La modernité en tant qu'effondrement métaphysique - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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La modernité en tant qu’effondrement métaphysique

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Ce pourrait être un régal d’observer comment les élites internationales vont justifier leurs engagements contradictoires si les athlètes transgenres concourent aux Jeux Olympiques de Rio le mois prochain – c’est-à-dire si des hommes concourent dans des épreuves féminines, comme cela s’est déjà produit lors de compétitions locales (NDT : nos excuses pour ce retard de traduction). Mais ce n’est pas vraiment une consolation de prendre conscience que les gens ne renoncent pas facilement à leurs illusions. Mieux vaut chercher la consolation dans l’amour de la sagesse.

J’ai parcouru une collection d’écrits du regretté philosophe italien Augusto Del Noce (1910-1989), pour la plupart du début des années 70, disponibles maintenant pour la première fois en anglais dans une compilation intitulée La crise de la modernité. Ce n’est en aucune façon un livre élémentaire, un de ceux dans lesquels je me balade, mais il est parsemé de pépites qui orientent le lecteur vers les sources de notre malheur actuel.

Plusieurs de ses thèmes nous sont familiers et l’urgence de notre situation n’est pas une révélation. Mais sa profondeur et son originalité sont utiles, non pas parce que son évaluation de l’âme occidentale est optimiste mais parce que cela sonne juste. Il considère notre société moderne chancelante – diversement nommée : prospère, permissive ou technocratique – en termes peu réjouissants. C’est « forcément mensonger », et comme le marxisme lui-même, présuppose l’athéisme plutôt qu’il ne le produit.

Ce qui domine, c’est que notre crise actuelle est fondamentalement métaphysique par nature. La modernité est un grand négationnisme : l’ordre véritable des choses – tel qu’on le comprenait classiquement – a été fui pour des théories qui mettent l’accent sur la bonne pratique au bon moment ; l’histoire est devenue le filtre à travers lequel les choses se voient assigner une valeur. L’accomplissement « se trouve devant nous, et non au-dessus de nous », et quiconque parle de vérités métaphysiques éternelles est traité de réactionnaire.

Avec un air de supériorité péremptoire envers tout ce qui s’est passé avant, la modernité implique obligatoirement une rupture radicale d’avec le passé – ce que Del Noce voit comme irrécupérable. Il ne peut y avoir de retour vers l’ancienne façon de penser parce que c’est dépassé. Mais retourner vers quoi, précisément ? Vers le surnaturel, vers la transcendance religieuse ; cela signifie que « l’événement religieux de l’Incarnation n’est plus vu comme le tournant décisif de l’histoire », comme Sergio Cotta, l’un de ses contemporains italiens l’a exprimé.

Il considère « l’éclipse de l’autorité », une caractéristique de notre époque, comme le plus grand revirement survenu à l’humanité. L’autorité, à la base, signifie faire grandir quelque chose, mais de nos jours, elle est perçue principalement comme une forme de répression – véritablement comme quelque chose qui entrave la croissance. Le rejet à grande échelle de l’autorité n’a fait que mener à une course démente au pouvoir – une affreuse substitution.

Finalement, cela peut se résumer à « la disparition de l’idée de Paternité. » Cela à son tour est étroitement lié à la répudiation de la tradition, de la transmission (tradere) de ce qui importe le plus – pas simplement quelque vieille coutume régionale, mais « l’ordre des valeurs éternelles et métaphysiques » – à la génération suivante.

Il n’est permis à nous, les modernes, qu’une unique source de savoir véritable – la science – et par conséquent le vide causé par le bannissement de la métaphysique a été rempli par le scientisme. Del Noce assure qu’un tel scientisme est basé sur la haine de la transcendance religieuse. Intrinsèquement totalitaire, le scientisme est « une négation radicale non basée sur des preuves des valeurs traditionnelles », il lui faut donc subjuguer la volonté de ses adversaires (puisqu’il ne peut l’emporter par la raison) et les confiner dans un « ghetto moral. »

Et le « point d’arrivée » du scientisme, explique-t-il de long en large, n’est rien d’autre que la révolution sexuelle. Pour résumer, voilà comment vous pouvez savoir que vous êtes du mauvais côté de l’histoire : ce n’est plus une question de lutte des classes (la bourgeoisie contre le prolétariat)
mais il s’agit de savoir si vous êtes disposé à partir en guerre contre la « répression » sexuelle. L’histoire est juge, a dit un jour Marx, et le prolétariat est son exécuteur. Ce rôle s’est maintenant déplacé, à l’instance des progressistes, pour unir les « opprimés du monde. »

L’institution sociale la plus coupable de transmettre une moralité répressive est naturellement la famille traditionnelle monogame, et comme Del Noce le fait remarquer « la libération sexuelle n’est pas désirée per se, mais plutôt comme un outil destiné à faire voler la famille en éclats. »

L’obstacle au bonheur universel, qui est prétendument maintenant à portée de main, n’est plus une affaire de classe sociale mais de caractère. De ce point de vue privilégié, il semble raisonnable que ceux qui professent les mauvaises valeurs soient isolés et ostracisés. Et ce radicalisme à enjeux élevés n’a cessé de progresser – comme Del Noce le prévoyait avec sagacité en 1972 :

Ceux qui continuent à croire à l’autorité transcendante de certaines valeurs seront marginalisés et réduits au statut de citoyens de seconde classe. Finalement, ils seront emprisonnés dans des camps de concentration « moraux. » Mais personne ne peut sérieusement penser que des châtiments moraux seront moins sévères que des châtiments physiques. A la fin du processus, on trouve la version spirituelle du génocide.

Il y a un siècle, Mussolini et Gramsci parlaient tous deux du « socialisme comme la religion destinée à tuer le christianisme. » Mais il est apparu plus tard que la révolution absolue ne pouvait aboutir que si la révolution marxiste devenait une révolution sexuelle. Ou comme les Surréalistes l’ont admis : « la bataille décisive contre le christianisme ne peut s’engager qu’au niveau de la révolution sexuelle. » En somme, « l’offensive érotique » équivaut à une « campagne de déchristianisation. »

Del Noce n’aurait pas été surpris par l’assaut du phénomène transgenre et la manie actuelle de « s’identifier » à quelque chose d’autre (sexe, race, espèce) que ce que l’on est. Tout cela fait partie de ce qu’il a vu comme la sécularisation du gnosticisme (plutôt que celle du christianisme) où c’est soi-même qui crée et où la liberté consiste à nier l’inné. Ajoutez à cela une touche de l’hégélienne « élimination de l’image divine », et voilà : vous avez la quête de libération via la désintégration de toute forme d’ordre, ce qu’il appelle « le grand refus » de 1968.

Vu son diagnostic, il n’est guère surprenant qu’il n’ait pas fait fonds sur les solutions politiques pour régler les dangers bien réels que nous affrontons. Le remède se trouve dans la restauration de la métaphysique classique, et, oui, il a osé le dire, dans un « réveil religieux. »

Matthew Hanley est membre de longue date du Centre National Catholique de Bioéthique. Les opinions professées ici sont les siennes et pas nécessairement celles du Centre.

Illustration : Augusto Del Noce

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/07/28/modernity-as-metaphysical-collapse/