On constate chez les « progressistes » dans les domaines culturel et politique deux tendances apparemment contradictoires : l’une libertaire et l’autre totalitaire.
D’une part, les progressistes sont de fermes adeptes de la liberté individuelle et haïssent toutes les restrictions à cette liberté. Par exemple, ils dénoncent presque tous les freins à la liberté sexuelle. Tout en concédant, bien sûr, qu’il doit y avoir quelques limites d’ordre social et même légal. Le viol ou tout autre forme d’agression sexuelle doivent être interdits. Du point de vue des progressistes, pour être moralement licites, les relations sexuelles doivent être librement consenties par les deux partenaires.
Une autre restriction à la liberté sexuelle admise par les progressistes est l’interdiction des relations sexuelles entre un adulte et un enfant mineur. Mais les progressistes ne s’accordent pas sur la définition de la frontière entre âge adulte et enfance en matière de sexualité. Cette limite devrait peut-être coïncider avec la majorité sexuelle fixée par tel ou tel Etat ? Mais il s’ensuivrait alors que ladite limite varierait d’un Etat à l’autre, et ne tiendrait pas compte du fait que certains enfants parviennent à la maturité sexuelle à un plus jeune âge que d’autres. Telle petite fille peut être capable de donner un consentement éclairé à quatorze ans tandis qu’une autre peut en être encore incapable à l’âge de dix-neuf ans.
En tous cas, les progressistes acceptent théoriquement qu’un adulte ne devrait pas avoir de relations sexuelles avec un mineur, mais ne peuvent s’accorder sur la définition pragmatique dudit mineur.
Il convient de noter au passage que les progressistes ont une attitude très ambivalente en ce qui concerne l’application des deux restrictions mentionnées ci-dessus. Ils estiment que les collèges et les universités devraient appliquer très strictement les règles contre le viol et les violences sexuelles. Mais ils ne pensent pas que l’association Planned Parenthood [de régulation des naissances] ou tout autre agence pratiquant l’avortement devrait informer la police de cas évidents de viol caractérisé, comme, par exemple, lorsqu’une jeune fille de quinze ans vient interrompre une grossesse causée par son partenaire de vingt-cinq ans.
En dehors de ces deux restrictions (viol et pédophilie), les progressistes sont en faveur d’une liberté sexuelle complète : rapports sexuels avant le mariage, homosexualité, mariage de personnes du même sexe, rapports sexuels occasionnels, échangisme, « amour plural» et polygamie. Ils approuvent même la prostitution. Mais le terme « prostituée » (qui porte un jugement désobligeant) est banni de leur vocabulaire et remplacé par « travailleuse du sexe ». Et s’ils déplorent certains aspects secondaires de cette profession (par exemple, les souteneurs, la violence et l’usage des stupéfiants), les progressistes n’ont aucune objection de principe dans ce domaine, pourvu que la travailleuse du sexe pratique son métier sans contrainte. Dans l’idéal, ce devrait être l’équivalent d’une transaction commerciale quelconque (comme dans une boulangerie, par exemple).
Mais les limites imposées à la sexualité ne sont pas les seuls freins à la liberté individuelle que les progressistes rejettent. Ils s’opposent aussi aux restrictions limitant l’usage des stupéfiants à des fins récréatives. Pourquoi donc interdire l’usage de telle ou telle drogue à un adulte ? Si ces drogues sont nocives, leur utilisateur est le seul à en souffrir. Sur quoi donc se fonde l’interdiction ? A l’heure actuelle, les progressistes font pression pour obtenir la légalisation de la marijuana. Mais à moins que cela ne vous échappe, vous savez bien quel est leur but ultime : la légalisation de toutes les drogues « à des fins récréatives ».
Et ils estiment aussi que le droit à l’euthanasie ne devrait pas souffrir de restrictions. En ce moment, bien sûr, leurs exigences ne vont pas aussi loin. Le pays n’est pas prêt – tout comme, il y a quelques années, le pays n’était pas prêt pour le mariage homosexuel. Si bien que les progressistes (comme Obama) faisaient semblant de s’y opposer ; mais les esprits avertis savaient bien ce qu’ils visaient. A l’heure actuelle, les progressistes ne réclament que le suicide assisté par un médecin. Mais peut-on douter que bientôt ils réclameront l’euthanasie volontaire ?
Il va sans dire que si vous êtes un progressiste épris de liberté, vous détestez des institutions comme le mariage traditionnel, la religion et la police, car toutes ces institutions ne s’occupent que d’imposer des restrictions à la liberté. Pas plus que vous n’éprouverez de sympathie pour des collèges qui imposent aux étudiants d’étudier l’histoire ancienne, Shakespeare ou les lois de la gravitation de Newton. De quel droit les autorités scolaires peuvent-elles dicter aux étudiants (presque tous majeurs légalement) ce qu’ils doivent apprendre ? Pourquoi devrait-on me forcer à lire quelque chose d’aussi ennuyeux que la poésie de Wordsworth alors que mon ambition est de devenir un disc-jockey à la radio ?
Mais n’oublions pas la postulation progressiste opposée, celle du totalitarisme. Les progressistes estiment que le gouvernement, en particulier le Gouvernement fédéral des Etats-Unis, peut résoudre tous nos problèmes. Peut-être pas dans l’immédiat, mais à long terme, s’il dispose du temps, de l’argent et de la bonne volonté nécessaire, et à l’issue d’élections donnant le pouvoir aux progressistes.
Pauvreté, racisme, écoles déficientes, délinquance, maladies mentales, SIDA, toxicomanie, islamophobie, homophobie, « transphobie », xénophobie, misogynie, réchauffement climatique, tels sont les problèmes majeurs auxquels nous nous heurtons, nous autres Américains. Eh bien, si vous êtes un progressiste, vous pensez que le Gouvernement fédéral peut prendre des mesures – qu’il s’agisse de lois, d’agences, de programmes – pour les résoudre.
Certains de ces problèmes sont le résultat du libertarisme progressiste, le plus évident d’entre eux étant la série de conséquences (délinquance, absence de déontologie, mauvaise éthique scolaire, toxicomanie) qui découlent de la destruction de la famille traditionnelle, projet de destruction auquel les progressistes travaillent depuis de décennies. Nous avons besoin d’un Gouvernement fédéral totalitaire et progressiste pour remédier au chaos créé par l’autre facette du progressisme, l’idéologie libertaire.
Pour les progressistes, la liberté individuelle n’est pas une fin en soi. C’est un bienfait parce qu’elle mène (ou est censée mener) au bonheur. Mais dans de nombreux cas elle ne conduit pas au bonheur, mais au contraire. Comment alors parvenir au bonheur ? Grâce à l’action d’un Gouvernement fédéral tout-puissant, d’un totalitarisme bienveillant qui saura éliminer la délinquance, la pauvreté, le SIDA, le réchauffement climatique, la stupidité et tous les autres maux qui frappent les Américains.
Les voici donc : les deux tendances (contradictoires en apparence, mais pas en réalité) des progressistes.
Vendredi 24 mars 2017
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/03/24/the-two-progressive-impulses/
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Illustration : Dieu réprimant Adam et Eve, Le Dominiquin, 1626 (National Gallery of Art, Washington D.C.) [Un tableau semblable se trouve au Musée des Beaux-Arts de Grenoble]
David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island et auteur de l’ouvrage : Decline &Fall of the Catholic Church in America.
Pour aller plus loin :
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