La vie quotidienne en France en 2016 - France Catholique
Edit Template
Pâques. La foi des convertis
Edit Template

La vie quotidienne en France en 2016

Copier le lien

Il y a un an, j’ai passé une froide après-midi de janvier à défiler dans les rues de Paris avec un million d’autres personnes pour montrer notre indignation et notre détermination à ne pas laisser le terrorisme prédominer. C’était après la première attaque islamique à Paris contre le personnel du journal satirique « Charlie Hebdo », et après la prise d’otages de clients dans une épicerie casher – un total de seize morts. Pour que ce soit clair, je n’étais pas « Charlie » comme le disait le slogan du jour, se référant à ce méprisable torchon obscène, mais j’étais convaincu, en tant que citoyen – qu’un meurtre de sang froid est intolérable, même s’il s’agissait de personnes odieuses travaillant à leur bureau, ou d’autres personnes achetant de l’épicerie pour leur famille.

Ce jour là, le sentiment était le même pour tous : Nous ne voulons rien de cette violence, nous sommes forts, la vie ira de l’avant. Une claire détermination apparu sur chaque visage, solidarité était le mot en vogue, et « nous n’avons pas peur » était le message dominant.

Dix mois plus tard il y eu l’attentat de novembre, des équipes d’islamistes fanatiques assassinant des amis en train de prendre un pot, ou de dîner aux terrasses des cafés un soir d’une douceur hors-saison, ainsi que des amateurs assistant à un concert rock dans un théâtre. Cette fois-ci le sentiment public était le choc, les yeux écarquillés d’horreur au simple nombre de morts (130) et de blessés (351). La détermination dominait, mais une question (pas toujours) silencieuse commençait à apparaitre. Qu’est ce qui a été fait depuis, de façon évidente, ce n’était pas efficace.

Et puis Nice : un camion de 19 tonnes transformé par un fou islamique en une arme contre une foule dense de familles rassemblées une soirée d’été pour regarder le feu d’artifice du plus fondamental jour de fête national en France (84 morts, 286 blessés). Cette fois l’atmosphère se modifia de façon notable. l’impatience et la colère remplacèrent la résignation et l’habituel appel à « l’unité nationale ».

Maintenant les gens portaient des panneaux qui, au lieu de proclamer « Ensemble tous solidaires » disaient « Nous en avons assez» . La nouvelle question était « Combien de fois devrons-nous vivre ce rituel ? Quelques jours plus tard, quand le Premier ministre et plusieurs de ses autres ministres apparurent à Nice ils furent accueillis par des huées et les cris de « meurtriers » et « démission ». Par contraste, la police, les pompiers et les autres agents qui étaient présents furent franchement acclamés.

Et maintenant, moins de deux semaines plus tard, un prêtre revêtu de sa chasuble à l’autel, entouré par ses fidèles alors qu’il célébrait la messe matinale, fut égorgé, accompagné par les trop habituels vociférations des djihadistes. Cet acte de blasphème inqualifiable se produisit non pas dans dans une ville bien gardée, mais à St Étienne-du-Rouvray, une petite ville tranquille de Normandie.

L’horreur est arrivée maintenant à un nouveau niveau vertigineux. Pour les catholiques, et pas seulement pour eux, les circonstances sont repoussantes mais aussi instructives – et prophétiques. Ce vénéré prêtre, le Père Jacques Hamel a eu son propre sang littéralement mélangé avec le précieux Sang qu’il avait consacré à ce moment-là sur l’autel.

Le premier assaillant a pu être facilement identifié. Il était bien connu des autorités – la police a reconnu son visage – pour des actes extrémistes, il avait été condamné deux fois après deux tentatives avortées de rejoindre ISIS en Syrie. Mais il avait été remis en liberté surveillée.

L’archevêque de Rouen, Dominique Lebrun, fit une brève intervention à la télévision lors des Journées de la Jeunesse. Son calme mesuré aida à remplir le vide émotionnel éprouvé après un tel choc initial : « L’Eglise catholique ne peut prendre d’autres armes que la prière et la fraternité entre les hommes. Je laisse ici des centaines de jeunes gens qui sont le futur de l’humanité, la véritable humanité. Je leur demande de ne pas céder face à la violence, et de devenir des apôtres de la civilisation de l’amour. » Puis il quitta Cracovie et retourna à Rouen.

