La semaine dernière, le président de la République tchèque a pratiquement décidé de nommer Premier ministre le milliardaire populiste Andrej Babiš. Le New York Times a qualifié cette mesure de « nouvelle menace » pour l’unité européenne. Ce qui est exact, à certains égards, parce qu’il y a déjà eu récemment plusieurs autres pas dans la même direction. Mais le caractère paradoxal de ce point de vue, c’est que le Times et nombre de ses lecteurs considèrent l’Union européenne comme une espèce de Saint Empire européen. Les Européens et d’autres peuples qui estiment que la bureaucratie de l’UE (quels que soient, par ailleurs, ses mérites) est arrogante et manque de « transparence démocratique » sont qualifiés de dangereux traîtres et « d’autoritaires ». (A propos, l’acronyme du parti de Babiš, ANO, signifie « Action des citoyens mécontents »).
Entre temps, un jour plus tard, en Autriche, un homme de trente et un an, Sebastian Kurz, ministre des Affaires étrangères et de l’intégration (et catholique pratiquant) a été chargé de former le gouvernement, un « bond à droite » de plus dans la « nouvelle normalité de l’Europe », selon le Times. Le refus de l’ouverture des frontières et des politiques pro-musulmanes européennes est si fort que les électeurs ont donné près de 60 pour cent des suffrages à ce jeune homme relativement inexpérimenté (mais, à part cela, tout à fait en faveur de l’Union européenne) et à d’autres partis autrichiens de droite.
Le vieux continent est en train de se réveiller.
Nous assistons à l’émergence d’une réaction, encore peu organisée, du monde développé à la tendance que nous pourrions qualifier de « libéralisme autoritaire » qui a fini par nous dominer. L’approche de Trump en est, bien sûr, l’exemple le plus évident. Mais même en Europe, le continent qui semble s’être avancé le plus loin sur le chemin de l’autoritarisme, de remarquables sursauts se produisent.
Le Brexit, le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, en est l’élément le moins surprenant. Les Britanniques ont toujours été des membres peu enthousiastes de l’UE et n’ont jamais fait partie de l’union monétaire. Le pragmatisme anglo-américain ne s’accommode pas facilement des procédures irresponsables de la bureaucratie bruxelloise. La poursuite des politiques laxistes d’immigration, alors que Londres avait été frappée plusieurs fois par des attentats terroristes, a porté le coup fatal. D’une certaine manière, le Brexit est une décision malencontreuse parce que, comme un ami italien me l’a dit récemment : « Sans les Britanniques, nous, les Européens, sommes pour la plupart des ex-fascistes, ex-nazis et ex-communistes ».
En France, la mère du dirigisme, dont la population a l’habitude d’être gérée par Paris, le Front National – autrefois considéré comme trop droitisé et vicié par son antisémitisme – a recueilli un tiers des suffrages lors d’une élection singulière qui a eu lieu en mai cette année. Emmanuel Macron, le président actuel, n’a pas été l’objet d’un choix de conviction, mais plutôt une alternative acceptable. Le Front National a un passé historique chargé et ne réussira pas forcément à l’avenir, mais une importante fraction du peuple français – bien plus nombreuse que les électeurs pro-FN de maintenant – aspire à un gouvernement capable de repousser les menaces terroristes qui pèsent sur la France et aussi, peut-être, de garantir l’identité française.
La résistance qui se manifeste dans plusieurs pays européens découle surtout d’un puissant cocktail de griefs contre l’UE et d’opposition à l’immigration musulmane de masse (et aussi de peur du terrorisme). Mais la cause la plus profonde pourrait bien être le sentiment de la disparition progressive d’un mode de vie européen commun et de l’éclipse des traditions nationales. La chancelière allemande, Angela Merkel, et le pape François ont beaucoup poussé pour l’ouverture des frontières, l’assimilation des étrangers et l’apaisement des peurs. Les grands médias autant européens qu’américains, ont largement contribué à cette tâche.
Loin de favoriser une plus grande ouverture, cette prise de position a entraîné une résistance croissante : le parti Alternative für Deutschland (« alt-right » vient, à la surprise générale, de remporter plus de 10 pour cent des voix dans une Allemagne encore sous le coup de son passé nazi ; le contrôle des frontières a été renforcé dans l’UE et plusieurs pays ont même érigé des barrières, surtout en Europe centrale et orientale, où la menace perçue est la plus forte et, par conséquent, la résistance aussi.
La position de Bruxelles est que les nouveaux mouvements nationalistes/patriotiques qui se manifestent en Allemagne, France, Grande-Bretagne, Hollande, Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie et quelques nations des Balkans sont rétrogrades et antidémocratiques. Par contre, de nombreux habitants de ces pays estiment que c’est Bruxelles qui intervient de façon autoritaire contre les intérêts et les vœux de divers peuples européens.
On peut aisément critiquer les nouveaux mouvements de résistance pour leurs législations maladroites et mal conçues, leur action mal ciblée, leur démagogie populiste – autant de maladies politiques courantes. Mais on ne saurait nier que d’importantes couches de la population en Amérique du Nord et en Europe sentent que leur culture, leurs systèmes politiques et leurs croyances religieuses sont menacés par les milieux « éclairés » de leurs sociétés.
Ces nouveaux mouvements de résistance peuvent à bon droit susciter l’inquiétude. La crainte pleinement justifiée qu’a déclenchée la manière dont l’Europe a imprudemment laissé pénétrer sur son sol plus d’un million d’immigrants difficiles à assimiler (de nombreux jeunes hommes musulmans) risque d’évoluer en une espèce de xénophobie. Nos dirigeants religieux et politiques ont raison de nous en avertir.
Pourtant, nous ne devons pas, au nom du principe chrétien d’accueil de l’étranger, fermer les yeux sur d’autres réalités, surtout les menaces que peuvent présenter certains étrangers. Voilà une affirmation difficile à accepter pour des nations ayant une histoire chrétienne et républicaine. Mais c’est la pure vérité que si, disons, un million de Brésiliens débarquaient subitement sur les rivages de l’Europe, la situation provoquerait des problèmes, mais pas le genre de craintes que nous voyons actuellement surgir de la Scandinavie à la Méditerranée et des Iles Britanniques jusqu’aux frontières de la Turquie.
Il était probablement inévitable que des événements de ce genre se produisissent, étant donné l’état de la culture occidentale. Mis à part les troubles au Moyen-Orient qui ont provoqué le terrorisme et le flot de réfugiés, le fait est que nous nous percevons comme une non-culture, comme des sociétés dont l’unique rôle est de s’ouvrir à l’Autre. Prêtes à apprécier toutes les cultures, sauf la nôtre.
Mais, comme les savants le disent, la nature a horreur du vide. Et si nous ne défendons pas notre civilisation et notre passé, nous pourrons nous demander à juste titre si nous allons continuer à exister. Mieux vaudrait que nous apprenions à le faire maintenant d’une manière intelligente et posée que de remettre nos décisions à plus tard quand seules des interventions radicales s’imposeront.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/10/23/something-stirring-in-the-west/
Photographie : Les forces de police de Paris confrontées au problème de l’immigration en France
Robert Royal est le rédacteur en chef de The Catholic Thing et le président du Faith&Reason Institute de Washington (D.C.). Son dernier ouvrage est A Deeper Vision : The Catholic Intellectual Tradition in the Twentieth Century (publié par Ignatius Press). The God that Did not Fail : How Religion Built and Sustains the West est à présent disponible en livre de poche (Encounter Books).