Quelle mouche a piqué, hier, Michel Lussault, en annonçant sa démission du Conseil supérieur des programmes de l’Éducation nationale ? Qu’il exprime son désaccord de fond avec son ministre Jean-Michel Blanquer, rien que de normal. On a pu parler à son propos de démission annoncée, et même programmée. Mais pourquoi a-t-il cru bon de s’en prendre à l’école des jésuites pour marquer l’écart qui existe entre deux conceptions de l’école : une conception élitiste et une conception démocratique. Les fils de saint Ignace sont donc censés incarner l’option contraire à celle de M. Lussault, ce qui relève quand même d’un curieux anachronisme. Certes, l’ancien président du conseil des programmes s’inscrit ainsi dans une tradition anticléricale, dont un Ferdinand Buisson, sous la Troisième République, était déjà tributaire. Mais reprendre un tel leitmotiv est plus significatif d’une rage idéologique que d’un jugement équilibré.
Que les jésuites aient formé longtemps l’élite de la société française, c’est une certitude. On peut leur attribuer, par exemple, la formation des plus éminents de nos chefs militaires. Ce n’est d’ailleurs pas terminé : bon nombre de dirigeants politiques, économiques, aujourd’hui, ont reçu cette éducation singulière, dont ils se félicitent. Comment ne pas reconnaître l’apport remarquable des fils de saint Ignace à l’histoire de l’école, avec la force d’une pédagogie pour émanciper de vraies personnalités ? Par ailleurs, il est singulièrement réducteur de ne considérer que ce seul aspect, en oubliant, par exemple, le rôle extraordinaire des jésuites en Amérique latine, avec les célèbres réductions du Paraguay, dont le film Mission a fait revivre l’épopée. Le pape François est largement tributaire de cette épopée, en fils très fidèle de saint Ignace, dont il a longuement muri l’enseignement lors de son noviciat mais aussi quand il était en charge de la Compagnie de Jésus, comme Provincial. M. Lussault n’a cure de la complexité du passé. Il est vrai qu’il est captif des passions actuelles. Des passions qui ne sont pas forcément vaines, si toutefois nous ne perdons pas la perspective de la véritable réforme de l’école.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 27 septembre 2017.