Il y avait déjà eu une attaque planifiée sur une Eglise catholique en avril 2015. Elle avait échouée seulement à cause de l’incompétence de l’assaillant potentiel, qui se tira une balle dans la jambe sur le chemin. J’ai pensé à la possibilité, en fait la probabilité, d’une Eglise catholique en tant qu’objectif pour les terroristes. Parfois quand j’assiste à la messe de midi dans une modeste église paroissiale dans un quartier tranquille et résidentiel de la région parisienne, le sentiment de notre vulnérabilité me vient à l’esprit. Les portes de l’églises sont grandes ouvertes, l’autel est visible de la rue et la messe est tous les jours à la même heure. Et nous avons aussi un prêtre âgé et, en semaine, une assistance de vingt à trente personnes. Mais j’essaie de prier, me rassurant que si je devais mourir ici et maintenant, ce ne serait pas la pire façon de partir.

Maintenant qu’une attaque dans une église a pris place, non pas dans une terre lointaine du Moyen Orient mais au coeur de la France – par des djihadistes islamistes criant vengeance contre un « croisé » infidèle durant la célébration de l’Eucharistie, d’anciens souvenirs enterrés commencent à bouger. Officiellement la France se déclare fièrement « laïque », sans préférence pour aucune religion, en fait avec une indifférence constitutionnelle pour toutes les religions. En vérité, ceci est souvent un langage codé pour un athéisme officiel, et au pire pour l’anti-religion.

Mais le massacre d’un prêtre, un homme de Dieu, alors qu’il célébrait l’acte sublime de sa mission sacerdotale, a provoqué une réaction involontaire. Des sensibilités profondément ancrées, peut être oubliées depuis longtemps, peut-être délibérément refoulées, ont, consciemment ou inconsciemment, jaillis au premier plan. Même le maire communiste de Saint-Etienne-du-Rouvray a pleuré pour le meurtre du prêtre. A peine capable de prononcer ses paroles, alors qu’il refoulait ses larmes, il bafouillait avec peine, un mot douloureux après l’autre. « Il est impératif de ne pas laisser l’insupportable se reproduire. Soyons solidaires pour être les derniers à devoir s’affliger et ensemble comme les derniers à tenir bon contre la barbarie, en respectant les autres. »

Les anciennes racines catholiques de la fille ainée de la Sainte Mère Eglise sont presque desséchées. La France ne va pas se reconvertir miraculeusement du jour au lendemain, mais la reconnaissance des racines historiques chrétiennes du pays, si longtemps refoulées, pourrait devenir un moment capital. Le sang des martyrs pénètre profondément, réveillant un besoin, un désir, un espoir enterrés depuis longtemps mais pas complètement éteints. Est-ce que cela sera la goutte qui commencera à faire déborder le vase?

Le jour après cette attaque abominable, j’ai assisté à la messe de mémorial à Notre-Dame de Paris. La sécurité était draconienne, commençant à plus de deux pâtés de maisons de là. Toutes les rues étaient interdites au trafic de véhicules et les piétons étaient filtrés soigneusement, en tout trois fois, avant d’être autorisés à entrer. La cathédrale était bourrée, et les premières places étaient réservées pour les membres du gouvernement, les ambassadeurs et divers dignitaires. Le cardinal André Vingt-Trois, crosse à la main, attendait devant le grand portail central dont les doubles portes sont ouvertes seulement lors d’événement exceptionnels.

A exactement 18 h 10, le Cardinal catholique accueillit le Président laïc dans sa cathédrale et l’escorta personnellement tout au long de la longue nef à son siège d’honneur au premier rang. Ensuite, le Cardinal retourna à la sacristie pour participer à la grande procession solennelle avec de nombreux célébrants.

De sa manière imperturbable, il prêcha un sermon discrètement courageux et méditatif (ne manquant pas de nuances politiques) basé sur l’espoir en tant qu’arme contre la haine et l’ultime confiance dans l’amour d’un Dieu de vie et non de mort. In-habituellement, il fut chaudement applaudi lorsqu’il conclut.

Durant la prière eucharistique, l’archevêque Lebrun demanda la paix de Dieu pour ce prêtre martyr, et ajouta, la gorge serrée mais la voix ferme, « J’ose prier pour ses assaillants; Seigneur, amène les aussi dans ta paix ».

Dans l’ensemble, c’était une heure et demi de beauté émouvante et de majesté solennelle d’une liturgie catholique grandiose. Dans ce magnifique édifice sacré vieux de 850 ans, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux millions de personnes qui sont venues ici pour adorer le même Dieu, en des temps aussi et même plus troublés.

