Obscurités caucasiennes - France Catholique
Edit Template
Marie dans le plan de Dieu
Edit Template

Obscurités caucasiennes

Copier le lien

Le Pape François agit en toute indépendance dans une périphérie de l’Europe bordant trois néo-empires, russe, perse et turc. En sus de la visite pastorale, il vient à la rescousse d’un processus politique en panne.

Trois mois après son voyage en Arménie, c’est un déplacement à hauts risques que le Saint-Père a effectué en Géorgie et en Azerbaïdjan. D’abord des échéances électorales locales l’encadraient : des élections en Géorgie prévues le 8 Octobre, un référendum constitutionnel en Azerbaïdjan le 26 septembre, devaient consolider les pouvoirs en place contre des oppositions plus ou moins réduites au silence – comme en Arménie. Ensuite le feu qui continue de couver sous les cendres de récents conflits : Ossétie du sud et Abkhazie en Géorgie, Nagorno-Karabagh en Azerbaïdjan.

Le Pape a été sensibilisé à ce dernier dossier. Dans l’avion de retour d’Arménie en juin, il s’interrogeait sur ce qui se cachait sous la revendication de ce « petit bout de terrain ». Après avoir cherché ses mots, il eut recours à « obscur » : ce différend, n’est-ce pas « obscur » ? demandait-il.

« Petit bout de terrain » : 4500 km2, 145 000 habitants ! En Colombie la zone concédée aux rebelles était dix fois supérieure (la superficie de la Suisse pour 4% de la superficie totale de la Colombie) même si seulement un demi-million d’habitants en relevait. En termes absolus, le conflit du Haut-Karabagh semble en effet dérisoire, mais il est historiquement symbolique, un peu comme le Kosovo pour la Serbie. Le Pape ne l’ignore pas même s’il lui importe de relativiser les enjeux matériels. Les 15 à 20 000 morts de la guerre de 1991 à 1994, les nettoyages ethniques de part et d’autre et la désunion permanente au sein des peuples du Caucase sud en valent-ils la peine ? Le Pape en appelle à la volonté. Il veut emporter la décision sur les principes, les fondamentaux. Il précisait lui-même dans l’avion : autre chose sont « les modalités pour arriver à la paix ». Indépendance, autonomie, décentralisation, clauses constitutionnelles, garanties internationales, celles-ci dépendent du choix des citoyens à l’issue des négociations. Il ne se prononce pas. L’important est de lever le préalable de la volonté de paix et d’entente : faciliter la rencontre, engager un processus, là il peut aider.

François marche-t-il sur les plates-bandes de Vladimir Poutine ? C’est en effet Moscou qui maintient l’équilibre entre Arménie et Azerbaïdjan, empêchant que l’un l’emporte sur l’autre, garant du statu quo (qui actuellement avantage l’Arménie qui occupe plusieurs districts azeris en tampon de la république auto-proclamée du Haut-Karabagh). L’Azerbaïdjan est aujourd’hui en position de force contrairement à la situation d’avant 1994. Riche en pétrole, il dispose de moyens militaires supérieurs, d’une économie dynamique, d’un réseau étendu de relations internationales, à la fois côté musulman et côté européen (eurovision, grand prix de formule un, etc.). Il bénéficie du soutien inconditionnel de la Turquie. En effet la langue azerie appartient à la famille turcophone. Les ports turcs assurent l’exportation de son brut via des oléoducs qui évitent soigneusement le territoire arménien mais qui traversent la Géorgie. Moscou utilise donc tout son poids au profit de l’Arménie en position de faiblesse (sauf que pour lui apporter un soutien direct outre ses deux bases militaires en territoire arménien, Moscou devrait traverser la Géorgie, ce qui est plus facile depuis sa quasi-annexion de l’Ossétie du sud en 2008). Fort de cet aval, Erevan ne pouvait rêver d’une meilleure opportunité que la visite du pape pour lancer un exercice militaire en territoire azeri occupé (Aghdam).

La démarche du Pape n’est pas la même que celle de Moscou quoiqu’elle puisse apparaître complémentaire. Il n’est pas exclu que Poutine puisse y faire écho ne serait-ce que sur un plan tactique. Le Pape ne se substitue pas non plus au fameux « groupe de Minsk » créé au sein de l’OSCE pour traiter du problème et qui est en panne depuis des années. L’objectif du pontife romain serait de convaincre les deux pays – voire les trois, en y joignant la Géorgie – d’entamer un processus positif de retour à la confiance mutuelle. Les canaux existants de négociation seraient ainsi revitalisés quelle que soit la forme à prendre.

Paradoxalement le Saint-Siège a récemment marqué plus de points du côté de Bakou. Depuis la visite de SS Jean-Paul II en 2002, la conclusion d’un accord bilatéral en 2011 et l’ouverture de relations diplomatiques, le don d’un terrain pour une église à Bakou, le président azeri Ilham Aliev est très attentif à l’utilité que représente pour lui le soutien du Pape. Il sait que son pays est situé sur la ligne de faille de l’Islam contemporain entre le tiers sunnite relié aux émirats du Caucase nord (Daghestan, Tchétchénie, Ingouchie) et les deux tiers chiites en contact avec les azeris d’Iran (il y a deux fois plus d’azeris en Iran qu’en Azerbaidjan avec une histoire transfrontalière compliquée). Le maintien d’une saine tolérance voire sous certains aspects de laïcité, revêt un caractère existentiel.

Nulle part sans doute, François n’est plus à la périphérie que sur les bords de la mer Caspienne en ce 2 octobre 2016. De Bakou, il peut regarder vers les vastes espaces de l’Iran, de la Russie et de la Turquie. C’est là qu’il lui faut atteindre.