Les tintinophiles ont été sans doute ravis par le dessin de Plantu dans Le Monde d’hier. On y voit, en effet, un François Hollande déguisé en Sud-Américain subir, sous forme de soufflet, le jet abondant d’un lama qui a pris le visage de Martine Aubry. Pour les rares ignorants éventuels, il faut recommander la lecture du Temple du soleil, où pareille mésaventure était arrivée au capitaine Haddock. Mais trêve de plaisanterie, le sujet est quand même sérieux, pour peu qu’on porte attention au destin de la gauche et à ses divisions idéologiques. En brandissant l’étendard de la révolte, Martine Aubry signifie son désaccord total avec la politique actuelle de François Hollande et du gouvernement de Manuel Valls. Ce qui a précipité sa réaction, c’est la refonte du Code du travail qui révulse ce qu’il est convenu d’appeler la gauche de la gauche, en union avec les syndicats.
Manuel Valls est en première ligne dans le collimateur, parce qu’il est soupçonné depuis longtemps de vouloir accomplir une rupture fondamentale. Voilà plusieurs années déjà qu’il a exprimé l’idée d’un abandon du terme même de socialisme et celle d’une sorte d’alignement sur ce que sont les Démocrates par rapport aux Républicains outre-Atlantique. Ainsi le tournant fondamental de 1983 accompli par François Mitterrand avec Jacques Delors (par ailleurs père de Martine Aubry, ce qui en l’occurrence ne manque pas de saveur) serait enfin désigné pour ce qu’il est. Avant tout un abandon de la posture anti-capitaliste et anti-libérale, pour un ralliement franc et massif à l’économie de marché. Dans le texte qu’elle a signé avec quelques autres, Martine Aubry marque la trahison de François Hollande par rapport à son discours du Bourget et à sa dénonciation de la toute-puissance de l’argent. Il est vrai que le débat semble s’éclaircir.
Les contestataires se réclament toujours des idéaux du socialisme, les partisans du gouvernement du pragmatisme qu’imposent les défis de l’économie moderne. L’affaire est donc sérieuse. Le désaccord peut produire une scission à l’intérieur de ce qui fut la majorité gouvernementale. Ce peut être une catastrophe pour François Hollande et les siens avec l’impossibilité de présenter un front commun aux élections présidentielles. Ce sera peut-être quand même l’occasion d’un éclaircissement intellectuel, auquel invitent depuis plusieurs années un Jean-Claude Michéa et un Jacques Julliard.