LE RASSURANT PETIT FROMAGE - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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LE RASSURANT PETIT FROMAGE

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Cet article sera le seul à célébrer cette année le deuxième centenaire des Harmonies de la Nature, l’infortuné mais prophétique livre de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), publié en 1796. Si je m’y prends dix ans à l’avance, ce n’est pas sans raison. Qui lit encore les Harmonies de la Nature ? Rappelez-vous pourtant. Vous n’ignorez pas tout de ce livre méconnu et plutôt ennuyeux : c’est là que se trouve la réflexion fameuse sur le melon aux formes disposées en tranches « pour être mangé en famille ». S’est-on assez moqué du bon Bernardin, qui voyait partout dans la Nature l’action d’une bienveillante Providence ordonnant toutes choses en vue du bien-être de l’Homme. Quelle candeur n’est-ce pas ?1 Cependant je me hâte de le célébrer dès cette année, de peur que quelqu’un ne se charge de cette excellente idée. En effet, tout au sommet de la physique moderne, en cosmologie et dans les Théories de Grande Unification aussi appelées GUT (Great Unified Theories)2, est en train de mûrir le super-Melon appelé Principe anthropique, qui serait mieux nommé Principe de Bernardin de Saint Pierre3. Avant de formuler ce principe traduit des propres termes de la physique, j’exposerai quelques-uns des faits qui y conduisent les savants. Le lecteur jugera si Bernardin avait exagéré, ou bien si ce sont les faits qui exagèrent. Comme on le sait, la chimie des êtres vivants est celle du carbone. De la limace à la salade, du dinosaure à l’homme, de l’algue la plus primitive au séquoia, tout ce qui vit est formé de molécules construites autour d’un corps unique, le carbone, qui se compose d’abord avec l’oxygène, puis l’azote, puis avec d’autres corps moins abondants comme le calcium, le sodium, le potassium, le phosphore, le soufre, le fer, etc. Mais d’abord le carbone, dont les propriétés uniques à la température terrestre permettent l’élaboration de molécules de plus en plus complexes. Quand je respire, je brûle du carbone dans de l’oxygène. Dans la molécule héréditaire, l’ADN, c’est le carbone qui assure la structure fondamentale. Ce carbone, d’où vient-il ? Les astronomes le savent depuis qu’ils ont découvert l’histoire des étoiles. Ce qui suit est peut-être un peu laborieux, mais on n’est pas obligé d’en suivre tout l’enchaînement pour comprendre l’essentiel, à savoir : ces processus qui conduisent au carbone ne peuvent se produire que grâce à une série de coïncidences compliquées et tout à fait invraisemblables. Le noyau de l’atome de carbone est synthétisé au centre des étoiles (qui sont des bulles de gaz très chaud) quand trois noyaux d’hélium se rencontrent. Deux noyaux d’hélium donnent d’abord un noyau de béryllium. Mais celui-ci est très instable, et sa rencontre avec un troisième noyau d’hélium doit se produire avant qu’il disparaisse. De plus, il faut qu’à ce moment-là une certaine résonance, mesurée très précisément, survienne entre le béryllium et le troisième noyau d’hélium. Il se trouve que l’agitation thermique au cœur d’un certain type d’étoile est exactement propice à la résonance propre du carbone-124. Ce n’est pas fini, car il faut que ce carbone résiste à l’activité nucléaire de l’étoile. Or il n’y résiste que partiellement : ceux de ses noyaux qui survivent doivent avoir la chance de rencontrer un quatrième noyau d’hélium. Ils se transmutent alors à leur tour pour donner un troisième élément. Et il se trouve que ce troisième élément est l’oxygène. Le lecteur qui a suivi pensera peut-être qu’après tout ce n’est guère compliqué. Mais, d’abord, c’est au contraire d’une terrible complication si l’on suit les détails que survole la vulgarisation. C’est en réalité un labyrinthe de hasards heureux. Et surtout, les immenses processus qui arrivent à produire d’une part l’« étoile couveuse » et d’autre part les propriétés propres des noyaux d’hélium, de béryllium, de carbone et d’oxygène résultent de certaines données très lointaines qu’on appelle les « constantes fondamentales », qui gouvernent l’univers entier, c’est-à-dire tout le chaos des autres phénomènes n’ayant à première vue rien à voir avec ceux que je viens de sommairement décrire. Si une seule de ces constantes était, ne fut-ce que très légèrement différente, l’univers s’effondrerait. Ou plutôt il n’aurait jamais évolué pendant les milliards d’années conduisant à l’enclenchement du processus que j’ai à peine évoqué, ni à l’infinité d’autres phénomènes qui forment l’univers. Considérant la postérité du carbone (la