Que son sang soit sur nous ! - France Catholique
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La justice de Dieu
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Que son sang soit sur nous !

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Parmi toutes les lectures du temps pascal, celle qui m’a toujours le plus remué est Matthieu 25:27, quand la foule crie : « Que son sang soit sur nous et sur nos descendants ». Il vaut la peine de se souvenir que se passage se trouve dans l’Evangile de Matthieu, et que Matthieu était lui-même un Juif. Appelle-t-il une malédiction multi-centenaire sur son propre peuple ? Je ne le pense pas. C’est une mauvaise compréhension de texte, fort commune, qui a des conséquences exceptionnellement tragiques, mais qui répond à un modèle courant.

Ce modèle suppose que l’on prenne un passage traitant du sacrifice altruiste du Christ pour l’humanité entière et qu’on l’interprète de manière essentiellement païenne – comme si le Christ était Zeus ou Apollon.

Un exemple parfait de cette même mauvaise interprétation concerne la façon dont certains interprètent Ephésiens 5:22-25 quand Saint Paul établit une analogie entre les époux et entre le Christ et l’Eglise. Les épouses devraient considérer leur époux comme l’Eglise considère le Christ, et les maris sont supposés aimer leur femme comme le Christ aime l’Eglise.

Maintenant, pour quelque raison – et je pense que cela a davantage à voir avec notre nature pécheresse qu’avec de mauvaises habitudes d’interprétation biblique – certains, surtout des hommes, semblent penser que cela signifie que le mari doit être « le seigneur » de sa femme. Quand exactement le Christ s’est-il montré « le seigneur » de l’Eglise, si nous entendons par là qu’il réclame des services, comme un roi païen ? Le Christ a lavé les pieds de ses disciples et a dit « celui qui veut être le premier doit servir les autres ». Donc, selon moi, quand un mari dit à son épouse : « je suis supposé être le Christ pour toi », elle devrait se dépêcher d’ôter chaussures et bas pour qu’il puisse lui laver les pieds.

Les dieux païens comme Zeus et Apollon exigent que les humains leur offrent des sacrifices. Le Dieu des chrétiens se sacrifie Lui-même jusqu’au bout pour nous et meurt en pardonnant les péchés, même les péchés de ceux qui L’ont crucifié. Qu’est-ce qui nous a fait renverser les choses, et au lieu de voir le commentaire de Paul comme une admonestation à servir, de le prendre comme une permission à réclamer d’être servi ?

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas sain. Et cela n’a rien à voir avec la façon dont le Christ se révèle Lui-même dans les Ecritures.

Mais cela nous ramène à ce commentaire dérangeant : « que son sang soit sur nous ». Comme chrétiens, que croyons-nous ? Nous croyons que dans le sang du Christ, nous sommes guéris et nos péchés pardonnés. Dans l’Eucharistie, le Corps et le Sang du Christ nous sont offerts comme ils l’ont été aux premiers Apôtres.

Recevoir le Corps et le Sang du Christ dans l’Eucharistie est l’un des moyens les plus puissants de participer à la mort salvatrice du Christ et à sa résurrection et de recevoir Ses dons de grâce divine. Qu’est-ce qui nous pousse à tourner cette bénédiction en malédiction, quand l’intention évidente de Matthieu en racontant cette histoire était de dire que ce qui était à l’origine une malédiction s’était transformé, par le sacrifice du Christ, en bénédiction ?

Jésus était Juif. De même que Marie et les premiers Apôtres. Nous comprenons la Nouvelle Alliance dans les termes de l’Ancienne, c’est pourquoi nous avons tant de lectures de l’Ancien Testament à la Vigile Pascale. La seule lecture de l’Ancien Testament qui ne doive jamais être omise à la Vigile Pascale, selon les instructions générales du Missel Romain, c’est la lecture de l’Exode où Dieu sauve Son peuple : l’événement qui est au cœur de la Pâque de l’Ancien Testament. Nous ne pouvons pas comprendre convenablement la Dernière Cène dans le Nouveau Testament, la célébration pascale, sans ce contexte. Comme le Christ Lui-même l’a dit : « le salut vient des Juifs ». (Jean 4:22)

Les Romains ont crucifié le Christ. Quelle était la portée des Juifs criant pour réclamer sa crucifixion ? Selon Jean 1:11 : « Il est venu chez les siens et les siens L’ont rejeté ». il n’a pas été rejeté seulement par les Romains « étrangers » mais également par Son propre peuple. Et qui est « Son propre » peuple ? Que représente le peuple juif ? Nous tous : toute l’humanité, enracinée dans le péché, qui a rejeté Dieu.

Ce n’est pas sans raison qu’à la célébration des Rameaux nous crions tous : « crucifie-le ! Crucifie-le ! » Ce ne sont pas seulement les Juifs, c’est nous. Et nous disons avec eux : « que son sang soit sur nous et sur nos enfants ». Et il est sur nous, parce que c’est le sang de la Croix qui nous rachète, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle, le sang versé du Christ, par lequel nous sommes sauvés.

Pourrions-nous imaginer une plus grande bénédiction pour une foule que celle-ci, que le sang du Christ soit sur elle et sur ses enfants ?

Voyez-vous comment le sacrifice du Christ a transformé ce qui était une malédiction en une bénédiction, non seulement pour ceux qui étaient présents mais pour nous tous ? Ceux qui se servent de ce passage comme d’une excuse pour haïr ou persécuter les Juifs ont tout faux. Pire, ils tournent la bénédiction du Christ, obtenue à si grand prix par Son propre sang, en malédiction. Si ce n’est pas le plus grand crime qu’on puisse commettre contre le sacrifice salvateur du Christ, je ne sais pas ce qu’il faut.


Ah très saint Jésus, en quoi as-Tu offensé

Cet homme qui te juge pour une haine imaginaire,

Raillé par tes adversaires, rejeté par les tiens, O si grièvement frappé.

Ne faisons pas d’erreur. Quand nous chantons cette hymne, nous sommes Ses adversaires, nous sommes les Siens qui Le rejettent ; nous sommes ceux qui ont trafiqué en déguisant notre haine en justice. Nous sommes ceux qui l’affligent. Et pourtant, malgré tout cela, Il nous aime toujours – un amour qu’Il a montré le plus pleinement en versant pour nous Son sang sur la Croix.

Alors que Son sang soit sur nous et sur nos descendants, car c’est pas Son sang que nous sommes rachetés et obtenons la vie éternelle.

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Randall Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston (Texas).

Illustration : « Ecce Homo, voici l’homme » par Andrea Mantegna, vers 1500 [musée Jacquemart-André, Paris]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/04/24/let-his-blood-be-upon-us/