La postérité de Léon Bloy dépasse largement le cercle des cathos réfractaires. Bien sûr, il y eut d’abord ses filleuls, Jacques et Raïssa Maritain. Il y eut aussi Bernanos, qui publia en 1947 Dans l’amitié de Léon Bloy, une méditation sur le rôle des pauvres pour le salut du monde. Il choisit Bloy comme témoin de cette condition nécessaire pour entrer dans le royaume de Dieu. Bernanos se rangeait parmi les amis de Bloy : « Oui, pour des milliers d’hommes à travers le monde, ce vieil homme est un ami. Nul, en apparence, n’a moins que lui recherché l’amitié ; il l’eût plutôt déconcertée, découragée, il l’a souvent défiée, provoquée, avec une espèce de colère sacrée, comme un croyant blasphème le Dieu qu’il adore, exige des miracles. Le miracle s’est accompli. Celui qui faisait violence aux cœurs a trouvé en eux son repos. Un certain repos dont il avait rêvé dès l’enfance et qu’il appelait justement et naïvement la gloire. »
Plus récemment, et de manière inattendue, on découvre sous la plume de l’écrivain Michel Tournier un éloge émerveillé de Bloy. Dans un article du Monde en 1975, il s’enthousiasme pour une œuvre capable de mêler l’absolu et l’humour, le comique et le cosmique. « Bloy pulvérise par son seul éclat quiconque est placé près de lui. Un seul mot résume Bloy et lui assure par définition une position totalement originale : l’absolu. (…) Malgré l’intense jubilation qui frémit dans tous ses écrits, cet homme est blessé, brûlé jusqu’à l’os. Il va dans l’immensité noire, portant devant lui son cœur comme un brûlot. Car l’absolu est une passion dévastatrice. « Il y a des jours, écrit-il, on croirait Dieu brûlant de fureur contre ceux qui l’aiment… » Il ne faut pas trop lire Léon Bloy, car il rend injuste. Tant de force, de grandeur et de tristesse vous dégoûtent de tout le reste, de tous les autres… »
L’écrivain Marc-Édouard Nabe se méfie de la mode qui s’empare de Bloy : « Si cette vaine réhabilitation pouvait toucher un seul cœur pâle, ce serait gagné ! (…) Bloy, c’est la prose absolue. Cette langue est au service d’un système philosophique et mystique d’un intérêt presque inabordable tant il est grandiose. (…) Bloy est semblable à un pianiste qui joue, pendant que Jésus-Christ lui tourne les pages. »
Maurice G. Dantec, rockeur puis prince du néo-polar avoue quant à lui : « Un jour, j’ai lu un livre de Léon Bloy. Le jour d’après, je n’étais plus le même homme. L’Exégèse des lieux communs m’avait happé, comme Enoch fut happé par la toute-puissante main de Dieu et en quelques semaines je dévorais la quasi-totalité de son œuvre. J’arpentais les bouquinistes, je hantais les librairies. Tel l’insecte héliotrope je me dirigeais droit vers la lumière qui devait me consumer. Il est sans doute imprudent d’oser déterminer la provenance de la Grâce, quand elle tombe sur vos épaules comme le souffle astral d’une étoile alors invisible, mais il est évident que Léon Bloy eut une importance décisive pour tout ce qui concerne ma conversion au christianisme. »
La colère contre les simagrées du monde moderne et une prose à l’éruption crépusculaire ont donc offert à Léon Bloy une descendance improbable. On peut encore mentionner Stanislas Fumet, le père Jacques Loew, Fabrice Hadjadj… Les fruits spirituels de sa lecture sont immenses et ont touché un peuple discret, tellement divers et fervent. Si on juge l’arbre à ses fruits, Léon Bloy doit s’enorgueillir au ciel de cette postérité hétéroclite…