Foi, croyance, et la Trinité - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Foi, croyance, et la Trinité

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Le père oblat Ronald Rolheiser figure parmi les écrivains les plus respectés et les plus prolifiques en matière de spiritualité chrétienne. Même si je ne l’ai jamais rencontré, j’ai profité de ses idées approfondies et de ses histoires captivantes. En particulier, je lui suis redevable de deux de ses livres : The Holy Longing (« La sainte angoisse », que j’ai utilisé avec des étudiants de premier cycle) et Sacred Fire : A Vision for a Deeper Human and Christian Maturity (« Feu sacré : une vision pour une plus profonde maturité humaine et chrétienne »).

Cependant, un de ces récents articles, « When Does Faith Disappear ? » (« Quand la foi disparaît-elle ? »), me laisse mal à l’aise. Il semble refléter une tendance en théologie et en spiritualité (les deux sont bien sûr inséparables) dont la signification est bonne mais finalement trompeuse.

Il commence par des statistiques alarmantes. Non seulement il y a eu un déclin rapide dans les dernières décennies du nombre de personnes qui vont régulièrement à l’église. Il y a eu « également un pic sans précédent du nombre de gens qui prétendent avoir complètement perdu la foi ». Ce dernier s’ajoute aux rangs qui augmentent la catégorie des soi-disant « Aucune », les gens qui n’ont aucune affiliation religieuse. Aux États-Unis et au Canada, les « Aucune » comprennent maintenant plus de 30% de la population.

Mais est-ce que beaucoup d’entre eux ont vraiment perdu la foi ? Rolheiser propose une distinction qui est maintenant très répandue en théologie catholique : il distingue « foi » et « croyance ». De manière provocante, il demande : « Est-ce que cesser de croire en quelque chose est la même chose que de perdre la foi ? » Et il répond, de manière tout aussi provocante : « Pas nécessairement. »

Pour présenter cette assertion, Rolheiser se tourne vers ce que l’on appelle traditionnellement la dimension « apophatique » de la théologie et de la spiritualité chrétiennes. Il déclare à juste titre : « Dieu est au-delà de toute conceptualisation, au-delà de toute imagination, au-delà des peintures et au-delà des captures par le langage, toujours inadéquates. »

En de nombreuses façons, cette récupération de l’« apophatique » rappelle ce que les Pères de l’Église et Thomas d’Aquin ont affirmé. Rappelle la phrase de saint Augustin : « si comprehendis, non est Deus » (« si vous pensez le saisir, ce n’est pas Dieu »). Une réprimande salutaire à un appel trop rationaliste aux propositions, comme si elles circonscrivaient de manière appropriée le contenu de la foi. L’insistance de Karl Rahner sur la nature « mystagogique » des déclarations dogmatiques était, par conséquent, bienvenue à l’encontre du dépassement néo-scolastique (quoique l’on puisse dire d’autre de son travail).

Mais je suggère que le pendule se balance à présent loin dans la direction opposée. Nous risquons un rejet également insatisfaisant des propositions. Le danger est ce que j’appelle « un apophatisme vide », la « foi » sans contenu distinctif ni discernable. Malheureusement, cela facilite la posture du « Je suis spirituel mais pas religieux ». Des propositions ne peuvent jamais décrire pleinement le Mystère, mais elles peuvent nous montrer la direction où se trouve le vrai mystère, et fournir des idées sur son caractère.

