Ma tendance naturelle, quand j’ai affaire à un document comme Amoris Laetitia (AL) est qu’il faut s’en tenir strictement aux mots du texte. Tout le reste est spéculation – l’Esprit de ceci, les implications de cela, affirment que nous avons besoin de lire entre les lignes. S’il en est ainsi, on pourrait se demander : A quoi servent les lignes ?
Mais nous ne sommes pas dans une situation normale. Quand j’écrivais des rapports quotidiens sur le synode, j’essayais de transmettre aux gens de chez nous : n’écoutez pas la très curieuse idée retenue par les médias tel jour, faites plutôt attention aux courageux efforts de nombreux évêques – habituellement pas de ceux qui passent à l’antenne – pour se battre avec les problèmes auxquels la famille fait face dans le monde moderne.
Mais le processus complet qu’ont exigé la production et la présentation d’AL, a rendu impossible de se contenter d’une approche purement littérale. J’en ai appelé le processus et le fondement « bizarres ». Par ceci, je ne voulais pas manquer de respect envers le Saint Père ou envers personne, il s’agissait seulement d’une description. Comment peut-on passer deux ans sur un sujet, et se retrouver incertain de ce qu’il veut dire. Puis on entend parler d’ une lettre du pape à des évêques argentins , – non publiée – mais qui finit par être confirmée quand il devient impossible de la nier ? Bizarre. Un mot fort, je sais. Mais adapté.
Je vais revêtir le chapeau du pragmatisme américain de William James , et argumenter que nous pouvons connaître partiellement ce qu’est une chose en regardant ce qu’elle produit. Et AL a produit de nombreux effets au-delà de son texte troublant.
Voyons : Quand Paul VI a fait paraître Humanae Vitae en 1968, qui réaffirmait la condamnation par l’Eglise de la contraception artificielle, ce qu’il voulait dire ne faisait pas de doute. Ce fut impopulaire dans certains quartiers, bien sûr, mais le pape a pris une décision responsable et cette responsabilité entraînait une compréhension claire de ce qu’était cette décision.
Quelqu’un peut-il dire avec précision ce qu’enseigne Amoris Laetitia ? C’est là que le côté « bizarre » fait sa première apparition. Il semble que nous ayons un texte qui veut dire, avec le Cardinal Kasper, qu’il y a des cas où des catholiques divorcés-remariés vivent dans des conditions morales qui pourraient les autoriser à avoir accès à la communion.
C’est une thèse parfaitement claire, quoique très discutable – d’autant qu’elle n’a jamais été pratiquée dans l’Eglise occidentale. Ce qui est clair c’est qu’elle semble chercher à étendre une certaine miséricorde, au milieu d’une vaste confusion et d’une désagrégation sociale, qui ont obscurci les bases et le sens du mariage.
Le pape François a invité Kasper à faire valoir ce cas aux évêques à Rome en février 2014, avant le premier synode. Dans l’avion, au retour d’un voyage en Grèce cette année, comme on lui demandait si A.L. avait changé quelque chose dans l’enseignement de l’Eglise catholique, François a répondu, « posso dire si » , – « je peux dire que oui, beaucoup de choses », mais ensuite, il a chargé le cardinal Schoenborn , le jour de la publication d’A.L., d’en faire l’interprétation afin de ne pas donner une réponse trop simpliste.
Cela aussi, je le trouve « bizarre ». Même le cardinal Kasper a dit que la communion pour les divorcés remariés, ne figure nulle part dans le document. Deux notes de bas de page ambigües, vagues suggestions dans plusieurs passages ? Si c’est cela que le texte voulait exprimer, pourquoi ne pas le dire ouvertement ?
En fait, c’est précisément dans un but de clarification qu’un groupe d’évêques argentins a – semble-t-il- mis les choses en ordre.
Les évêques en Argentine, au Canada, et aux Etats Unis ont immédiatement fait comprendre, -quand la lettre d’Argentine a été publiée – que cela ne veut pas dire que la Communion était ouverte à tous les divorcés remariés sans distinction, mais que c’était une question de cas particuliers. Nous allons voir combien de temps ces distinctions vont tenir dans notre situation actuelle, alors que tout le monde se croit dan un cas particulier.
C’est là que l’approche du pragmatisme américain de William James est utile. Une part du sens de ce texte se révèle par ses effets. Certains d’entre nous ont prédit, après le Synode, que nous pourrions bientôt avoir une Eglise catholique qui ne soit plus universelle. Que ce qui était un sacrilège en Pologne, – communier alors qu’on est divorcé et remarié – serait considéré comme un débordement de miséricorde si on se rendait en Allemagne.
Personne n’a prédit de conflits à l’intérieur des pays, alors que c’est aujourd’hui le cas : – Rome permet la communion, Florence ne la permet pas. Ou entre les différentes paroisses. Et nous entendons aussi dire que la conscience individuelle est l’ultime arbitre. A Washington, si un politicien se bat avec sa conscience, il est remarquable de noter comme il est souvent vainqueur.
Et ici, nous atteignons le cœur du bizarre. Ce qui se voulait un geste généreux au cœur des circonstances troublées qui entourent le mariage moderne, menace maintenant de devenir un véritable schisme. Le cardinal Kasper vient d’établir dans un article, que le scandale n’est pas dans le changement ; le scandale serait de refuser la communion aux divorcés remariés.
Avec tout le respect que je dois au cardinal : ces vingt siècles au cours desquels l’Eglise a interdit la communion aux divorcés remariés ont-ils été un grand scandale public ? Avons-nous, nous qui sommes des personnes bénies et éclairées, vivant en 2016 – pas seulement dans de furieux Emails du parti démocratique – accompli un acte de miséricorde et de vérité qui soit resté caché aux pères de l’Eglise, aux docteurs de l’Eglise, aux mystiques, et aux saints qui nous ont précédés ?
Et le pauvre Jésus lui-même ? Qui a fait à propos de l’indissolubilité du mariage, une déclaration si choquante que ses contemporains juifs ont murmuré qu’alors il n’était pas opportun de se marier ?
Avant le premier synode, le cardinal Pell a fait une conférence et dit : s’il ne tenait qu’à moi, j’aurais probablement envie d’être plus accommodant que Jésus. Mais il ne l’était pas et « j’ai le devoir de le suivre. »
Par contre, alors même qu’il n’y a pas de déclaration explicite de changement sur qui peut recevoir la Communion dans A.L., le cardinal Kasper a dit à tous ceux qui se sentaient perdus : « la confusion vient probablement de tierces personnes qui se sont séparées de la foi et de la vie du peuple de Dieu. »
C’est triste qu’un prince de l’Eglise dise à une grande partie des catholiques, – peut-être la plus grande du monde – qu’ils se sont séparés du peuple de Dieu. Et ceci au moment où se termine l’année de la miséricorde.
Après tout cela, il est pour le moins douteux qu’à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Eglise, quiconque ait une meilleure opinion du mariage.
https://www.thecatholicthing.org/2016/10/29/some-not-entirely-random-thoughts-on-amoris-laetitia/
Photo : rencontre du cardinal Kasper avec le pape François.