L’éditorialiste qui doit commenter l’actualité du jour se trouve parfois dans l’embarras. Est-il vraiment obligé de prendre parti, par exemple, dans la polémique du jour, celle qui semble mobiliser toutes les indignations disponibles. Indignations qui vont en sens contraires. Ainsi, une pétition a été publiée hier dans Le Monde et largement relayée dans les autres médias sur l’éventualité de débaptiser tout ce qui, dans ce pays, porte le nom de Colbert. Colbert incriminé pour avoir porté la responsabilité du Code noir de fâcheuse mémoire, puisqu’il organisait l’esclavage. Cette pétition a provoqué nombre de protestations de la part de ceux qui s’inquiètent d’une telle purification de la mémoire, qui pourrait conduire à des excès et à d’incessantes guerres internes. On sait, par ailleurs, que cette querelle a commencé aux États-Unis, à la suite de manifestations de suprémacistes blancs, reprenant les motifs idéologiques du Ku Klux Klan de jadis. Il en est résulté une campagne d’éradication des statues du général Lee, celui qui dirigea les armées sudistes pendant la guerre de Sécession.
Est-il vraiment utile et salutaire de ranimer les querelles anciennes ? On allèguera qu’elles redeviennent actuelles lorsque le racisme renaît d’une façon particulièrement odieuse. Mais il n’est pas avéré que transposer le problème sur le terrain de l’histoire soit la meilleure façon de juguler le mal ou de l’exorciser. Beaucoup d’historiens en France ont ainsi dénoncé ce qu’on appelle les lois mémorielles, parce qu’elles enlèvent à leur discipline sa liberté d’investigation. C’est plutôt par l’approfondissement de l’étude du passé, sans en oublier la complexité, que l’on est à même d’apaiser les consciences.
Il est vain de vouloir fabriquer une unité factice par ce que les Russes appellent des oukazes. On risque au contraire d’attiser les oppositions en les rendant irrémédiables. Le pluralisme dont se réclame la démocratie a des exigences particulières. Le philosophe polonais Leszek Kolakowski prétendait qu’il devrait être possible de concilier le conservatisme, le libéralisme et le socialisme, pour peu qu’on creuse un peu les idées qu’ils portent. C’est dans ce sens-là que je plaiderais pour une confrontation de nos idées en ce qui concerne l’histoire dans ce qu’elle a de plus conflictuel.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 19 septembre 2017.
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