Santa Trinità par Masaccio, 1425 [Santa Maria Novella, Florence]
Saint Paul insiste sur le fait que « l’œil n’a pas vu, ni l’oreille entendu, ni le cœur humain conçu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui L’aiment » (1, Cor 2, 9). Ceci est « apophatique ». Mais il ajoute immédiatement « ces choses que Dieu nous a révélées par le Saint Esprit. » (1 Cor 2, 10). La révélation est le contact ! La foi chrétienne est la réponse amoureuse à l’amour de Dieu révélé en Jésus-Christ. La révélation en vient nécessairement à l’expression en propositions, en articles de croyance : « que le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, qu’il a été enterré, qu’il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, qu’il est apparu à Pierre, puis aux Douze. » (1 Cor 15, 3-5)

Les déclarations de croyance articulent la dimension « cataphatique » de la révélation, son contenu positif. Sans cette dimension, la foi chrétienne est complètement vide. Comme l’écrit Louis Dupré : « Si nous ne pouvons rien affirmer sur Dieu, alors nous ne pouvons rien dire à Dieu, et c’est la fin de la religion. »

Je suis d’accord avec le Père Rolheiser que « beaucoup d’articles de notre Credo chrétien… sont des images et des mots qui nous mènent à quelque chose que nous ne pouvons imaginer parce que c’est au-delà de l’imagination. » Elles sont « mystagogiques ». Mais des pasteurs sont appelés « mystagogues » : pour sonder avec sagesse et respect le Mystère de la foi, ils sont chargés, en fonction de leurs capacités, de raviver l’imagination religieuse, d’embrasser la via pulchritudinis – la voie de la beauté – exaltée par le pape François dans Evangelii Gaudium. Avec leur peuple, ils réfléchissent sur les grandes vérités de la foi, en appelant à l’aide les poètes et les artistes.

Un exemple : Rolheiser demande « Comment Dieu, qui est Un, peut-Il être Trois ? Il ne s’agit pas là de mathématiques, il s’agit du mystère, quelque chose qui ne peut pas être circonscrit par l’imagination. » Oui, certainement. Mais ne devrait-il pas être évoqué de manière imaginative ? Comme l’écrit John Donne :


« Que mon cœur batte pour Vous, Dieu en trois personnes,

Frappez, respirez, brillez, daignez réparer

Que je me puisse me dresser, supporter, et plier

Votre force qui casse, brûle, et me renouvelle. »

Nous pourrions alors suggérer, de manière conceptuelle mais toujours imaginative, que le « Dieu en trois personnes » dénote la plénitude de la personnalité, la plénitude des relations vitales. Que nous, créés à l’image de ce Dieu, ne sommes pas encore pleinement ce que Dieu nous destine à être. Que nous sommes appelés à grandir de plus en plus, par la grâce, dans la ressemblance de Dieu, pour entrer dans la vie même du Dieu en trois personnes et la partager.

La ressemblance complète créée de la Trinité est la communion des saints : des relations rachetées et transfigurées.

Dante est le poète ultime de la tradition catholique, le paladin de l’imagination catholique. La terza rima (rime tierce) de la Divine Comédie accorde tous nos mouvements au rythme de la vie trinitaire. Et la vision déférente à laquelle lui et nous sommes destinés est la vision du Dieu Trine.
Mais une telle vision n’est jamais individualiste ; elle est pleinement personnelle et ne se produit que dans la communion. Alors que Dante s’approche du point culminant de son voyage, il voit de plus en plus clairement que les relations fondées dans l’Amour et transformées en Amour, reflètent vraiment la Trinité sainte. Ce ne sont pas des mathématiques célestes, mais le mystère merveilleux.

Parce que la foi chrétienne est trinitaire par essence, il ne peut y avoir de dichotomie entre foi et croyance. La foi chrétienne n’est pas informe ; sa « logique » est Trinitaire. Vraiment, la primauté de la dimension cataphatique dans la théologie et la spiritualité chrétiennes est pleinement exposée à chaque fois que nous commençons notre prière en nous signant : « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ».

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Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/06/11/faith-belief-and-the-trinity/


Robert Imbelli, prêtre de l’archidiocèse de New York, est professeur associé émérite de théologie à Boston College. Il est l’auteur de Rekindling the Christic Imagination: Theological Meditations for the New Evangelization (« Attisement de l’imagination christique : méditations théologiques pour la nouvelle évangélisation »).