Le regard que le pape François projette sur l’Europe peut nous surprendre. Il est celui d’un Argentin qui, même s’il se sent proche du continent d’où est issue sa famille, le considère avec des références qui ne sont pas forcément les nôtres. Dans l’avion qui le ramenait d’Arménie, dimanche soir, il a confié à la presse internationale qui avait suivi son voyage, comment il comprenait le Brexit et ses conséquences. Même s’il s’est voulu prudent dans ses remarques, il a dépassé la retenue diplomatique souvent d’usage au Saint-Siège, pour confier ses espoirs et ses craintes. C’est ainsi qu’il a distingué entre l’émancipation d’un pays et la sécession d’une province qui peut aboutir à une balkanisation d’une région. Est-ce à dire qu’il craint moins le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne que la possible sécession de l’Écosse par rapport à Londres ? Il affirme, de toute façon, l’importance de la culture originale des peuples : « Je suis dans l’Union européenne mais je veux avoir des choses qui soient miennes, qui appartiennent à ma culture. »
Et François d’envisager, avec une véritable audace, ce qu’il convient d’espérer de l’Europe de l’après-Brexit : « Le pas que l’Union européenne doit franchir pour retrouver la force qu’elle connut avec ses racines est un pas de créativité et de “saine désunion”, entre guillemets. C’est-à-dire donner plus d’indépendances, donner plus de libertés aux pays de l’Union européenne, penser une nouvelle forme d’union. Être créatifs en économie pour des emplois, car nous avons une économie liquide. En Italie, par exemple, 40 % des moins de 25 ans n’ont pas de travail. Il y a donc quelque chose qui ne va pas dans une Union massive, lourde. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Cherchons à créer, parce qu’il faut toujours créer (…). Pour moi les deux paroles clés pour l’Union européenne sont fécondité et créativité. »
En termes de doctrine sociale classique, on dira que le Pape défend le principe de subsidiarité qui, dans le cadre européen, sauvegarde pleinement l’existence et l’originalité des nations. Mais en même temps, il réclame un réexamen de la situation économique, qui est tout à fait insatisfaisante. On sait ses préventions à l’égard d’un système dominé par la toute-puissance du capital et la financiarisation excessive qui en résulte. C’est donc un changement du paradigme européen que François appelle, en soulignant la priorité des emplois stables, notamment pour la jeunesse. Ce disant, il s’expose à de fortes contestations de la part de ceux qui défendent les pratiques actuelles de l’Europe bruxelloise. Mais la voix du chef de l’Église catholique devrait être entendue, au moment où la crise actuelle exige un réexamen profond du projet européen.