vie, vous, moi), l’astronome anglais Fred Hoyle, qui le premier remarqua en 1954 les invraisemblables coïncidences d’où sort ce seul carbone, dit que tout cela semble avoir été « tripoté (monkeyed) par une superintelligence », et que « dans la nature il n’y a aucune force aveugle digne d’être mentionnée »5. Je ne sais si le lecteur commence à entrevoir à l’horizon la cucurbitacée de Bernardin ? Peut-être pense-t-il qu’il serait prématuré et aventureux de philosopher sur ce qui se passe entre quelques abstrus noyaux atomiques dans de lointaines étoiles ? Aussi bien ne s’agit-il pas de philosophie. Ce qu’il y a de remarquable dans les sciences de ces deux dernières décennies, c’est qu’on y retrouve, mais livrées à l’impitoyable machine du calcul, de très vieilles choses auxquelles on ne pouvait précédemment que rêver en se demandant où est la vérité. La machine calculante semble oiseuse, et je sais que les philosophes d’aujourd’hui tiennent pour très vulgaire toute espèce de fait tombant sous le coup de la réfutation ou de la démonstration. Cependant, la machine calculante n’est pas si bête qu’on croit. Car en allant son petit chemin elle découvre des faits qui jusqu’ici n’existaient même pas à l’état de traces dans les rêveries des philosophes (pour paraphraser Hamlet). « La philosophie, cette tentative où l’homme se risque à pénétrer dans le fond inaccessible des certitudes qu’il a de soi »… dit Karl Jaspers dès les premières lignes de la préface de son premier livre. Et dès les premières lignes du premier chapitre : « Quand je pose des questions comme qu’est-ce que l’être ? Pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ? Qui suis-je ? », voilà certes l’essence de toute inquiétude philosophique, et il est loyal de reconnaître que dans son cas particulier, Jaspers s’efforce d’expliquer que ce ne sont pas les questions « du commencement ». Avant, il y a ma situation, dans laquelle je me trouve déjà. Bien. Je dis « bien » par manière de transition, et non parce que j’approuve ou d’ailleurs conteste. Il se trouve qu’en cette fin de siècle, des hommes dont le métier n’est pas du tout de poser ces questions, qui n’entendent goutte pour la plupart aux livres de Jaspers et ne les liront jamais, mais réfléchissant sur des entités aussi peu attrayantes que la « charge électrique du proton », la « constante de structure fine », la « constante cosmologique » et autres6, ont proprement envahi avec leurs calculs ces questions qu’ils ne se posaient pas, et même, souvent, les ont traversées à fond de train pour s’attaquer à d’autres questions que l’on n’aurait jamais pu découvrir autrement. A supposer qu’un rêveur habitué à se promener sur une mince couche de glace en eût découvert quelques-unes, il n’en aurait pas reconnu le sens qui est scellé, caché dans l’abstrusité des constantes fondamentales, donc d’une assez ténébreuse technicité. C’est ainsi qu’une équation d’une quinzaine de signes, la valeur de trois ou quatre mots, me dit pourquoi Jaspers, vous, moi, ou tout être pensant, est maintenant plutôt qu’ailleurs dans le temps. Si je ne craignais une erreur typographique due à mon écriture illisible, j’aimerais la recopier ici pour sa beauté décorative. On n’en revient pas que tant de pensée tienne si peu de place. Cette formule en effet relie entre eux des chiffres aussi peu philosophiques que le temps nucléaire du proton, dit temps de Compton, et la constante de structure fine7. Ce sont vraiment des chiffres, ou plutôt des nombres. Par exemple, la constante de structure fine est égale à 1/137,036. La quinzaine de signes m’apprend que si ma possibilité est limitée à tout dans le passé par ces constantes, en revanche j’aurais pu survenir beaucoup plus tard, dans des dizaines de milliards d’années. La formule laisse pour l’instant ouverte la question de mon apparition dans un temps infini, mais cela se discute, notamment parce qu’on ne sait pas encore tout sur le proton. Justement on fait en ce moment certaines expériences sur le proton. Leur résultat, entre mille autres conséquences, précisera la formule et nous dira peut-être pendant combien de temps encore il y aura quelque chose qui pense – hors Dieu8. Les « constantes de la nature » sont donc des nombres. Ces nombres semblent arbitraires : il est impossible pour l’instant de les déduire les uns des autres. Cependant, il suffirait que l’un d’eux soit très légèrement différent pour que l’univers n’ait jamais vu le jour. Dira-t-on que, bon, s’il en est ainsi, il faut bien que ces nombres soient tels, sinon nous ne serions pas là pour en discuter ? Oui, c’est bien cela, mais c’est beaucoup plus. Car la nature de ces nombres, qui ne sont pas très nombreux, ne