C’est devenu une sorte roulement de tambour de fond dans les débats concernant les questions morales où l’on entend que « on est au vingt-et-unième siècle, passez à autre chose ! » ou « On est en 2017, pas au Moyen-Âge ! ». Ceux qui disent cela semblent penser qu’ils ont établi un point qui ne peut être réfuté, un véritable coup fatal sur la position d’un adversaire. Cette attitude a également déteint sur le discours politique. Les politiciens semblent apprécier grandement de fustiger l’Église et d’exiger d’elle « qu’elle s’adapte au monde moderne » sur nombre de problèmes moraux.
Cependant, comme un soi-disant « millénariste », je regarde autour de moi et trouve que cette ligne de pensée est absurde. Il n’y a absolument aucune raison que le fait de vivre en 2017 nous confère automatiquement la supériorité morale. La réalité est que les hommes et les femmes sont aussi bons ou mauvais qu’ils l’ont toujours été. Et nous avons des preuves solides pour soutenir cela. Comme le disait naguère G.K. Chesterton, pour découvrir la véracité du péché originel, il nous suffit de nous mettre sur le pas de notre porte. De mon point de vue, cette vérité n’a pas changé d’un iota.
L’histoire est un chemin courbe, en partie cyclique, rarement linéaire et seulement en de courts passages. Tout le discours facile sur l’« arc progressif de l’histoire » doit ignorer l’évidence la plus tangible. Les grandes civilisations, y compris la nôtre, croissent puis retombent. Les horreurs et les massacres du vingtième siècle auraient dû dissiper la croyance naïve en un progrès moral et matériel constant. Les idéologies remplacent la foi, les hommes oublient Dieu, et la paix et le raffinement sont tous deux en retraite. Pourtant, les tambours des « progressistes » résonnent, même si personne n’est capable de dire exactement vers quoi nous progressons.
Le dénigrement de l’histoire et de la culture occidentales est au centre de cette vision du monde moderne qui n’est pas examinée. Il est énervant de considérer que nos ancêtres pourraient n’avoir pas été aussi ignorants ni corrompus qu’on le déclare si souvent. Nous préférons prétendre admirer la dernière monstruosité architecturale plutôt que d’admettre que les structures classiques pourraient refléter l’admiration pour certaines vertus publiques ou que les cathédrales médiévales sont vraiment adaptées pour élever l’âme vers le ciel. En fait, c’est devenu passéiste ou carrément offensif de parler des gloires de la civilisation occidentales. Nous ne voulons plus de St Augustin, de Dante, de Shakespeare ni du Bernin, ce serait trop « euro centrique » et « élitiste ».
L’élan qui mène à croire au progrès moral et social constant est en partie psychologique. Nous aimons penser que chaque génération s’améliore d’une certaine façon par rapport à la précédente, quelle que soit l’évidence qui est devant nous. En plus des progrès en médecine, téléphones portables et Internet, nous aimons penser que nous sommes aussi en train de devenir des personnes meilleures.
Mais, ironiquement, nous avons vu que la croyance utopique commune en la possibilité de créer le ciel sur la terre a généralement pour résultats des fosses communes. Penser que l’être humain est malléable est intrinsèque à cette vision du monde. Les Soviétiques croyaient qu’ils allaient créer un « homme nouveau », les radicaux de l’Occident paraissent penser possible d’enseigner aux êtres humains à être « éveillés » et à ne jamais agresser quiconque avec la moindre « micro-agression ». Évidemment, même en considérant que de tels changements de la nature humaine sont possibles, leur réalisation nécessitera un gigantesque appareil répressif. Et le rêve de telles nouvelles formes d’êtres humains et de sociétés doit inévitablement devenir un nouveau type de religion.
La manière dont nous avons perçu que la moralité a subi un virage majeur, n’a pas aidé. Dans un monde d’ONG et de Twitter, l’idée de l’amélioration morale individuelle – ou de son déclin – a été complètement éclipsée et remplacée par des postures abstraites. La posture morale est maintenant considérée comme assurée si l’on fait des déclarations anti-Trump sur les réseaux sociaux ou si l’on s’agite en faveur du boycott d’Israël.
Monseigneur Alfred Newman Gilbey, ancien aumônier catholique de l’université de Cambridge, avait bien compris ce changement. Il a fait part au philosophe britannique Roger Scruton de ce que « nous ne sommes pas conduits à défaire le travail de la création, ni à remédier à la Chute. La tâche du chrétien n’est pas de laisser une meilleure place au monde. Sa tâche consiste à laisser à ce monde un homme meilleur. » La plupart d’entre nous peuvent toujours espérer que ce que nous faisons bénéficiera à ceux dont nous touchons la vie, mais la lutte intérieure est déjà une tâche suffisamment lourde.
Gilbey savait qu’une grande partie des politiques modernes est par nature anti-chrétienne et un danger pour l’Église. Ce ne sont pas de vagues réformes des institutions, de la famille ou de la société qui mènent au salut, on y parvient que par le Sang du Christ. Ainsi qu’il est écrit en gros caractères sur la façade de la glorieuse cathédrale de Westminster : Domine Jesu rex et redemptor per sanguinem tuum salva nos, « Seigneur Jésus, Roi et Rédempteur, sauve-nous par Ton Sang ».
Pour ceux qui cherchent à construire une utopie en ce monde, il ne peut y avoir au bout du compte que fureur et frustration. Les chrétiens le savent, ainsi que l’a dit St Augustin : « Tu nous as faits pour Toi, Ô Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en Toi. » Ce n’est qu’en regardant au-delà de cette vie terrestre que, même en cette vie, nous pouvons trouver la paix. Le projet de « rationalisme » hérité des Lumières, et le dénigrement de l’Église n’ont pas apporté de progrès moral, en particulier dans ma propre génération, mais seulement une anxiété et une confusion plus grandes.
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Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/10/21/moral-progress/
Photo : Mgr Alfred Newman Gilbey, par Lord Snowdon
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Christopher Akers est un écrivain qui vit en Écosse et est diplômé de l’université d’Édimbourg. Il est actuellement étudiant de troisième cycle en littérature et arts à l’université d’Oxford, et ses travaux ont paru dans la National Review et dans Réaction.