Pour ce cinq-centième anniversaire de la Réforme, marqué par le souvenir de la personnalité de Martin Luther, la plupart des commentateurs se félicitent du climat œcuménique qui préside à l’événement. Certes, il y a tout lieu de se réjouir que les rapports entre chrétiens ne fassent pas contre-témoignage au message de l’Évangile et à l’annonce de Jésus-Christ sauveur. De ce point de vue-là, les progrès accomplis sont manifestes. Ce n’est pas seulement l’hostilité qui a été désarmée, mais c’est l’amitié qui a pris le dessus sur la coexistence dans l’indifférence. Plusieurs pasteurs, à l’occasion d’une enquête menée lors du cinq-centième anniversaire de Luther lui-même m’avaient fait part du changement qui s’était produit dans leur propre vie, lorsque des prêtres catholiques voisins étaient venus les rencontrer. Cela avait joué comme un véritable désenclavement humain, social, spirituel. De plus, de solides amitiés étaient nées qui avaient permis des échanges, il n’y a pas si longtemps improbables.
Une telle évolution ne signifiait pas pour autant que tous les obstacles s’opposant à une pleine communion ecclésiale étaient levés. En cinq siècles, les différends doctrinaux se sont institutionnellement stratifiés et ont produit des visions théologiques hétérogènes, en dépit d’un commun attachement à une même Révélation. Un jour, à Bâle, le père Hans Urs von Balthasar, faisant part des longues années de relation qu’il avait eues avec son collègue éminent Karl Barth, nous confiait, à Philippe Delaroche et à moi-même, qu’en dépit des avancées doctrinales que l’un et l’autre avaient pu accomplir, ils se redécouvraient néanmoins irréductiblement théologien catholique et théologien réformé.
Est-ce à dire que tout le chemin accompli a été vain ? Sûrement pas. Tant de décennies de dialogue œcuménique auront au moins montré qu’une conciliation doctrinale à tout prix n’était dans l’intérêt de personne. Il ne faut renoncer à rien et sûrement prendre des initiatives. Protestants et catholiques, dit-on, ont renoncé à se convertir mutuellement. Attention à cette expression ! Si convertir vise une attitude de conquête du territoire voisin, il est vrai qu’il vaut mieux renoncer. Mais la conversion, au sens fort du terme, c’est tout autre chose. Cela consiste à se mettre devant Dieu, pour lui demander de changer nos cœurs. Dès lors, le mieux serait que l’œcuménisme suscite chez chacun le désir d’approfondir toujours plus sa foi, en puisant dans le trésor spirituel de l’Église indivise.