L’an dernier, « Soumission », le roman de Michel Houellebecq a été un best-seller et un marqueur culturel en France. Il est extrêmement pertinent concernant la religion et la vie publique dans nos pays occidentaux nantis et à bout de souffle (il y a même un épisode où le héros a une vision de la Vierge Marie, mais elle déclare forfait et il ne se convertit pas). Mais pour les besoins actuels, il vaut la peine de contempler une autre facette de l’histoire : en raison de dissensions entre libéraux et conservateurs, un musulman « modéré » devient le Président français. Il répartit les ministères entre plusieurs autres partis (non musulmans), une pratique traditionnelle française, leur donnant part au gouvernement.
Un seul ministère est réservé à son parti : l’éducation. En peu de temps, cela met la France sens dessus dessous. Etant donné que les écoles et les universités, d’un bout à l’autre du pays, sont gérées par des professeurs et administrateurs qui pour l’essentiel ne croient en rien, il n’est pas difficile de changer les choses, même des choses importantes, quand quelqu’un qui croit en quelque chose prend le pouvoir. Dans la Sorbonne de fiction de Houellebecq, par exemple, des professeurs sont mis à la retraite, éliminés, achetés ou subornés par de substantielles largesses octroyées par les pays du Golfe. Le pays tout entier, y compris la classe intellectuelle, acquiert rapidement une ambiance musulmane.
Mais sautons de cette fiction à la véritable Amérique de 2017 : un nouveau président a maintenant prêté serment et son « conseil des ministres » est peu à peu approuvé. Mais dans les moments tels que celui-ci, que les anthropologues qualifient de liminaires – quand nous passons d’un endroit à un autre – de grands problèmes se montrent avec une netteté accrue. Les incertitudes et les inquiétudes de cette transition font comprendre certains problèmes comme plus urgents que jamais.
Notre défense nationale semble maintenant en de meilleures mains. Le nouveau Secrétaire à la Défense, le général James Mattis, a été le premier (et le plus favorablement) approuvé, avec raison. Il n’était pas seulement un bon commandant de Marines. C’est un lecteur et un penseur. Révélation inédite : ma famille a des raisons personnelles de le remercier, mais je vous passe les détails. Notre histoire n’est que l’une des nombreuses histoires qui révèlent son caractère – après sa retraite, il a parcouru tout le pays pour visiter les familles des Marines tombés sous son commandement.
Notre économie est relativement solide selon les critères mondiaux actuels, pour ce qu’on peut leur accorder comme crédit. Les gens que le président Trump a nommés semblent comprendre les principes économiques sains, peut-être mieux que Trump lui-même. Mais tandis que les principes économiques sont clairs, les circonstances sont changeantes. Le meilleur économiste que j’ai jamais connu m’a dit un jour, parlant d’une décision économique : « elle est juste, toutes choses étant égales par ailleurs, mais elles ne le sont jamais ». Nous allons bientôt voir si l’équipe économique est aussi prudente et efficace que l’équipe à la Défense semble l’être.
Mais alors que les audiences suivaient leur cours, quelque chose me harcelait. Un chrétien, comme tout citoyen, sait que les conditions matérielles dans un pays – la sécurité et la prospérité – sont importantes et peuvent même affecter les choses non matérielles. Mais un chrétien ne peut non plus se tenir loin des paroles du Seigneur – adressées au Démon, rien que cela – selon lesquelles l’homme ne vit pas seulement de pain (ou de sécurité matérielle).
Regarder la mise sur le grill de Betsy DeVos, candidate au Secrétariat à l’Education, m’a remis en mémoire cette parole et le roman de Houellebecq. Madame DeVos est une fervente avocate du choix de l’établissement scolaire, ce que le système éducatif en place considère comme un langage codé pour le racisme et un effort mesquin et radin pour détruire les établissements scolaires publics, bien que l’ordre établi ait joliment travaillé dans ce sens ces derniers temps.
Les gens parlent beaucoup de l’échec des écoles des quartiers défavorisés, ils veulent dire par là que les écoles d’état ne transmettent pas les compétences nécessaires pour réussir dans notre économie. C’est assez vrai ; les étudiants ont besoin d’apprendre comment concilier le corps et l’âme. Cela rendrait service si les écoles d’état également reconnaissaient que la plupart des gens sains d’esprit pensent qu’ils sont plus que de simples corps.
Et il y a bien plus en jeu. Les écoles – même dans les quartiers favorisés – n’enseignent pas non plus très bien nos traditions constitutionnelles, religieuses et sociales. Selon elles, l’Amérique traditionnelle est injuste, intolérante et élitiste. Ce sont nos écoles supérieures et nos universités qui ont appris à des millions d’Américains à parler le langage vulgaire de la supériorité morale courroucée dont nous avons été témoins dans « la marche pour les femmes » le lendemain de l’investiture.
Les syndicats, les groupes académiques, nos médias malchanceux clament que ceux qui veulent davantage de contrôle local sur l’enseignement et la possibilité de choisir l’établissement veulent seulement faire baisser les impôts et laisser tomber les pauvres. De fait, il y a une menace bien plus grande pour leur status quo. Si Trump réussit, comme l’avait fait Reagan, à rétablir le patriotisme et la religiosité comme des aspects dynamiques de notre vie publique, ce sera en soi une grande réussite. Mais nous savons que cela de durera pas longtemps si nos écoles et universités continuent d’instiller des leçons d’étatisme, de laïcisme et de politiquement correct.
Ce n’était donc pas une surprise pour moi que Elizabeth Warren et Bernie Sanders refusent tous deux de serrer la main de madame DeVos quand elle est venue pour son audition. Ils savaient l’importance de cette démarche. C’est une femme très riche ; ils ont tâché de faire en sorte que ce fait paraisse disqualifiant ou honteux. C’est vrai, elle n’a jamais fréquenté les établissements publics – et pourquoi aurait-elle dû ? Les sénateurs et membres du Congrès qui viennent à Washington permettent rarement à leurs enfants de fréquenter les écoles d’état – à juste titre.
Parmi les principales villes américaines, Washington arrive en quatrième position pour les dépenses par étudiant. Et elle est 106e en termes de résultats. Le système n’est même pas capable de dire combien il compte d’employés et d’étudiants. Contrairement à ses critiqueurs, Betsy DeVos a consacré beaucoup d’argent – son propre argent – pour améliorer l’enseignement, elle ne s’est pas contenté d’en parler.
Mais Betsy DeVos est vilipendée parce que son administration prépare pour le long-terme. L’enseignement est un travail de longue haleine et peu nombreux sont ceux qui ont la patience de s’y consacrer dans notre monde voué au numérique. Mais ne nous laissons pas fourvoyer. Nous avons besoin d’une économie plus forte, d’une armée plus forte, d’un esprit national plus fort. Pourtant ils peuvent être de nouveau rapidement balayés si nous continuons à permettre que les élèves passent une douzaine d’années sous la férule des maîtres et des régimes politiquement corrects actuellement en place.
Des changements au sommet, comme le montre la France musulmane de fiction de Houellebecq, peuvent produire des changements partout. Le système en place le sait bien.
Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président de l’institut Foi & Raison de Washington. Il a écrit plusieurs livres.
Illustration : Betsy DeVos
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/01/25/fixing-social-insecurity/