Je suis vraiment désolé, il m'est impossible de parler de cette façon - France Catholique
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La justice de Dieu
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Je suis vraiment désolé, il m’est impossible de parler de cette façon

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Le chroniqueur conservateur Rod Dreher mentionnait dans une conférence récente qu’il connaissait un cadre supérieur qui croyait que « ce n’était qu’une question de temps » avant qu’il ne soit forcé de signer un document officiel ratifiant son accord avec le programme « politiquement correct » actuel sous peine de perdre son travail. Il est prêt à perdre son emploi.

De façon moins dramatique, je suis sûr que c’est juste une question de temps avant que quelqu’un n’exige de moi d’accepter d’employer les nouveaux pronoms « non genrés » et donc non-discriminatoires ul, ol et le reste (on ne discrimine personne, mis à part ceux qui refusent d’utiliser ces pronoms).

Quand je vois des étudiants s’arracher les cheveux à chercher s’ils ont bien mis tous les pronoms « corrects » dans leurs écrits – du style : il et/ou elle a fait ceci et cela à lui et/ou elle – j’écris souvent dans la marge : « il est tout-à-fait acceptable que vous fassiez ainsi si vous le désirez, mais dans ma classe, ce n’est pas obligatoire ». Aucun étudiant n’a continué à user du verbiage politiquement correct une fois informé que ce n’était pas exigé. De fait, un certain nombre sont venus me trouver pour me confier leur profond soulagement : Dieu merci nous n’avons pas à faire face à tout ça ! »

Cela demande un effort gigantesque aux étudiants de les forcer à écrire de la sorte, mais ils obéiront si la menace de blâme ou de sanctions est suffisamment forte. Dès que la menace est levée, la manière naturelle de s’exprimer revient librement, même si la façon « correcte » leur a été serinée depuis le collège.

Pour le moment, je m’octroie la liberté de leur autoriser cette liberté grammaticale. Le moment où cette liberté me sera refusée (ainsi qu’à eux) est en d’autres mains. J’avais l’habitude de penser que nous ne serions pas forcés de payer pour la contraception et l’avortement sur les campus catholiques. Je me trompais du tout au tout. Et s’ils peuvent nous forcer à ouvrir nos vestiaires et nos sanitaires indistinctement aux deux sexes (et ils le feront), il ne se passera guère de temps avant qu’ils ne décident quels pronoms peuvent ou non être utilisés dans un écrit « idéologiquement correct ».

J’utilise à dessein le terme « idéologiquement correct » plutôt que « politiquement correct » (bien que les deux soient strictement synonymes) parce que j’ai dans l’idée que l’idéologie est au cœur du problème. De nombreux lecteurs doivent connaître le célèbre exemple de l’épicier, que le dissident et écrivain tchèque Vaclav Havel a utilisé dans son essai « Le pouvoir des sans pouvoir ». Le parti Communiste enjoint à un épicier d’afficher dans sa vitrine un panneau disant « travailleurs du monde, tous unis ». Ils le forcent à le faire et l’épicier obéit, non pas que le parti se soucie réellement des travailleurs du monde.

Ni l’épicier ni ceux qui font respecter la règle n’ont probablement accordé une pensée aux travailleurs du monde. Afficher le panneau sur sa vitrine n’est pas un signe d’intérêt pour les travailleurs du monde, c’est un signe d’obéissance à l’orthodoxie idéologique. Manquer à installer le panneau ne serait pas un signe de non respect envers les travailleurs de la part de l’épicier (qui en fait partie) – ils n’en sauront jamais rien. Cependant, plus inquiétant, c’est un signe de son refus d’accepter l’idéologie de la classe dominante.

De même, notre langage « politiquement correct » n’a pas principalement pour but de bénéficier aux femmes et aux minorités – se portent-elles mieux après des décennies de police du langage ? – ce sont des signes d’obéissance à l’orthodoxie idéologique. Je ne blesse réellement personne quand je dis : « chacun a son livre, j’espère ». Le problème, c’est que cela montre que je ne suis pas une personne « convenable ». Pour citer le grand Strother Martin dans le film « Luke la main froide », je me révèle être un homme « dont l’esprit ne va pas droit ».

Cependant, en attendant, tandis que les vagues de l’obsession gouvernementale ne nous ont pas encore submergé et que nous ramons à contre courant, je suggère que nous ayons une phrase pour tenir l’adversaire à distance. On peut essayer des stratagèmes savants. Du genre : bien que né mâle, je désire maintenant m’identifier comme femelle, mais ne voulant pas faire des femmes des objets, je demande aux gens d’user à mon égard du pronom sujet féminin, mais du pronom complément d’objet masculin. Ainsi, la manière appropriée de parler de moi serait de dire : «  elle a des idées caractéristiques bien à lui sur ce sujet ». J’apprends à choisir mes propres pronoms, j’ai bien le droit, non ?

Cependant, de tels stratagèmes sont difficiles à poursuivre et ne peuvent être utilisés universellement. La phrase de défense que j’ai à l’esprit doit utiliser un jargon compris par nos agresseurs et être formulée en termes impossibles à contredire. La phrase doit avoir dans la culture l’impact qu’avait la formule « non, c’est non ».

Permettez-moi un autre exemple, plus proche de ce que j’ai à l’esprit. J’ai souvent dit à mes étudiants que lorsque leurs pairs les attaquent sur leurs principes chrétiens, ils pouvaient sortir un atout maître en demandant à leur protagoniste : « veux-tu dire que je n’ai pas le droit de vivre de la façon que j’ai choisie en accord avec ma personnalité ? essaie-tu de me refuser mon autonomie personnelle ? » C’est un piège grossier, mais cela a tendance à marcher. Que peut dire l’attaquant ? « oui, je te refuse d’être autonome » ?

Dans un esprit similaire, voici la phrase que j’en suis venu à formuler pour répondre à ceux qui persistent à nous humilier pour nous conformer à une sorte de langage idéologique. Si quelqu’un insiste pour que nous utilisions ul, ol ou quelque autre verbiage similaire, et que nous l’exigions de nos étudiants, je suggère de lui répondre : « je suis désolé, mais ma conscience personnelle ne me permet pas de valoriser cette idéologie ou d’obéir à cette expression de votre autoritaire désir de pouvoir. »

Que cela ait ou non l’effet désiré, cela aura au moins le grand mérite de dire la vérité.

Randall Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston (Texas).

Illustration : Table des pronoms, ancienne version et version « dégenrée » (ou dérangée?)

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/10/26/im-sorry-i-cant-speak-that-way/