se borne pas à soutenir quelque chose sur le néant. Ils organisent en outre une insondable complexité d’événements qui se déroulent en s’enchaînant depuis 16 milliards d’années (date de l’apparition de l’univers, que nous autres appelons tout simplement Création) en devenant toujours de plus en plus complexes et improbables9. L’improbabilité de votre apparition, de la mienne et de tout homme ayant vécu ou devant vivre un jour est encore infinie une seconde seulement avant la fécondation de l’œuf maternel d’où nous venons. Elle n’est pas presqu’infinie, mais véritablement infinie, comme l’a montré M. Georges Pasteur, puisqu’elle s’évalue en un nombre tellement grand qu’il n’existe aucun tel autre nombre dans l’univers10. Il me semble que parvenu ici nous pouvons nous faire une idée obscure mais certaine du Super-Melon mûri dans la serre de la physique en cette fin de siècle. L’improbabilité de tout ce qui est est si grande que les physiciens ont dû inventer ce qu’ils appellent, comme je l’ai dit, le Principe Anthropique : l’univers n’est explicable que si l’on admet qu’il a l’homme pour but. En effet, il est très certain que nous n’existerions pas si n’importe laquelle des constantes de l’univers avait été « tripotée » un peu différemment, comme dit Hoyle, ou selon des propriétés très légèrement autres. Ce n’est donc pas seulement le melon du bon Bernardin qui a été élaboré pour l’homme, c’est l’univers entier, y compris les galaxies tellement lointaines qu’aucun instrument ne peut encore les observer. Cela a été dit sous diverses formes. Par exemple Wheeler : « Il faut que l’univers le plus lointain soit au-delà de neuf milliards d’années-lumière, car c’est seulement dans ce cas que l’homme peut exister. » Ou Brandon Carter : « L’univers doit être tel qu’il permette en lui la création d’un observateur à un certain moment. » Wheeler, qui a le sens des formules, propose celle-ci : « Ici, l’homme. Alors comment doit être l’univers ? » (Here is man, formule du téléphone – so what must the universe be ?). Et en effet, on peut déduire certaines constantes d’univers du simple fait que l’homme est. Ces constantes étaient déjà à l’œuvre d’un bout à l’autre de l’immense cosmos alors que non seulement l’homme n’existait pas, mais même la terre, même le soleil, même les galaxies n’existaient pas. Il a fallu pendant des milliards d’années avant l’homme que la première génération d’étoiles apparaisse, vieillisse, meure, explose dans l’espace pour préparer notre venue. Cela doit être pris à la lettre : tous les atomes dont notre corps est fait ont vécu cette incroyable aventure depuis le premier instant. Comme le disait déjà magnifiquement Sir James Jean, « notre corps est fait de la cendre des étoiles mortes ». Depuis que je sais cela, je me regarde avec respect dans mon miroir chaque matin en me rasant. Je regarde avec respect ma main qui écrit. Fichtre ! C’est impressionnant, cet infini labeur pour aboutir à moi, une seule fois et à jamais. Elle ne parlait donc pas de rhétorique la Voix qui disait : « Avant que le monde fût, je t’ai aimé »11, elle disait la simple vérité. La découvrir pose sur nos épaules comme un poids infini. Dieu merci, nous sommes assez frivoles pour n’y pas penser trop. Dieu merci, notre faible tête est assez aveugle pour ne deviner l’abîme qu’à grand effort. En nous créant, II eut pitié de nous. Même chassés du jardin, II nous laissa dans nos rassurantes illusions sur cette petite terre, satisfaits de la croire plate, finissant derrière la montagne que voilà, éclairée de deux lampions, et ronde sans doute, mais comme un fromage12. Aimé MICHEL Chronique n° 417 parue dans France Catholique – N° 2055 – 16 Mai 1986 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 24 octobre 2016

 

  1. On peut télécharger une édition de 1815 des Harmonies de la Nature numérisée par l’Université d’Ottawa, https://archive.org/details/harmoniesdelanat02sain. On peut même lire le manuscrit, conservé et numérisé par la BNF, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9061598q. L’ouvrage a connu un grand succès lors de sa parution mais, en 1855, un certain abbé Dauphin regrette déjà que si peu de lecteurs osent encore s’aventurer dans la lecture d’une œuvre en apparence « obscure et effrayante », pleine d’« excursions au dehors de son sujet », ce qui en rend la lecture « fatigante et parfois ennuyeuse ». Il publie donc des morceaux choisis des deux livres de Bernardin de Saint-Pierre, le premier étant les Études de la Nature, sous le titre Études et Harmonies de la Nature. On peut également consulter ce dernier ouvrage numérisé par la BNF, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9604324z.
