Une strophe d’un hymne anonyme dans le bréviaire anglais (Vendredi, 8e semaine) est la suivante : « Dit par la Parole incarnée, / Dieu né de Dieu, le temps a commencé, / Lumière né de la Lumière, Il est descendu sur la terre, / Homme, révélant Dieu à l’homme. » Je mets la dernière ligne en italique. Elle semble si vraie dans son paradoxe. Elle rappelle le refrain de St Jean-Paul II dans Redemptor Hominis. Nous avons appris ce que l’homme est à travers la révélation que le Christ nous a faite de ce que nous, sommes vraiment, une fois achevés.
Nous pourrions sûrement nous demander : qui fait que ce Dieu pense qu’Il révèle à nous, les hommes, ce que signifie être un homme. « Ce n’est pas une insulte à la dignité humaine que l’homme n’arrive pas à comprendre par lui-même ce qu’il est. Je suppose que la réponse est, ainsi que l’indique l’Incarnation, que Dieu, Lui-même devenu homme, révèle aux hommes ce qu’est l’homme. Ils n’arrivent pas à le comprendre par eux-mêmes, comme le disait St Thomas d’Aquin. La vérité sur l’homme est que celui-ci est créé pour quelque chose qui n’est pas seulement humain. L’Aquinate écrit dans De Caritate : « Homo proprie non humanus sed superhumanus est » (Pour être vraiment humain, l’homme doit tendre vers ce qui est plus qu’humain, ndt).
Mais si ce « Il » est Dieu, il ne peut pas être un homme, n’est-ce pas ? A première vue, cela apparaît être logiquement correct, même si l’on ne croit pas que Dieu existe. De plus, Dieu pourrait-Il être homme sans cesser d’être en même temps Dieu ? Qu’Il le puisse est la conclusion implicite à laquelle sont arrivés les premiers conciles de l’Église. Quelquefois, et plus que nous ne le pensons, la civilisation dépend de la compréhension et du respect de subtiles distinctions.
Qui est-ce qui dit qu’Il est homme ? Evidemment, c’est « le Verbe incarné ». Le Verbe, le Fils, est « engendré », non pas « créé ». Le Verbe est la Lumière « descendue sur terre. » Le Logos, le Verbe, est destiné à être intelligible. Mais n’est-ce pas simplement à l’envers, cet homme qui révèle Dieu aux hommes ? Peut-être est-ce la seule manière pour eux de l’entendre.
Evidemment, à un moment donné, Dieu est fatigué de S’expliquer Lui-même aux hommes par le biais de la nature et de ses causes, par les prophètes hébreux, ou par le Saint-Esprit parcourant le vaste monde. Une approche différente sert à focaliser l’attention de l’espèce humaine sur ce que chacun de ses membres doit savoir s’il choisit de devenir ce pourquoi Dieu l’a créé.
A la fin, un homme doit vouloir et choisir d’être ce pourquoi il a été créé. Si Dieu le « forçait » à accepter ce qui lui est offert, il ne serait pas libre. Il ne serait pas un homme. Dans ce sens, Dieu Lui-même est dans une impasse. Il ne peut pas contredire la dignité de Sa propre créature qu’Il a faite « un peu moindre qu’un dieu », comme le dit le psaume 8.
A juger d’après les résultats, après quelques milliers d’années, cette intervention divine ne semble pas fonctionner très bien. La plupart de l’espèce humaine n’a pas entendu parler – encore moins accepté – de cette Incarnation du Verbe en tant qu’explication de la réalité et de la vie humaines. Cette non-réception ou non-connaissance peut être due au fait que nous sous-estimons les forces qui ne veulent pas que cela soit connu.
David Warren a dit quelque part que, si Dieu avait voulu que tous les hommes crussent en Lui, ce serait déjà advenu. Le fait que ce ne soit pas arrivé ne veut pas nécessairement dire que l’intention de Dieu que chaque personne soit sauvée n’était pas et n’est pas toujours l’intention divine. La possibilité de rejeter Dieu est une réalité concrète pour chaque existence humaine.
Au lieu de l’homme, sous la forme du Verbe incarné, révélant Dieu à l’homme, nous avons aujourd’hui l’homme qui refuse tout logos au sein ou en dehors du cosmos, qui révèle l’homme à l’homme. Y a-t-il une quelconque intelligibilité dans cette dernière explication « humaniste » de l’homme par l’homme en dehors de Dieu ? L’humanisme, dans ses origines intellectuelles, était souvent fondé sur la négation que l’homme était une certaine sorte d’être dont la bonté se trouvait dans sa liberté à appliquer les tendances de sa nature humaine.
A présent, il est assez clair que si l’on décide de mettre en avant une vue purement « humaine » de ce qu’est l’homme, cela se révèle, à l’examen, être un déni systématique, étape par étape, des normes naturelles de ce que l’homme doit devenir. Ce refus est appliqué par la coutume et la puissance publique, il est promu par les intellectuels professionnels et par les médias.
Le processus d’engendrement est nié. La différenciation des sexes est niée. La liberté de parole est niée. Nos relations normales avec les autres sont niées. Tous ces dénis sont qualifiés de « bons ». Ils sont ce que « nous voulons ».
Les conséquences sociales désastreuses de tels choix à l’encontre de notre nature innée, et elles sont nombreuses, vont à l’encontre de ce que le Verbe Incarné a révélé de Lui-même, à propos de l’homme. Ignace d’Antioche écrivait aux Romains : « La chrétienté montre sa grandeur lorsqu’elle est haïe par le monde. » Le Verbe, vrai homme, révèle Dieu à l’homme.
James V. Schall, s.j., qui fut professeur à l’Université de Georgetown pendant trente-cinq ans, est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques des États-Unis. Ses plus récents ouvrages sont « L’esprit qui est catholique », « L’âge moderne », « Philosophie politique et Révélation : une lecture catholique » et « Des plaisirs raisonnables ».
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Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/06/07/on-revealing-god-to-man/
Illustration : Le Christ dans les banlieues par Georges Rouault, v. 1920 [Bridgestone Museum of Art, Tokyo, Japan]