Imaginons qu’un jour, ayant bu un coup de trop et suivant la formule de Donald Trump selon laquelle « il pourrait, au milieu de la Cinquième Avenue, tirer sur n’importe qui sans perdre un seul électeur », j’en fasse autant sur la 5e Avenue (celle de la petite ville où j’habite) et abatte quelqu’un. Le poste de police est tout près ; disons qu’un policier étonné se précipite, me passe les menottes, puis que je me retrouve au tribunal, condamné et envoyé à Sing-Sing — en amont, au sens propre du terme.
Imaginons qu’en prison, je suis au régime sec, je passe mon temps avec un aumônier, et j’éprouve un authentique repentir. Je confesse ma faute à l’encontre du Cinquième Commandement, et le prêtre, satisfait de mon repentir, me donne l’absolution. Je suis pardonné.
Peu importe le temps à passer au trou, je suis, au sens premier du terme, un homme libre.
Finalement, continuons mon histoire, la nouvelle de ma conversion/absolution se répand — le New York Times en fait sa « Une » — et d’autres individus légèrement déclavetés commencent à réfléchir : Hé, je pourrais bien flinguer mon patron (ma femme, ma petite amie, mon coéquipier aux boules — à vous de choisir), aller en prison et finir par aller au paradis !
Le nombre d’assassinats augmenterait-il ?
Non, La sanction, entre 25 ans et la perpétuité (ou la peine capitale [N.d.T. : qui existe encore dans certains États]) est encore dissuasive. Et mise à part cette raison, la plupart des gens ont la certitude intuitive que tuer est mal.
Cette fantaisie intellectuelle est inspirée par la récente lettre apostolique de clôture de l’Année Sainte où le Saint Père donne le pouvoir universel de pardonner le péché d’avortement.
« J’accorde dorénavant à tous les prêtres, au nom de leur ministère, le pouvoir d’absoudre ceux qui ont commis le péché d’avortement volontaire. La clause restreignant cette faculté à la durée de l’Année Sainte Extraordinaire est donc abrogée. »
Cette décision entraînera-t-elle une augmentation des avortements chez les femmes catholiques ? Probablement pas, malgré le fait que, dans sa lettre, le Pape déclare renouveler sa mise en garde « aussi ferme que possible, l’avortement est un grave péché » ; il faut voir que le changement des procédures canoniques relatives à l’avortement et à son absolution risque d’avoir pour effet d’atténuer la gravité du péché dans l’esprit des jeunes catholiques des deux sexes.
Pourquoi ? Parce que l’avortement est déjà légal, et répandu, dans la plupart des pays — un élément de la culture séculière légale où nous vivons. Même si, d’une certaine façon, S.E. le Cardinal Blase Cupich condamne l’avortement, Barack Obama en est le « chantre », en ce sens qu’il a fait tout ce qu’un président pouvait faire pour protéger l’avortement : soutien au Planning Familial («Merci, que Dieu vous bénisse!») et en faisant prendre en charge les frais d’avortement par les organismes d’assurance/remboursement de soins.
Et Obama a autant, sinon davantage, d’influence de nos jours sur l’attitude des Américains devant l’avortement que n’en ont S.E. Cupich ou S.S. François.
Et lorsque les commentaires du Pape passent vite au pardon sans une vigoureuse condamnation de la gravité de l’avortement, à l’image de ses commentaires sur l’adultère des divorcés remariés sans annulation, il atténue — sans y penser, j’en suis certain — l’influence que l’enseignement catholique peut avoir sur la culture tant collective qu’individuelle.
Par « influence sur la culture » je fais allusion au phénomène de chute des attaches retenant les sociétés à leurs racines traditionnelles. Peu importe ce que sont — ou étaient — ces racines, Américaines ou Chinoises, mais il est terriblement grave de voir ces avalanches de nouvelles préférences commencer à déraciner et renverser la vie quotidienne.
C’est peut-être exagéré, mais on va vers un point de non-retour dans l’opposition à l’avortement, non seulement par la légalisation de cette forme d’infanticide, mais aussi parce que l’opposition « officielle » à la loi est ambigüe. Par « opposition officielle » je fais allusion à ceux qui peuvent plaider contre le meurtre des bébés mais n’agissent pas avec la vigueur suffisante pour renverser le cours des choses en faveur de la « vie ».
Disons-le nettement : ayant échoué dans la lutte légale contre l’avortement, nos évêques (y-compris l’évêque de Rome) ont reporté leur attention sur les sujets terre-à-terre, combats où ils ont l’approbation des élites dirigeantes. Immigration et pauvreté en sont deux exemples ; des sujets où se rejoignent la plupart des évêques et de nombreux politiciens. Tant-pis si la plupart de ces politiciens sont ceux qui, hors le sujet immigration et pauvreté, sont hostiles à l’Église.
Si l’avortement devient désormais pour les catholiques à confesse un péché guère plus problématique que la contraception, la masturbation, ou le chapardage, on peut craindre que la seule l’opposition affichée par l’Église ne suffise pas à avoir de l’influence sur le nombre des avortements.
Répétons-le, il se peut que quelques femmes touchées par une grossesse « non désirée » se résoudront à surmonter leur réticence innée, convaincues qu’ensuite une absolution « indolore » les remettra rapidement en état de grâce.
Mais si on considère le chemin tracé par S.S. François sur tous les sujets d’éthique sexuelle, et la tendance à faire du catholicisme une philosophie sociale qui serait une théologie de la libération revue sans les pièges du Marxisme, je crains fort que la Foi soit réduite à une troisième voie concurrente du socialisme et du capitalisme.
C’est un problème, car le catholicisme, étant l’Église du Christ, représente LA VOIE.
Et il y a un problème, car il s’agit du pape François, dont on peut se demander : « et après ? »
28 novembre 2016.
Photo : S.E. le Cardinal Cupich et S.S. François.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/11/28/divorce-abortion-whats-next/