  2. Par ces GUT (Grand Unified Theory) et autres TOE (Theory of Everything) les physiciens se sont ingéniés à faire des jeux de mots sur les boyaux et les doigts de pied, histoire de montrer qu’ils ne se prennent pas autant au sérieux que leur apparente mégalomanie à réduire le grandiose en équations pourrait le laisser croire (à moins qu’ils n’aient voulu montrer qu’il leur restait quelques bribes d’allemand ou de français). En français on traduit GUT par théorie de Grande Unification. Il s’agit d’une théorie dans laquelle les trois interactions du modèle standard des particules (électromagnétique, nucléaire faible et nucléaire forte) se fusionnent en une seule à hautes énergies (à ce propos voir la chronique n° 155, D’embarrassants cadeaux de Gargamelle – La recherche des particules élémentaires, 09.05.2011, et la note 4 de la chronique n° 231, Achever la Création ? – Le chaos des espaces infinis représente le domaine de notre liberté future, 17.11.2014).
  3. Le Principe anthropique doit son nom à Brandon Carter, astrophysicien de l’Observatoire de Paris-Meudon d’origine anglaise. Il l’a proposé dans un article publié en 1974 dans les actes d’un colloque qui s’est tenu en 1973 célébrant le cinq centième anniversaire de la naissance de Copernic. Curieusement, ce « principe » qui n’en est pas un (c’est un raisonnement) revient à remettre partiellement en cause le « principe de Copernic » qu’Aimé Michel appelait « principe de banalité », à savoir que l’homme habite une planète quelconque, dans un système solaire quelconque, au sein d’une galaxie quelconque (à ce propos voir la note 9 de la chronique n° 265, Vous y croyez, vous, aux extraterrestres ? − Un formidable problème : la pensée non humaine dans le vaste univers des étoiles, 9.11.2015). Carter propose deux versions de son « principe », une faible et une forte. La version faible a été illustrée au début des années 1960 par le cosmologiste américain Robert Dicke (1916-1997). Il remarque qu’un univers contenant des observateurs comme les êtres humains ne doit être ni trop jeune, ni trop vieux. En effet, il faut que le carbone ait le temps d’apparaître, puis des systèmes planétaires riches en carbone, enfin une vie évoluée ; mais il ne faut pas que toutes les étoiles aient consommé la totalité de leur hydrogène et de leur hélium sans quoi elles ne produiront plus le rayonnement nécessaire à la vie. Le moment où l’homme (entre autres) apparaît ne peut donc être quelconque, ce qui pose une limite au « principe de banalité ». La version forte stipule que les constantes fondamentales de l’univers (voir note 5) doivent avoir des valeurs qui permettent l’apparition d’observateurs à un moment donné. Toutefois, Dieu ne pouvant être une explication en science et faute d’une théorie expliquant ces valeurs des constantes, Carter qui la propose se trouve embarrassé. Il résout la difficulté en soutenant qu’il existe de multiples univers dans lesquels les constantes peuvent prendre toutes les valeurs possibles. Ainsi se trouve sauvegardé la scientificité du « principe anthropique fort ». Pour une présentation élégante et claire de ces idées je renvoie à l’excellent livre de l’historien et philosophe d’Oxford, Thomas Lepeltier, Univers parallèles, Seuil, Paris, 2010. Il a été déjà plusieurs fois question du Multivers et de ses relations étroites avec le principe anthropique dans les chroniques mises en ligne cette année : n° 296, L’espace silencieux – Les questions que pose l’absence de visiteurs extraterrestres, 14.03.2016 (note 2), n° 392, « Plus intérieur que mon plus intime » – Les vérités les plus simples sont les mieux cachées, 30.05.2016 (notes 5 et 11) et n° 413, « N’ayez pas peur » – Aveugle hasard et Principe Anthropique, 22.08.2016 (notes 2, 8 et 9).