Depuis janvier 2015, nous nous sommes accoutumés aux soldats armés patrouillant les rues, le métro, les stations de chemins de fer et la grande place devant Notre Dame. Maintenant, nous ouvrons, de façon automatique, et même avec reconnaissance, nos sacs et nos manteaux pour être inspectés à l’entrée des grands magasins, des musées, des théâtres. Nous savons instinctivement que de telles mesures sont prises pour rassurer, même si elles ne sont pas efficaces stratégiquement.

On ne sait pas à l’étranger que dans ce pays il y a eu de nombreuses horreurs islamiques aussi effrayantes depuis 2012, (10 attentats, 5 essais avortés connus). Ils ont été moins médiatisés parce qu’il y a eu moins de victimes, ou parce que les terroristes échouèrent (par exemple, un chef d’entreprise décapité par un employé, la fusillade manquée dans le train grande vitesse Amsterdam – Paris). Après chaque attaque, les rituels familiers sont mis en action. Les larmes coulent, les fleurs et les cierges s’amassent, un moment de silence est observé, les drapeaux sont mis en berne, des déclarations officielles viennent de toutes parts.

Bien que les actes terroristes soient imprévisibles par nature – et par conséquent jusqu’à un certain point sans parade – le sens commun, et une part grandissante de l’opinion public, reconnaît que le fait de répéter simplement « tout ce qui est possible a été fait » n’est pas suffisant. Poser des fleurs et allumer des cierges tout en chantant la Marseillaise ne suffit plus (et n’a jamais suffi), ni pour rassurer des citoyens inquiets, ni pour contrer une haine débridée grandissant comme un cancer dans cette société. Le public demande de plus en plus une action ferme et déterminée.

Mais aussi, après chaque incident (les plus récents ne faisant pas exception) les autorités civiles nous ordonnent régulièrement (en fait nous sermonnent) de ne pas amalgamer certains mécréants malavisés avec le reste de la population musulmane. «  Ce crime (ou attentat ou atrocité) n’a rien à voir avec l’islam » est le refrain solennel.

Cependant, ce n’est pas le rôle du Président (par nature laïc) ni celui de son Premier ministre ou de quelqu’autre autorité civile de pontifier sur ce qui est ou n’est pas partie intégrale de l’islam. Les chefs de l’islam ont l’autorité de désigner un acte criminel comme étant incompatible avec leur foi, et ont également l’obligation de surveiller ses adeptes, éliminant les doctrines déviantes, fermant ouvertement les mosquées salafistes notoirement financées par l’étranger, et où des imams non français prêchent le djihad et la haine des infidèles européens.

Je n’ai jamais été plein d’espoir ou optimiste quant à une solution rapide et antiseptique pour stopper la gangrène. Je ne suis pas non plus seul dans mon pessimisme. Nous pensons à ces problèmes tout le temps, nous en sommes entourés et immergés et ils nous sont rappelés partout. Tout le monde est attentif et vigilant en public. Un individu avec un grand sac et des manières nerveuses entre dans un métro et chacun le surveille.

Mais sur les terrasses des cafés il y a de nouveau des clients qui prennent des consommations et qui bavardent. Les Parisiens continuent à aller au cinéma, aux événements sportifs et au concert – les contrôles sont serrés d’un cran à chaque nouvel événement. Une résignation déterminée a pris le contrôle. Le tourisme, un élément essentiel de l’économie nationale, a fait un plongeon depuis les attaques de novembre. Les événements des deux dernières semaines peuvent être fatals pour ce secteur, du moins pour cette période de vacances de cette année.

Et nous savons trop bien que ce n’est pas la fin. Quelle forme prendra le prochain attentat ? Car l’imagination des djihadistes pour semer la mort et la terreur parait sans limites. Nous regardons, horrifiés (mais aussi fascinés), cette folie qui n’explose pas seulement à Paris et à Nice, mais aussi à Bruxelles et à Istanbul, dans les cités germaniques et ailleurs. Elle ne fait pas seulement irruption dans les grandes métropoles mais aussi dans de très paisibles petites bourgades. Il y a deux mois deux officiers de police, un couple marié, ont eu la gorge tranchée par un islamique djihadiste, chez eux, devant leur fils de trois ans, dans une tranquille banlieue à soixante kilomètres de Paris.

Nous pouvons juste espérer que la prochaine fois que cela arrivera, vous pourrez vous arranger, par un coup de chance, pour ne pas être au mauvais endroit juste au mauvais moment.


Robert de Saint Jacques a quitté son Kentucky natal il y a environ quarante ans pour accompagner sa jeune épouse parisienne en France. Il y a vécu et travaillé depuis lors, et maintenant , avec son épouse, il a pris sa retraite à Paris.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/07/30/everyday-life-in-france-ad-2016/