L’incontestable mutation que constitue l’avènement d’Emmanuel Macron dans notre paysage politique, avec la défaite sévère de la droite et de la gauche institutionnelles suscite forcément la réflexion de nos meilleurs intellectuels. De quelle nature est le changement ? Ne dépasse-t-il pas la politique au sens restreint du terme, parce qu’il s’agirait plutôt d’un changement de culture ou même de civilisation ? Les avis peuvent diverger. Pierre-André Taguieff, dans un essai intitulé Macron : miracle ou mirage ? (Éditions de l’Observatoire), pense que notre Président serait plutôt un mirage, qui ne tardera pas à décevoir, même s’il incarne les espoirs de la nouvelle bourgeoisie mondialisée. Régis Debray va plus loin dans un autre essai sur Le nouveau pouvoir (Medium – Éditions du Cerf), où il démontre qu’il y a vraiment du nouveau, car il y a un contenu spécifique à cette nouvelle bourgeoisie. Albert Thibaudet, en son temps, celui de la Troisième République, pouvait parler de République des professeurs, mais elle a laissé, après la guerre, la place à la République des énarques. République aujourd’hui en déclin car le Rastignac contemporain fait plutôt HEC que l’ENA tandis qu’il lance une startup et va en stage aux États-Unis.
Régis Debray poursuit ainsi la démonstration de son précédent essai intitulé Civilisation (Gallimard), où il expliquait « comment nous sommes devenus américains ». Avec Macron, ce serait un fait avéré, contemporain d’une culture « où le smartphone et le réseau ont changé les règles du jeu ». Ce changement de civilisation comporte aussi une dimension religieuse, plus favorable nous dit-il, au protestantisme évangélique qu’au catholicisme. Ce seul point devrait retenir toute notre attention. J’avoue que j’ai beaucoup admiré la façon dont Régis Debray, dans un entretien au Figaro, répond à une question de Vincent Trémolet de Villers sur notre pape François. Non, François ne participerait pas du tout à l’évolution séculariste d’un certain protestantisme. Il ne cesse de dénoncer l’économie liquide et la suprématie de l’argent : « La centralité du pauvre, comme pour Léon Bloy, c’est absolument étranger aux religions de la prospérité et de la réussite. François l’Argentin, le Latin résiste de son mieux à ce moment néo-protestant. »
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 20 septembre 2017.