Apocalypse Staline - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Apocalypse Staline

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1

La langue des pécheurs se change en pierre sèche,

plus noire que leur palais,

plus rouge que leur mains.

.

Il est vrai, nous sommes tous pécheurs

et les tortures infligées par les bourreaux outrepassent

indéfiniment, ignominieusement

et de loin

ce que sont les péchés de si pauvres victimes :

enfouies sont-elles dans les goulags secrets,

ensevelies en des visions d’outre-mémoire.

.

Le silence blessé des dissidents de la grande nuit

crie et criera jusqu’à la fin du monde

l’inaudible :
.

leurs yeux versicolores se dérobent,

troubles jouets nés de splendeurs cruelles

– éclats des neiges à jamais rétives,

en leur linge de glace reconnues irréelles –,

tandis que dans les hauteurs stagnent

des nuées de désolation plus mornes
que les sinistres chants des condamnés.

Se meurent debout au fond de lointaines prisons

ceux-là qui incessamment sous les fouets charriaient

par millions des pierres, des ordures,

creusaient des canaux inutiles

et pire encore :

sous le linceul des neiges éternelles.

ensevelissaient dans les larmes

le corps de leurs amis défunts

(Jean regardait l’Agneau

faisant face aux Sept Sceaux

que seul il avait le pouvoir d’ouvrir :

seule sa main portait à la fois

le jugement et la bénédiction.)

Dérisoires plaintes,

le bonheur ne fait plus valoir ses titres anciens

qu’illusionnaient les étoiles des pôles !

S’inscrivaient en des registres d’aventuriers

leur théâtre éclairé d’arabesques d’or,

tandis que le despote, assis sur des peaux d’agneaux,

se goinfrait de viandes sauvages et de femmes.

Le sang des zeks[1] toujours versé dans la glaise
– salive de charbon sur le visage des vaincus –
se changeait alors en graisse de noir fumier !

La pluie d’hiver gicle sur leurs tombes en ruines,
plus véridiques que toute douleur :

les mensonges rabâchés croient pouvoir cacher

même aux anges l’infini de toute souffrance…

.

Quand, sans avoir osé confier au vent de glace
leurs visages écrasés au marteau,

leurs mains tranchées à la faucille,
un soleil pâle venait comme par hasard

les irradier d’un feu presque éteint

que leurs regards défunts soutient encore.

.

Au matin, l’horizon dévoilait la Beauté nue

en ses tendresses de désir et de neige :

la flèche d’une âme-oiseau perçait la fenêtre

d’une cellule pourtant vouée à la tristesse :

puis s’élançait au-delà de tout ce qui se dérobe,
et qu’avait détruit tout amour d’ici et d’ailleurs.

.

Attirées au-delà de ce qui les épouvante,

tendant l’oreille vers un inaudible chant

de haute altitude et de lumineuse nuit,

des âmes, quoique attentives à l’horreur du soir,

s’élançaient, éloquence hardie,

afin d’oser tendre en silence
vers le « Seuil du Sans Nom »,

assis tout au haut de l’éternelle Croix :
désir de traverser – avant ce qui pourvoit

au profit de l’envol –

l’ultime Cour sauvage des Désastres.

[1] – Zek, nom donné aux prisonniers des goulags en Union soviétique.