  4. Les circonstances de cette découverte méritent d’être contées. En 1948, l’astrophysicien Fred Hoyle (voir note suivante) soutient avec deux collègues une théorie cosmologique, dite de l’état stationnaire, selon laquelle de la matière (disons des atomes d’hydrogène) se forme en permanence dans l’univers, contre la théorie concurrente dite du Big Bang, aujourd’hui seule admise. Une différence notable entre les deux théories est que dans la première les éléments chimiques plus lourds que l’hydrogène (hélium, carbone, oxygène, etc.) sont formés uniquement dans les étoiles, alors que selon la seconde, une grande partie de l’hélium s’est formée dès le Big Bang. Or, en 1952, les astrophysiciens comprennent que le carbone se forme au cœur des étoiles à partir de trois noyaux d’hélium lorsque la température y atteint presque 100 millions de kelvins et une densité de 100 kg par cm3. Le processus (dit triple-alpha) se produit en deux temps : d’abord deux noyaux d’hélium (4He) fusionnent en un noyau de béryllium (8Be), ensuite le noyau de béryllium fusionne avec un noyau d’hélium pour donner un noyau de carbone (12C). Bien que le noyau 8Be soit instable, sa durée de vie est suffisamment longue pour qu’il puisse rencontrer un noyau d’hélium. L’année suivante, Hoyle remarque que dans les conditions qui règnent dans les étoiles le processus triple-alpha ne peut pas produire l’abondance du carbone observée dans l’univers, à moins que le noyau de carbone ne possède un niveau d’énergie particulier encore inconnu, n’ayant jamais été observé au laboratoire. Il en déduit qu’il doit exister un niveau excité du carbone 12C à une énergie voisine de 7,7 MeV, juste en-dessous de la somme des énergies totales (énergie intrinsèque du niveau nucléaire plus énergie cinétique) de 4He et 8Be. Il demande que cette prédiction soit vérifiée. Peu de temps plus tard, à la surprise générale, Dunbar et ses collaborateurs découvrent un état nucléaire excité du carbone 12C d’une énergie de 7,65 MeV située juste au-dessus du niveau d’énergie du système 4He + 8Be ! Comme le notent les physiciens Jacques Demaret et Dominique Lambert, cette prédiction relève « d’un emploi implicite et anticipé de la forme faible du principe anthropique » (Le principe anthropique, Armand Colin, Paris, 1994).
  5. Sur Fred Hoyle voir les chroniques n° 281, La porte étroite – Nous approchons du temps où l’homme devra changer son cœur ou disparaître, 29.02.2016, et n° 393, Le haut vol – Science et littérature, à propos d’un roman de Jean-Pierre Maurel, 13.06.2016.
  6. La « charge électrique du proton », la « constante de structure fine », la « constante cosmologique » sont trois des principales constantes fondamentales, à savoir des paramètres qui « semblent “donnés par la natureˮ puisqu’on ne peut ni les déduire ni les calculer mais seulement les mesurer ». En outre, « supposer que ces paramètres sont constants, c’est-à-dire que leurs valeurs ne dépendent ni du lieu ni du moment où elles sont mesurées, revient à accepter notre incapacité à écrire une équation régissant leur évolution. » (Jean-Philippe Uzan et Roland Lehoucq, Les constantes fondamentales, Belin, Paris, 2005, pp.13).
