
Il n’est pas surprenant que les démocrates – même Durbin, qui est catholique de nom – aient attaqué. Ils sont attachés à la certitude que la contraception, l’avortement, le mariage homosexuel, les droits transgenres (même pour les petits enfants) non seulement définissent nos « plus profondes valeurs » en tant qu’américains, mais doivent être adoptés par toutes les croyances qui souhaitent demeurer une présence respectable de la société américaine.
Les catholiques « non orthodoxes », parfois en pourcentages plus importants que la population générale, acceptent aussi toutes ces choses, et du coup, ne posent pas de problèmes- du moins en politique. Peut-être qu’un jour Dieu aura un mot à leur dire à ce sujet.
Qui peut oublier le spectacle absurde de Joe Biden, sénateur à l’époque – catholique « non orthodoxe » qui a même contracté un mariage homosexuel – questionnant Clarence Thomas, candidat à la Cour Suprême sur le fait de savoir s’il soutenant la « bonne » version de la loi naturelle,
On parle toujours, à Washington, de politiciens qui utilisent des « sifflets de chiens2 » pour signaler de sombres intentions à leurs disciples mal dégrossis. (Ceux qui font les déclarations semblent ne pas réaliser qu’ils admettent être eux aussi des chiens puisqu’ils entendent des choses que la plupart d’entre nous n’entend pas.)
La semaine dernière, les sénateurs ont joué un double jeu. Ils ont soufflé dans le sifflet à chiens pour signaler à la gauche radicale de base des démocrates qu’ils étaient d’accord pour qu’on s’en prenne aux vrais catholiques.
Mais en plus de cela – et c’est peut-être encore plus scandaleux que l’attaque elle-même – ils savaient qu’il n’y aurait pas de répercussions. Cherchez leurs noms sur Google. Il n’y a eu pratiquement aucune couverture médiatique.
Les personnalités publiques à travers le pays sont effrayées à l’idée d’exprimer le moindre doute au sujet de l’engouement actuel pour « les droits transgenres ». Les medias attaquent. Ils y a des jobs qui se perdent et des carrières qui sont ruinées, chez les gens qui soutiennent la famille traditionnelle, s’opposent au mariage homosexuel, et croient qu’ « homme et femme il les créa ».
Mais les Sénateurs américains peuvent attaquer effrontément les convictions d’un candidat, convictions qui ont été centrales en occident pendant deux mille ans, en mettant en jeu un anti catholicisme américain résiduel et le nouvel ordre sexuel. Ils savent qu’il n’y aura pas de prix à payer.
Du coup, c’est notre faute.
Cela vaut la peine de se souvenir que lorsque Kennedy a dû courber l’échine, la Cour Suprême était encore à cinq ans de décider dans le procès Griswold contre Connecticut, que les Etats ne pouvaient pas empêcher les couples mariés d’avoir recours à la contraception. Roe contre Wade qui a légalisé l’avortement aurait lieu dix ans plus tard. Les droits homosexuels, pour ne pas parler du mariage homosexuel, étaient impensables. Les pasteurs de Houston en 1960 auraient combattu avec les catholiques dans ces matières, même s’ils gardaient des préjugés de longue date envers la foi, la pratique et l’influence publique des catholiques.
Les Evangéliques, les Juifs orthodoxes, les Musulmans combattent avec nous actuellement. Mais par une sorte de faveur ambiguë, à part quelques évangéliques, les autres sont exonérés parce qu’ils ne représentent pas une vraie menace pour les totalitaires sexuels. Le catholicisme – le vrai – en représente une.
Ou le pourrait. Ce récent scandale n’est pas quelque chose qu’on peut remarquer et déplorer, puis oublier jusqu’à la prochaine fois. Il n’y a qu’une seule façon de répondre à cette menace contre nos droits en tant que catholiques, de même qu’à notre précieux, quoique fragile, pluralisme religieux américain : une sainte colère.
Nul catholique fier de ce nom ne peut laisser passer cela sans explorer toutes les pistes permettant de s’assurer que ce type de partialité évidente ne montre plus jamais le bout de son nez.
Les journaux et la télévision sont restés silencieux à ce sujet ? Il nous faut les noyer sous un déluge de messages montrant du doigt leur complicité dans le préjugé le plus profond de l’histoire de l’Amérique.
Il nous faut parler, en privé et en public, et faire cause commune avec les évangéliques, les juifs et les musulmans, tous les hommes de bonne volonté – nonobstant ce que les « messieurs je sais tout » de la Civitta Catolica au Vatican appellent un « œcuménisme de la haine » – pour changer l’éthique publique qui ne tolérerait jamais de tels outrages envers les gens d’autres religions, cultures et races.
Il nous faut nous arranger pour que se moquer des « catholiques orthodoxes » soit aussi inacceptable, même en privé, que – disons – « l’Islamophobie ».
Nous ne sommes pas passés de Houston 1960 à Washington 2017 d’un seul grand saut. Des radicaux culturels industrieux ont creusé dans nos institutions, les ont vidées de leur contenu, et ont remplacé nos valeurs publiques et morales.
Si les gens animés de buts douteux et de mauvais arguments, qui n’étaient que marginaux il y a seulement cinquante ans, étaient capables de le faire, nous aussi.
Honte sur nous si nous ne le faisons pas.
11 Septembre 2017
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/09/11/is-it-1960-again/
Tableau : L’archange Michael lance les anges rebelles dans les abysses par Luca Giordano, c. 1666 [Kunsthistorisches Museum, Vienne]