A l’occasion de « l’Année Luther » (cinq cents ans depuis la publication des thèses de Wittenberg en 1517), on a remarqué que le pape François a esquissé un éloge, que certains jugent scandaleux, pour le moine défroqué qui a dressé l’étendard de la révolte contre l’église romaine, coupable selon lui de graves déviances par rapport au message évangélique. Que faut-il en penser ?
Ne nous trompons pas de cible. Le combat de Luther n’était pas contre les indulgences (les fameuses thèses étaient « pour la défense » des indulgences), ni contre le pape (« si le pape reconnaît le salut par la foi, je lui baiserai les pieds »), ni contre la Sainte Vierge (dont il a toujours célébré les fêtes avec piété, on a de lui un très beau commentaire du Magnificat), ni contre la présence réelle de Jésus dans l’hostie (qu’il a défendue devant Zwingli). Non, au départ au moins, sa protestation ne porte que sur un point, mais un point important : il juge que les chrétiens sont devenus pélagiens (du nom de l’hérétique combattu par saint Augustin qui affirmait qu’on se sauve à la force du poignet, par ses bonnes œuvres).
Luther avait essayé, comme d’autres, de faire son salut en s’efforçant d’être irréprochable et de suivre toutes les observances de la vie monastique. Or il a fait l’expérience de sa faiblesse et il n’a trouvé la paix que dans la remise totale de lui-même au Christ sauveur. C’est qu’il a, jusqu’au vertige, le sens de la gratuité du salut : on n’achète pas Dieu par des offrandes et des sacrifices, nos bonnes actions sont entachées d’orgueil et d’égoïsme, elles sont inconstantes, le péché nous colle à la peau. Faire reposer l’espérance du salut sur des œuvres humaines, qu’elles soient morales ou rituelles, c’est bâtir sur du sable.
Commençons par reconnaître qu’il y a bien un peu de vrai dans tout cela, le péché mignon des catholiques d’hier et d’aujourd’hui, c’est de se mettre à la place de Dieu, en pensant que l’homme qui agit bien, qui prie, qui est bon pour le prochain… ne peut qu’être sauvé. Il faudrait déjà leur répondre qu’il y avait sans doute des gens honnêtes et généreux, quand le Christ est venu sur terre. Et pourtant l’Apôtre Paul déclare que les hommes sont tous enfermés dans la désobéissance et que sans le sacrifice du Christ nous serions perdus. Alors ? Il faudrait se demander s’il n’a pas vu juste : l’homme livré à lui-même, ce n’est pas très joli, seul le Christ a réconcilié l’homme avec Dieu, en posant sur la Croix l’acte inouï de son obéissance filiale. C’est lui qui nous enveloppe maintenant du mérite de sa passion, il faut y croire et s’y livrer – et en recevoir l’influence par les sacrements.
Bien sûr, on m’objectera les paroles de Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui, quand il nous explique qu’il ne suffit pas de dire « Seigneur, Seigneur ! » pour entrer dans le Royaume de Dieu, mais qu’il faut faire la volonté du Père. Mais ce que le Christ met ici en avant, ce n’est pas une alternative à la foi, c’est la condition même pour que la foi soit vraiment la foi, et non une velléité ou un attachement superficiel, tout en paroles : nous ne nous sommes remis complètement à Dieu que quand nous avons essayé d’agir dans le sens qui correspond à son désir, que nous avons essayé (au moins) de lui plaire par quelques pas dans le bon sens. Ce qui compte, ce ne sont pas les résultats que nous pourrions faire valoir, c’est la mise en mouvement de notre liberté, en réponse à son appel.
Osons faire le pari du salut par la foi seule, mais une foi « opérant par la charité » (Galates 5,6).