  7. La précédente fois où Aimé Michel avait écrit une équation, elle avait été maltraitée à l’impression ! Comme je n’écris pas à la main, je crains moins ce sort malheureux. Voici donc, « pour sa beauté décorative » l’équation (ou plutôt l’une des équations équivalentes) qui donne la constante de structure fine α (lire alpha) : α = e2/2ε0hc, où e est la charge élémentaire (celle de l’électron et du proton), ε0 la permittivité du vide, h la constante de Planck et c la célérité de la lumière dans le vide. On peut l’interpréter qualitativement comme la force de l’interaction entre les électrons et les photons. C’est un des 29 paramètres libres du modèle standard de la physique des particules. Les dernières mesures de α faites sur les raies spectrales de quasars très éloignées (donc très anciens) indiquent que sa valeur n’aurait pas varié depuis pratiquement l’origine de notre univers (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Constante_de_structure_fine). Selon Jacques Demaret et Dominique Lambert « l’existence dans l’Univers de noyaux complexes et d’atomes neutres stables, nécessaires à la vie, impose des contraintes sur la charge électrique de l’électron, e, donc sur la constante de structure fine électromagnétique, α. Ainsi, si la valeur de e était au moins trois fois plus élevée que celle observée (entraînant alors une constante de structure fine, α, neuf fois plus élevée), les particules alpha (c’est-à-dire les noyaux d’hélium 4) cesseraient d’exister, ce qui conduirait à l’absence de noyaux de nombre de masse supérieur à quatre », en particulier de noyaux de carbone. Inversement, si e « était réduite d’un facteur supérieur à trois, il ne pourrait pas exister d’atomes neutres dans notre Galaxie. » (op. cit., p. 127). L’article cité de Wikipédia est même beaucoup plus restrictif puisqu’il indique qu’en changeant α de 4 % seulement, le carbone ne serait plus produit dans les étoiles. Cet article précise également que « si α était plus grande que 0,1, la fusion ne se produirait pas à l’intérieur des étoiles. »
  8. Tous les scénarios de grande unification prévoient que le proton (et le neutron lié dans les noyaux) seraient instables avec une demi-vie de l’ordre de 1030 années, ce qui veut dire qu’un proton sur 1030 se désintègre chaque année (sur cette notion de demi-vie voir la note 4 de la chronique n° 413, « N’ayez pas peur » – Aveugle hasard et Principe Anthropique, 22.08.2016). Munie de cette précieuse information plusieurs équipes s’ingénièrent à détecter la désintégration du proton. Le principe en était simple : il fallait rassembler une grande quantité de protons (ceux de l’eau ou de plaques de fer) et attendre assez longtemps pour y enregistrer des désintégrations. Mais la réalisation pratique de ces expériences était une autre paire de manches car tous les parasites possibles, tels les noyaux radioactifs et les rayons cosmiques, devaient être éliminés. Il fallut donc enterrer les détecteurs ultra-sensibles dans des tunnels (Mont-Blanc, Fréjus) ou des mines désaffectées. Le résultat fut décevant : on n’observa aucune désintégration significative. (Voir l’article « Unification des forces » dans l’Encyclopaedia Universalis).
  9. Et il n’y a pas de raison de penser que le processus se soit arrêté. Aimé Michel a utilisé cet argument contre François Jacob dans la chronique n° 291, Objections à François Jacob – L’évolution embrasse toute l’histoire de l’univers mais on en ignore le moteur (04.01.2016).
  10. Sur le nombre d’humains différents possible, voir la note 6 de la chronique n° 392, « Plus intérieur que mon plus intime » – Les vérités les plus simples sont les mieux cachées (30.05.2016).
  11. Aimé Michel étend ici à l’ensemble des hommes ce que le Christ dit de lui : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ceux-là soient aussi avec moi, pour qu’ils contemplent ma gloire que tu m’as donnée, parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. » (Fin de la « prière sacerdotale » dans Jean, 17, 24, traduction Osty). Cette généralisation est confortée par ce que dit le prophète Jérémie, encore enfant, de sa vocation : « La parole de Yahweh me fut adressée en ces termes : “Avant de te former dans le ventre (de ta mère) je t’ai connu (…)ˮ » (Jérémie, 1, 4, traduction Crampon).
  12. Cette idée d’une création miséricordieuse parce qu’elle nous protège par de rassurantes illusions du poids d’un Réel infini et d’un avenir insondable est traitée plus à fond dans la chronique n° 350, Néandertal ou la fin d’un robuste gaillard – Sciences : le récit de la Genèse 4 – La libération des instincts, 06.06.2016 : « L’homme a toujours vécu ainsi dans un théâtre d’illusions qui, l’une après l’autre, se dissipent. Je suis enclin à voir dans ce cocon d’illusions où a grandi l’humanité, et où elle continue de s’avancer, une précaution bienveillante de la Providence qui ménage notre faiblesse et ne nous laisse voir la vérité qu’à mesure que nous devenons capables de la supporter, “car si tu voyais Ma Face, tu mourraisˮ ». Elle est envisagée sous un angle complémentaire, celui de la « sottise humaine » que résume l’aphorisme « L’homme est naturellement petit et allergique à tout ce qui n’est pas petit », dans la note 3 de la chronique n° 316, Les voies de la Providence – L’histoire est faite par les hommes, mais jamais comme ils le prévoient, mise en ligne la semaine dernière.