Islam, terrorisme et piété - France Catholique
Edit Template
« Ave Maria »
Edit Template

Islam, terrorisme et piété

Copier le lien

Exactement entre le 14 et le 19 juillet, la liturgie dominicale nous offrait le chapitre 18 de la Genèse où Abraham négocie avec Dieu le salut de Sodome. Ce texte ne pouvait pas ne pas nous toucher profondément après l’exécution collective de Nice. Peut-être Sodome et Gomorrhe méritaient-elles d’être détruites. Mais ce ne sont pas alors des hommes qui se sont faits l’instrument de la vengeance de Dieu, c’est le feu du ciel directement qui détruisit ces villes. Bien loin d’exciter la colère de Dieu, Abraham au contraire se faisait l’avocat du pécheur, intercédait, tentait la miséricorde de Dieu avec audace. Et c’est précisément en cela que réside sa sainteté.

Les musulmans aussi sont enfants d’Abraham. Nous savons tous combien l’Islam tient un équilibre délicat entre la miséricorde à l’égard des pécheurs et l’usage de la force et de la guerre pour se répandre. Pascal soulignait brutalement ce dernier point en voulant apporter une preuve par le miracle du caractère surnaturel du triomphe du christianisme : « Mahomet en tuant, J.C. en faisant tuer les siens. » Les faits historiques sont là : ne faisons pas l’erreur d’oublier les martyrs des premiers siècles et de faire de nos croisades des guerres pour convertir les infidèles, cette réécriture polémique des philosophes des Lumières est utilisée à son tour par les terroristes pour justifier leur action contre les Croisés que nous sommes tous censés être ! Le Coran lui-même rappelle la place de la guerre dans la prédication du Prophète en le représentant si souvent en guerrier – Jésus n’est jamais un guerrier et ordonne à Pierre de rengainer son épée. Il n’y a là aucun obscurantisme.

L’Islam est une religion de la Loi, une loi donnée par Dieu lui-même ; dans quel pays le glaive n’est-il pas le gardien de la loi ? Il est donc normal de tuer au nom de Dieu puisqu’il est normal de tuer au nom de la loi. Même les gens du Livre y passeront « le jour où les délais seront expirés » (IX, 4-5). Tous les moyens sont donc bons au service de cette loi : « par le cœur, par la langue, par la main, par l’épée. » C’est la définition du djihad.

Mais ce fameux djihad est d’abord un effort de tout l’être pour Dieu et la première chose à convertir, c’est soi-même. La tradition musulmane distingue en effet le grand djihad, l’effort contre soi-même, du petit djihad la guerre « pour que la religion soit entièrement à Dieu » (VIII, 40). Cette distinction correspond à la division du Coran en sourates plus spirituelles, datées de La Mecque, et sourates plus politiques, datées de Médine et des années de la reconquête, dont les apparentes contradictions troublent si souvent les lecteurs occidentaux. La doctrine de lecture de l’abrogation (nashk) veut que les sourates les plus récentes abrogent les plus anciennes. Pourquoi, alors, les sourates données à la Mecque subsistent-elles toujours dans le Coran entier ?

Cette question est cruciale. Dans certaines traditions spirituelles soufies, il faut avoir fait le grand djihad avant de faire le petit, selon l’ordre méthodique des sourates. Il n’est pas difficile de comprendre que pour faire la guerre sainte, il faut être saint, comme le Prophète. Je doute que les repris de justice qui commettent des actes terroristes soient des saints au regard de l’Islam lui-même. 1

Le Coran parle beaucoup de la guerre et l’Islam est fier d’avoir développé une doctrine de la guerre juste : proportion entre les moyens et les fins, respect des civils, souci d’une paix juste etc. Comment croire qu’un camion qui écrase indistinctement hommes, femmes et enfants, musulmans ou chrétiens, vertueux ou vicieux, soit pieux ? Un camion peut-il être pieux ? Comment croire qu’un couteau qui égorge un octogénaire assisté de quelques femmes soit pieux ? Un couteau de cuisine peut-il être pieux ? Le fou d’Allah a beau avoir aboli sa volonté propre pour devenir l’instrument, camion au couteau de cuisine, d’une cause sainte, le choix qu’il fait de ce mode opératoire ressortit bien à une responsabilité particulière dont il est seul comptable devant Dieu.

Troisième impiété : kamikaze. Je ne sache pas que le suicide rituel ait dans l’islam la place qu’il occupe dans la culture japonaise. Les religions mosaïques ne peuvent accepter qu’on détruise en soi l’œuvre de Dieu pour quelque raison que soit. Au moment des persécutions contre les chrétiens, l’Eglise s’est posé cette question du pieux suicide et l’a résolue tout de suite. Les termes en sont les mêmes pour l’Islam. Il y a bien des précédents, parmi lesquels la fameuse secte des Assassins, dont les membres étaient vraisemblablement sous l’emprise du haschich. Mais ces précédents sont trop rares et ambigus pour justifier le suicide que l’Islam abhorre. Un kamikaze est un impie.

Ce qu’il y a de rassurant pour nous, c’est que si les djihadistes étaient des saints, ils pourraient nous faire honte, car nous avons tous un peu de Sodome ou de Gomorrhe en nous et notre société n’a guère de raison de se donner en exemple. Mais ce sont des voyous, le rebut de notre société. Il n’y a personne parmi nous qui ne soit dégoûté de ces assassins. Et c’est là la quatrième impiété des terroristes. Nous aurions beaucoup de leçons à recevoir de l’Islam sur les pauvres, les handicapés, les vieillards, les enfants nés ou à naître, sur la piété surtout. Or les voyous nous empêchent de le voir : ils sont un obstacle à notre conversion parce que nous ne voyons que leur violence barbare et leurs intentions égoïstes et que nous ne pouvons que nous sentir confortés dans notre bonne conscience, à défaut de notre sécurité. N’est-ce pas la pire impiété que de faire obstacle entre nous et Dieu ?

Le califat auto-proclamé s’est donc transformé en fabrique de terroristes qu’elle voue en toute conscience à la damnation. Il s’est adapté à une culture qui n’était pas la sienne mais, précisément, au rebut de la nôtre : pragmatisme et violence, communication à outrance, exaltation narcissique qui pousse à se montrer, à se filmer. Qu’en est-il de la tradition musulmane ne pas représenter la figure humaine ? Tout ce monde se vautre dans la culture de l’image, de la force pour la force, de l’apparence. Cinquième impiété.

Les terroristes sont donc des impies. Les terroristes sont nos ennemis. Les musulmans devraient pouvoir être nos frères. Les discours tenus par les uns et les autres nous obligent à nous cultiver sur l’Islam pour pouvoir nous y retrouver. Tout l’été, nous n’avons entendu que des réactions mensongères qui soit visaient à gommer les différences entre l’Islam et nous, soit à amalgamer terrorisme et islamisme. Il est temps de réviser les positions.

Quant à nous, la loi de l’Évangile nous oblige à aimer même nos ennemis. Aimer ses ennemis ne signifie pas se soumettre à eux : « Si j’ai mal parlé explique-moi en quoi j’ai mal parlé. Si j’ai bien parlé pourquoi me frappes-tu ? », dit Jésus lui-même. Bien plus loin que la simple tolérance, l’amour commence par accepter l’existence de l’autre en cherchant à le connaître et à le comprendre.

  1. Sur cette question cruciale, nous ne pouvons que renvoyer à l’ouvrage collectif Approaches to the History of the Interpretation of the Qur’han, Oxford, Clarendon Press, 1988.