La culpabilité collective signifie que les péchés de nos pères ou de nos ancêtres sont aussi nos péchés. La responsabilité est calculée par le sang ou d’autres affinités, pas par le choix individuel. La culpabilité collective est une idée des plus dangereuses. On trouve sa référence classique au chapitre 18 d’Ézéchiel. Les fils ne doivent pas être punis pour les fautes de leurs pères ; de même que les pères ne sont pas punis pour les fautes de leurs fils.
Les fils et les pères doivent toujours être concernés par le bien-être de l’autre. Chacun est responsable de ses propres délits. La culpabilité collective « justifie » la haine et la punition de quelqu’un pour une chose qu’il n’a pas faite. Les lois de limitation ont été instaurées en partie en réalisant qu’il est dangereux d’imposer les normes d’une génération à une autre. La culpabilité collective va de pair avec la réapparition de la vengeance et le déclin du pardon.
La question est délicate. Si l’on appartient à une religion, un pays, une classe, une famille ou un autre groupe, on s’identifie généralement avec ce que ce groupe tient pour être nécessaire ou lui être propre. La culture signifie que, en suivant ses coutumes, on est plus facilement capable de comprendre ce que font les autres de notre sorte, que ce qu’ils pensent est bien à faire.
L’influence culturelle vient de notre nature sociale. Si l’on n’est pas ouvert à un tel guide externe, on ne peut accomplit grand-chose. L’individualisme revient à ne pas accepter de guide extérieur. On fait ses propres lois.
L’individualisme et la culpabilité collective peuvent avoir la même origine.
Les entités collectives comme les États, les religions, ou même les armées, ne sont pas elles-mêmes des personnes. Elles n’existent pas par elles-mêmes. Elles ne jouissent pas d’une destinée transcendante de qui elles sont redevables. Elles n’ont pas de cerveau ni de volonté propre. De telles entités se réfèrent à un certain type d’ordre au sein de personnes humaines réelles qui leur apportent leurs êtres.
Cependant, il existe des « personnes légales ». Tout en reconnaissant clairement que de telles entités ne sont pas des personnes réelles, nous désignons par là la responsabilité limitée qu’ont de telles organisations, leurs employés et leurs membres, lorsqu’ils agissent au nom du groupe. On peut accomplir beaucoup plus de bonnes choses lorsqu’on a de multiples associations libres qu’on ne peut le faire par soi-même.
Mais on peut aussi faire plus de dégâts. Lorsque l’on agit au nom d’une organisation, on n’abandonne pas sa responsabilité personnelle vis-à-vis de ce qui est vrai ou juste. Cette relation de la responsabilité personnelle et de la responsabilité sociétale crée de nombreuses controverses sur la manière dont agissent les dirigeants des organisations sociales.
Le problème de la responsabilité collective a été soulevé par Jean-Paul II. Il voulait « nettoyer la mémoire » comme il disait. Que se passe-t-il si j’appartiens à une famille, un pays, une religion ou une société dont l’histoire passée, lorsqu’on l’examine, a été nuisible à d’autres ? On ne peut plus arrêter ni juger ceux qui sont morts et que l’on considère aujourd’hui comme coupables. Pas plus qu’ils ne peuvent se défendre. En réalité, nous imposons nos idées d’aujourd’hui sur leur passé. « Ils « auraient dû » voir ce que nous voyons. Bien sûr, le passé peut aussi « imposer » ses idées au présent. Peu d’ancêtres hésiteraient à mépriser nos pratiques de l’avortement. La rétribution qu’ils nous demandent est que nous reconnaissions nos fautes envers leur descendance.
La ville de Charlottesville, en Virginie, où vécut Thomas Jefferson, a récemment voté l’enlèvement d’une statue équestre centenaire de Robert E. Lee d’un jardin de la ville. Il y a là un signe de la culpabilité collective, de l’effort fait pour présenter des excuses pour l’histoire. On se souvient de Lee comme un homme qui fut traité honorablement dans la défaite. Déplacer son souvenir sur le terrain où ses fautes présumées peuvent être punies du déshonneur de nombreuses décennies après sa mort, semble arrogant. Je pense à l’essai célèbre de Richard Weaver : « Lee en tant que philosophe ».
Dans notre juste logique de vengeance civique, allons-nous maintenant supprimer toute mémoire du Sud, retirer tout souvenir le concernant, profaner ses tombes et détruire ses statues ? Est-ce l’esprit de Lincoln et de ses efforts pour réconcilier les frères ? De tels efforts pour nettoyer la mémoire semblent plus dangereux que de laisser intacte la mémoire de leurs actes.
La raison pour laquelle nous laissons Dieu juger, après la mort, les crimes personnels de chaque personne est d’empêcher les gouvernements d’assumer eux-mêmes la tâche divine de juger les péchés de Robert E. Lee dans un passé lointain.
Que signifie pour nous, tous pécheurs, le fait de demander pardon pour les péchés de nos ancêtres ? Est-ce que nous éradiquons toute mémoire des causes perdues ? Est-ce que Lee était entièrement mauvais ? Est-ce ainsi que nous le jugeons aujourd’hui, ainsi que nous-mêmes ? Jusqu’où devons nous poursuivre cette vengeance qui nettoie ?
Celui qui est sans péché fut un jour appelé à jeter la première pierre. Nos péchés sont devenus sociaux, pas personnels. C’est un signe de notre déclin. Lee a fait sa paix avec ceux qu’il a réellement combattus, et eux avec lui. L’enseignement selon lequel les fils ne sont pas responsables des fautes de leurs pères est remplacé par la responsabilité collective dans laquelle ils sont responsables.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/05/09/on-collective-guilt/
Photo : La statue de Robert E. Lee à Charlottesville
James V. Schall, S.J., qui fut professeur à l’Université de Georgetown pendant trente-cinq ans, est un des écrivains catholiques les plus prolifiques des États-Unis. Parmi ses récents ouvrages : The Mind That Is Catholic (« L’esprit catholique »), The Modern Age (L’âge contemporain), Political Philosophy and Revelation: A Catholic Reading (Philosophie politique et Révélation : une lecture catholique), Reasonable Pleasures (Plaisirs raisonnables), et dernièrement, aux St. Augustine’s Press, Docilitas: On Teaching and Being Taught (Docilité : enseigner et être enseigné).
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