Le tout dernier (et sans doute ultime) ouvrage du pape émérite Benoît XVI, Ultime Conversazioni, a paru à Rome le 9 septembre en italien et en allemand. Il ne sera disponible en anglais qu’en novembre. [La version française Benoît XVI : Dernières Conversations sortira le 14 septembre].C’est la quatrième série de ces « conversations » avec le journaliste allemand Peter Seewald et, comme les précédentes, c’est un fascinant face à face avec Joseph Ratzinger, l’un des plus grands esprits de notre temps, mais aussi un être humain affable et modeste.
Les annonces de la publication du livre mettent évidemment l’accent sur les épisodes publics les plus tristement célèbres de sa papauté : son attitude à l’égard des évêques et des cardinaux qui protégeaient des prêtres pédophiles, le scandale « Vatileaks » (le vol par Paolo Gabriele, le majordome du pape, de documents sensibles dans le but de « protéger » le pape), et, bien sûr, sa renonciation, une décision jamais encore prise par un pape en exercice et en pleine possession de ses facultés.
Autant de sujets présentant davantage qu’un intérêt passager pour tout lecteur attaché au catholicisme et à l’Eglise. Mais en dehors de ces sujets attendus, certaines révélations personnelles que Seeward (un interlocuteur désormais « accrédité ») a pu recueillir présentent peut-être encore plus d’intérêt. Qui savait, par exemple, que Ratzinger est aveugle de l’œil gauche et est devenu dur d’oreille, en dehors d’autres handicaps liés à la vieillesse ? Ou qu’il continue à préparer méticuleusement ses sermons dominicaux, bien que sa maisonnée ne comprenne que quatre ou cinq personnes ?
Il faut faire remarquer à son honneur que Seewald creuse les grands sujets publics et ne renonce pas avant d’avoir obtenu une réponse complète, même s’il doit s’y prendre à plusieurs reprises (c’est le genre d’interview qui nous serait utile dans les médias en général mais que nous n’y trouvons presque jamais). Pour ceux d’entre nous qui se posaient de nombreuses questions au sujet des dernières années du pape Benoît XVI, ce livre contribue grandement à la solution de la plupart d’entre elles.
Par exemple, Seewald interroge le pape sur Vatileaks et les éventuels rapports entre ce scandale et sa démission. Rome a retenti de rumeurs à propos d’un complot visant à exercer un chantage sur Benoît (ricattare en italien). Le pape répond immanquablement que ces thèses complotistes sont des « absurdités »: le majordome était un homme simple et malavisé, comme les enquêtes ultérieures l’ont démontré ; il n’y avait pas de chantage parce qu’il «n’y avait pas le moindre fondement ». En tout cas, « si on avait essayé de me faire chanter, je ne serais pas parti parce qu’il ne faut jamais céder aux pressions ».
Mais cette réponse débouche sur un autre vaste ensemble de questions. Pourquoi alors avoir démissionné ? Vous deviez avoir compris l’effet que produirait cette décision. Notamment que certaines personnes en arriveraient à penser que le ministère pétrinien était juste un emploi comme un autre qu’on pouvait quitter à volonté. Cela risquait d’entraîner une sécularisation du ministère. Et surtout après l’héroïsme avec lequel Saint Jean-Paul II avait enduré les souffrances de la fin de sa vie, on aurait pu dire que vous aviez décidé de refuser de porter votre croix.
« Regrettez-vous votre renonciation, ne serait-ce que l’espace d’un instant ? »
« Non, je vois chaque jour que c’était la bonne décision… J’y avais réfléchi pendant longtemps et j’en avais même longuement parlé avec le Seigneur ». Saint Jean-Paul II avait son chemin à suivre, et Benoît a fini par discerner celui que Dieu lui assignait. L’Eglise avait besoin d’un homme capable d’assumer toute la gamme des responsabilités papales. C’était une décision prise avec sérénité, il avait même bien dormi la nuit précédant cette annonce.
Pressé par Seewald de dire s’il avait prévu qui serait son successeur, Benoît nie énergiquement. Oui, Bergoglio était un candidat sérieux lors du précédent conclave, mais en 2013, la situation semblait avoir bien changé. Il avait été surpris, mais finalement heureux, allant jusqu’à louer la nouvelle fraîcheur que le pape a introduit au sein de son ministère et la dimension mondiale qu’il lui confère, à présent que l’Europe n’est franchement plus le centre dynamique du catholicisme.
Tout ce qui précède est un résumé succinct de la première partie de l’interview, mais comme vous pouvez vous y attendre, lors d’un entretien avec une personnalité comme Joseph Ratzinger, chacun de ces thèmes s’accompagne d’analyses perspicaces et de vastes considérations sur le christianisme et le monde – une prestation à ne pas manquer.
Mais la seconde partie du livre mérite aussi la lecture. Seewald demande à Ratzinger de lui raconter toute sa vie, à commencer par sa jeunesse en Bavière et son adolescence sous le nazisme. Ils abordent forcément la question des rapports entre l’Eglise et le Troisième Reich. Ratzinger affirme, presque comme si c’était une vérité d’évidence, que tous les catholiques savaient que le triomphe de Hitler entraînerait la destruction de l’Eglise.
Après la défaite de Hitler, les partisans du nazisme se raréfièrent tant et si bien que le prêtre de la paroisse de Ratzinger dit un jour en plaisantant : « Quand tout sera terminé, nous en arriverons au point où ces gens diront que les seuls nazis étaient les prêtres ». Toute l’assistance éclata de rire, dit Ratzinger. « Nul ne pouvait imaginer une chose pareille… L’idée que l’Eglise ait pu collaborer d’une manière ou d’une autre ne nous est jamais venue à l’esprit. C’est une fabrication a posteriori. »
Cette partie compte aussi de nombreuses pages sur l’évolution de la vie spirituelle et intellectuelle de Ratzinger, sa participation à Vatican II, l’emprise sur le Concile de dissidents très médiatiques comme Hans Küng, et le chaos et les divisions qui continuent à régner au sein de l’Eglise. Mais les passages les plus frappants sur ces sujets sont peut-être ceux où Seewald demande très précisément comment le simple fils d’un policier bavarois a pu devenir un prêtre et l’un des grands penseurs et dirigeants du monde moderne.
« C’était mon désir d’entrer de plus en plus dans la liturgie. De reconnaître que la liturgie était vraiment le point central et d’essayer de comprendre ce fait, ainsi que tout le développement historique à la base de celui-ci… C’est pour cette raison que j’ai commencé à m’intéresser en général aux questions religieuses. C’était le monde dans lequel je me sentais à l’aise. »
Donc pas d’expériences mystiques, pas de tournants dramatiques ? N’avez-vous jamais connu de doutes ou ces célèbres « nuits sombres de l’âme » que même sainte Mère Teresa a subies ? Benoît XVI répond avec sa tranquillité habituelle : non, jamais de doutes. Et en ce qui concerne les nuits sombres de l’âme : « D’aussi fortes expériences, non je n’en ai jamais eues. Peut-être ne suis-je pas assez saint pour atteindre cette profonde obscurité ».
Lundi 12 septembre 2016
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/09/12/benedict-xvis-final-conversations/
Photographies : BENEDETTO XVI ULTIME CONVERSAZIONI A CURA DI (édité par) Peter Seewald et deuxième photographie de Benoît XVI sans légende
Robert Royal est le rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith & Reason Institute de Washington (D.C.) Son ouvrage le plus récent est The God that Did Not Fail : How Religion Built and Sustains the West.
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