Sur l'unité - France Catholique
Edit Template
Pâques. La foi des convertis
Edit Template

Sur l’unité

Copier le lien

Anthony Esolen a récemment décrit les dangers d’une diversité dogmatique. L’autre extrême, l’unité, est également problématique. Dans un article de Telos, Alice Ormiston examine le « désir tragique d’unité » de Rousseau. Pourquoi une tragédie ? Le désir d’unité est un désir sain qui ne peut être satisfait. Rousseau a été accusé d’aimer l’humanité entière, mais pas le drôle de zèbre de la maison mitoyenne. Les lecteurs de Platon comprendront le problème. Trop d’unité et trop de diversité sont tout autant nocifs. Aristote a observé que l’unité et la diversité étaient bonnes toutes deux. Mais elles doivent être associées d’une façon équilibrée. Elles ne doivent pas se ravager l’une l’autre. En politique, nous appelons cet équilibre le fédéralisme ou même la confédération.

A cette lumière, nous nous souvenons du rappel du Christ que Son Père et Lui ne font qu’un (Jean 10:30). Pourtant, dans la Trinité, le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père, L’Esprit n’est ni le Père ni le Fils. Ils sont un précisément en n’étant pas l’un l’autre – un en être, divers en personnes. Le serment de mariage parle de deux en une seule chair. Ce qu’est l’un ne doit pas devenir ce qu’est l’autre. Les deux ne doivent pas devenir une troisième substance. Dans les religions orientales, nous avons la volonté d’être absorbé dans le grand tout. Marx a parlé de « l’homme des espèces » qui veut être tout ce qui n’est pas lui.

Un système politique multi-partis nous assure que chaque différence a voix au chapitre dans une politique unique. Dans un système bipartite, les deux partis doivent rester sous le joug d’une même constitution. Leurs différences n’implique pas l’alternance au pouvoir de deux politiques différentes. Un régime politique est uni de différentes façons pour faire de bonnes choses au bénéfice de tous ceux qui appartiennent à ce régime politique.

L’unité est également une des affirmations transcendantales – omnes ens est unum – chaque être est unique, il est ce qu’il est. L’unité signifie qu’un être dans son entier, par exemple un être humain, avec ses différentes « parties », est cependant un être unique. Sans l’extraordinaire diversité de nos organes et de leurs fonctions, nous ne pourrions pas être la sorte d’être que nous sommes. Il n’est vraiment pas difficile de comprendre ce genre de choses. Pourtant, mal comprendre ce qu’est l’unité, pour rappeler Rousseau, peut nous conduire dans de nombreuses situations qui, au nom de l’unité, rendent impossible pour nous d’être qui nous sommes. Il est de notoriété publique que Rousseau voulait qu’en obéissant tous au même général Volonté, nous n’obéissions qu’à nous-mêmes.

Au fil des ans, je me suis souvent demandé et j’ai interrogé également mes étudiants : « pourquoi est-ce bien d’être un être humain ? » Il ne faut pas négliger la portée de cette question. Pour être moi-même, a souligné un jour Yves Simon, je ne peux pas être quelqu’un d’autre. Le « coût » de mon être, c’est que je ne suis pas quelque chose d’autre ou quelqu’un d’autre. Pourtant toutes ces autres individualités sont là autour de nous. Nous cherchons à les connaître telles qu’elles sont.

Nous sommes des êtres originaux, sociables, relationnels. L’unité des parties qui constituent notre fonctionnement personnel, notre être, l’individu unique qu’est chacun de nous, nous rend capables de parler de nous-mêmes en tant que personne unique. L’amitié, cette relation si prisée, ne signifie pas que je deviens quelqu’un d’autre et que je cesse d’être moi-même.

Qu’est-ce que cela veut dire alors ? On ne nous appelle pas pour rien des animaux rationnels. Nous n’avons pas une intelligence juste pour le plaisir d’en avoir une. Nous avons une intelligence afin de ne pas passer à côté de ce qui n’est pas nous-mêmes. Grâce à notre intelligence, nous pouvons virtuellement être toutes les choses qui ne sont pas nous. Nous les connaissons.

Nous « devenons » d’une certaine manière ce qui n’est pas nous-mêmes par la manière de connaître, non par la manière d’être. Je connais cette montagne, elle reste ce qu’elle est. Moi, je change parce que je la connais. C’est formidable d’être un humain car ce qui n’est pas nous peut cependant être nôtre par la connaissance que nous en avons tandis que nous demeurons la personne unique et non reproductible que nous sommes. Finalement nous « devenons » ce qui n’est pas nous-mêmes en le connaissant.

En ce sens, notre unité individuelle inclut, et elle est prévue pour cela, tout ce qui n’est pas nous. A travers le don de Dieu, nous sommes invités à connaître les personnes divines qui sont un. Par conséquent, nous sommes un être unique. Nous « devenons » tous les êtres en restant un être unique.

La plupart des désordres humains consistent, sous une forme ou une autre, à ne pas mettre en ordre ces relations. Aristote avait compris que le problème de Platon consistait à vouloir trop d’unité. Ou mieux, au moins dans La République, il voulait la mauvaise sorte d’unité. Il absorbait les parties dans un grand tout au lieu de les laisser être des parties dans un bien commun qui les autorise à être ce qu’elles sont.

L’unité ultime des choses passe par l’amour et la connaissance, non par un être qui absorberait tous les autres êtres en lui. Le grand mystère, comme a dit Chesterton, est que Dieu veut que ce qui n’est pas Lui devienne Lui. La gloire de Dieu est manifeste dans ce qui n’est pas Dieu.

James V. Schall, S.J., qui a été professeur durant 35 ans à l’université de Georgetown, est l’un des auteurs catholiques les plus féconds en Amérique.

Illustration : L’hospitalité d’Abraham, artiste inconnu, vers 1390 [musée Benaki – Athènes]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/02/14/on-unity/